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06 janvier 2022

Carnet / La poésie et la littérature n’ont rien à voir avec une sortie entre copains.

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J’ai toujours aimé les voitures. Tout jeune, j’étais très pressé de passer mon permis de conduire. Cela peut étonner ceux qui me voient conduire ma modeste Toyota et choquer tous les écolos qui, Dieu sait pourquoi, ne me virent pas de leur liste de contact sur Facebook. Une précision pour ceux-là : j’aime aussi les armes à feu, seulement les armes de poing (pistolets et revolvers) que je n’ai hélas pas le droit de détenir, à l’inverse des autos.
 
Je ne possède qu’une voiture parce que je n’ai pas envie de gaspiller toutes mes économies et la retraite qui m’est désormais versée depuis le premier décembre de cette année mais sinon, j’aurais plusieurs garages remplis de véhicules pour chaque usage parce que j’habite une campagne volontiers neigeuse. D’ailleurs, une moto-neige ne me déplairait pas non plus, même si je n’aime pas la neige ou plutôt parce que je n’aime pas la neige.
 
Mon goût des voitures ne vient pas d’un intérêt pour la mécanique et ses performances. Ce sont les carrosseries qui me plaisent, surtout celles des voitures anciennes, notamment des années trente aux années soixante. Tout ce qu’il y a sous la carrosserie m’indiffère, exactement comme m’indiffère ma propre mécanique, ce que j’ai dans le corps. Comprendre comment fonctionne la mécanique automobile ou corporelle ne m’intéresse pas, tout ce que je demande, c’est que ça marche le plus longtemps possible.
 
La poésie et la littérature ont plus à voir avec les voitures qu’on ne le croirait. Dans le temps, lorsque j’allais parler de mes livres dans des librairies, des classes et des bibliothèques, il m’arrivait parfois de discuter avec des petits jeunes qui voulaient écrire. Quelques-uns sont même venus me voir chez moi, ce qui me mettait un peu mal à l’aise tant je me sentais ridicule dans le rôle du conseilleur surpris dans son quotidien le moins littéraire et qui, en plus, n’avait guère à conseiller : passe ton permis de conduire d’abord et si tu veux écrire, prends un carnet, un crayon et un ordinateur. Si tu t’aperçois alors que tu aimes encore plus écrire que conduire ta bagnole, alors vas-y franchement mais comme dans la conduite, ne t’occupe que d’une chose, la route, rien que la route (et le rétro, très important le rétro pour l’écrivain et le poète).
 
La poésie et la littérature sont des véhicules, chaque auteur a le sien que lui-seul peut conduire. Ne mets pas la radio en conduisant ; la route, rien que la route. Rien que ce que tu vois devant le pare-brise et dans le rétro. À la rigueur un coup d’œil dans la lunette arrière quand tu vois s’envoler des feuilles mortes à ton passage, ça peut faire un bout de poème ou de nouvelle ; ou le début d’un roman. Ne laisse pas perdre, ne gaspille pas trop, la vie peut se montrer avare à certains moments. Pourquoi n’écrirais-tu pas un poème, une nouvelle ou un roman qui s’appellerait La vie avare ? Trop tard, je vais l’écrire dès que tu auras tourné les talons et je déposerai le manuscrit chez mon notaire, à la Société des gens de lettres et partout où l’on pourra attester que c’est bien moi qui l’ai écrit, jusque devant un tribunal s’il le faut. Ça te fait rire ? Ne ris pas. Si tu n’es pas raisonnablement parano, laisse tomber l’écriture et la publication (et peut-être la conduite automobile où la conscience du danger est indispensable).
 
Je te vois venir. Tu vas monter dans d’autres véhicules parfois conduits par des potes, personne ne peut t’en empêcher. Je te le dis quand même, évite les potes (en plus, ta copine t’en sera reconnaissante), conduis en solo. La littérature et la poésie n’ont rien à voir avec une sortie entre copains. Si tu m’avais lu avant de venir me voir, tu te serais rappelé que j’ai écrit quelque chose comme ça dans mon livre que j’ai intitulé Aux grands jours (page 72). Tiens, cadeau. Je t’écris la dédicace au crayon de papier pour que tu puisses la gommer au cas où tu voudrais le revendre mais je te préviens, tu auras du mal à le fourguer parce que ce sont des poèmes et qu’il y a très peu de poèmes d’amour.
 
L’amour aussi est une voiture, avec beaucoup de chevaux sous le capot. Ça bondit et ça fonce tout droit comme une petite sportive ou une grosse berline mais ça n’a pas de volant et pas de conducteur, que des passagers, et ça finit dans le décor. Voilà, c’est l’heure. Content de t’avoir déçu, ça t’évitera de me copier, c’est pour ton bien parce qu’au fond, je trouve que tu as une bonne tête, un peu comme la mienne quand j’avais ton âge.
 
© Éditions Orage-Lagune-Express (extrait de mon livre Prairie Journal, tome 2)
 

13 septembre 2014

Carnet / De la tentation de Venise

Après ces dix mois à vif, je repense souvent au titre d’un livre que je n’ai évidemment pas lu, La Tentation de Venise, signé d’un homme politique que je ne nommerai pas parce que, lui ou un (e) autre, cela n’a aucune importance.

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La tentation de Venise, c’est le désir de fuite dans la beauté et l’harmonie, dans une certaine nonchalance, une idée de lâcher prise. Chez moi, c’est un vieux démon, si vieux qu’il remonte à mon enfance. Peut-être suis-je même ce démon-là tant il m’imprègne ! C’est mal, mais j’ai des excuses. 

Ces derniers jours par exemple : 

- Assister à la saloperie d’un énième dépassement sans visibilité dans la côte de Viry et constater une fois de plus que le destin de conducteurs prudents s’est joué à quelques secondes près. Que faire ? Inventer des autos qui filment tout et dont les vidéos puissent être visionnées à l’occasion de n’importe quel contrôle puisqu’on ne pourra jamais espérer de changement de comportement chez les psychopathes ? Ou alors ériger des murets de béton ou de métal à la place des lignes continues ? Imposer la voiture sans pilote avec conduite déléguée à un ordinateur ? J’ai lu dans le magazine des sociétaires de la GMF que cette innovation était pour demain. Pour l’instant, à ma connaissance, il n’existe aucun ordinateur qui ne soit tenté de se comporter spontanément comme une sale petite ordure de la route.

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Tentation de Venise encore :

- Lire une pancarte au rayon librairie d’un hypermarché comportant un message d’excuse à l’intention de l’aimable clientèle parce que le livre de Madame qui vous savez est en rupture de stock. Dans cette affaire, à mon avis, on a tort de s’en prendre à l’opportunisme de l’auteur et de son éditeur. Cette chose existe parce que le public existe. Alors, de quoi se plaint-on au juste ?

Je note au passage que dans le même rayon librairie du même hypermarché, la vente du livre signé par un chanteur ayant fait subir l’ultime violence à sa compagne ne choque personne. Même problème que pour le livre de Madame qui vous savez. Le chanteur que vous savez remplit les salles. Son public existe et n’est manifestement pas du genre à se poser des questions. Il est vrai que certaines « musiques » peuvent rendre sourd.

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Encore la tentation de Venise parce que :

- Subir la pollution visuelle d’énormes et piteux rubans de plastique accrochés tous les dix mètres au bord d’une route de campagne sous prétexte que des gens vont faire du vélo (décidément cette année, overdose cycliste. J’aurai au moins une raison de me consoler du retour de la neige). Imaginons le résultat si chaque association ou organisation se met à faire pendouiller n’importe quoi aux buissons et aux arbres sur des kilomètres à chaque « événement » .

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- Constater une fois encore que plus on parle de quelque chose, moins on le fait. Je pense ici à la déferlante de « com » dans mon ancienne ville de résidence dans l'Ain où revient sans cesse le mot « fête » , ce qui se révèle assez pathétique dans la bourgade et dans l’époque les moins festives qui soient. Fête de l’eau, fête du printemps, fête de l’hiver, fête de la musique, fête des voisins, fête de ceci, fête de cela... Et pourquoi pas fête de la fête ? Ces fêtes-là ne sont que de l’esbroufe, de la communication politique. Quiconque exerce encore un minimum d’esprit critique sait que l’excès de communication signale le manque.

- Se rappeler, puisqu’on était hier le 11 septembre, la réaction glaçante d’une personne de ma connaissance rencontrée dans un magasin pendant l’annonce de la catastrophe, en boucle dans les médias. J’avais appris la nouvelle à la fin de ma journée de travail, en remontant des archives où j’étais complètement isolé de l’extérieur. J’étais inquiet. Un de mes cauchemars récurrents, le déclenchement de la troisième guerre mondiale, revenait me hanter. Là-dessus je rencontre cette personne, style vaguement « flower-power » et « peace and love » à qui je fais part de ma stupeur et qui me répond d’un air badin et avec un petit sourire par une phrase que je ne citerai pas tant elle était totalement dénuée de la moindre compassion mais représentative de l’anti-américanisme le plus ridiculement primaire. J’y repense chaque 11 septembre, date si sinistre qu’en 2004, la date envisagée de mon mariage étant le 11 septembre, j’ai préféré le programmer le 4.

Bien le bonjour de Venise...

... Et bientôt de Lisbonne !

Photos :  Venise, © photos Ch. Cottet-Emard