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Tous les jours en hiver, j’admire les belles couleurs jaune et bleu des mésanges qui viennent se nourrir sur mes bords de fenêtres. Heureusement pour elles, elles ignorent qu’elles viennent d’être enrôlées sous l’uniforme du politiquement correct et de l’indignation sélective qui viennent de trouver une fois de plus l’occasion de dégouliner sur le fil d’actualité du réseau social. Ces mésanges, c'est bien simple, je me demande si je n'en vois pas plus sur Facebook que derrière mes vitres.
Si des civils de tous bords n’étaient pas dans le malheur de cette guerre (dont certains ont l’air d’oublier qu’elle est déjà ancienne), on pourrait une fois de plus ironiser sur les habituels gogos qui s'emballent virtuellement le portrait dans des drapeaux, toujours aussi prompts aux postures offusquées dont l’intensité est inversement proportionnelle à la distance de l’événement. La France est menacée et attaquée chez elle par l’islamisme, snobée par son propre président, fracturée par le passe vaccinal et sa démocratie traitée par-dessus la jambe par l’autorité européenne relayée par un quarteron de technocrates mais dans ce cas, ses couleurs sont moins portées parce que le bleu blanc rouge, ça fait un peu vieux beauf réac aux yeux des ravis du nouveau monde.
Manifestement, c’est le cas de le dire, les drapeaux reviennent quand même flotter dans le ciel radieux des bons sentiments progressistes mais voilà, ce sont plutôt des étendards étrangers, bien sûr brandis au nom de la paix, de la solidarité et de la tolérance (à sens unique). Le progressisme bobo français aime bien agiter le drapeau, du moment que ce n’est pas le sien. Aujourd’hui, ce sont les couleurs de l’Ukraine, certes en pleine tragédie, nul ne le conteste ; et voici donc nos innocentes petites mésanges mises à contribution par le camp du bien, transformées en autant de fanions très seyants pour profils Facebook. Ce printemps, le bleu et jaune, très « tendance » feront chics dans les défilés de la bonne conscience bon marché.
Pendant ce temps, chez nous, rien à signaler. La campagne électorale ? Le président n’y participe pas. On s’en fiche mais ceux qui veulent voter pour lui ont-ils seulement conscience qu’ils reconduiront au pouvoir quelqu’un qui ne veut même pas leur parler (sauf pour du théâtre amateur mal joué à la télé quand ça lui prend) alors que la campagne électorale est le moment fort où le sortant et les autres candidats s’adressent un peu plus directement que d'habitude à la population ? Mais c’est qu’il a bien mieux à faire : les gros yeux au méchant Russe ! Ce président sait bien que le ridicule ne tue pas, surtout en politique, car son but est d’en finir avec la dramaturgie de l’élection.
Cette élection, il veut la rendre insignifiante, à l’image de sa vision de la France et de sa populace de gaulois réfractaires. Tout ce qu’il veut, c’est regarder ailleurs, vers l’Europe de ses rêves (celle de mes cauchemars), et qu’on l’imite pour être aussi dans le camp du bien. Mais ce sera sans ceux qu’il veut emmerder car eux, toujours citoyens de seconde zone à l’heure du « zapping covid », ils ont de la mémoire et elle n’est pas près de flancher, même après l’élection présidentielle car celle-ci sera suivie par les législatives avec à la clé, s’il est encore là, une petite cohabitation de derrière les fagots ; qui sait ?
J’ai pu passer la majeure partie de ma vie sans me préoccuper de politique parce que les gens de ma génération n’ont connu (je parle de la France) que des régimes centristes dominés, pour résumer à la truelle, par la vieille bourgeoisie. De droite ou de gauche, ces gouvernants étaient à peu près interchangeables sur le fond. Quant à la forme, ce n’était que du théâtre électoral et l’on pouvait sans mal s’en désintéresser ainsi que j’eus la chance de pouvoir le faire durant mes jeunes années et celles de ma maturité.
Et voilà qu’aujourd’hui, à l’âge de la retraite officielle où j’arrive en bonne forme et où je devrais normalement continuer dans cette voie reposante de l’indifférence à la politique, je me prends à ne même plus supporter la figure et la voix de l’actuel président de la République ainsi que celles de ses valets les plus médiatisés depuis la deuxième phase de la crise sanitaire qui a dégénéré en crise politique. Mon aversion est telle que je suis obligé de couper le son et l’image, comme lorsque des images de sport passent sous mes yeux. C'est physique, viscéral. C’est la première fois que je ressens quelque chose de semblable à l'encontre d'élus, certes déjà guère légitimes en raison du pourcentage faramineux d'abstention lors de leur élection mais élus tout de même.
Le président actuel, hostile à l’idée de nation et donc mal disposé à l’égard de la composante traditionnelle de la population de son propre pays rétive au type de société multiculturelle et technocratique qu’il veut imposer, se verrait bien le patron d’une Europe dont chaque état membre deviendrait une sorte de province progressivement dépouillée de son identité nationale. Dans cette optique, le peu qui persisterait de cette identité ne serait toléré qu’au bénéfice du folklore local toujours bon pour le tourisme.
Par le biais de la gestion gouvernementale de la pandémie, nous avons désormais une vision assez nette du quotidien que nous prépare cette société du ou des « pass » , sanitaire, vaccinal, écologique ou autres, une société que l’on pourrait qualifier pour l’instant de post-démocratique, une sorte de transition vers un avatar moderne du despotisme éclairé menant à court terme à la dictature si rien ne vient entraver ce processus. Un pouvoir technocratique à peine élu, des nations réduites à des provinces, des dirigeants hors-sol servant uniquement de « facilitateurs » du commerce, bref, pour moi un cauchemar et une nausée dont je vois l’incarnation dans nos actuels gouvernants.
C’est en remuant ces idées noires qu’un épisode du tout début de mon adolescence m’est revenu. C’était l’époque des réfugiés chiliens en France. Ils fuyaient la dictature de leur pays et j’en avais parfois approché certains, des familles, parce que ma marraine et ses amis politiques essayaient de leur apporter de l’aide au quotidien. Elle était même aussi devenu la marraine d’un de leurs enfants.
Lors d’une des nombreuses discussions qui avaient lieu chez elle à Lyon avec ces personnes, un jour où j’étais présent, j’entendis une chilienne exprimer la nausée qui la submergeait chaque fois qu’elle voyait des images des chefs de la dictature chilienne dans la presse ou à la télévision. J’étais si jeune et forcément si ignorant que je ne comprenais pas qu’on puisse se mettre dans des états pareils à cause de la politique.
Je ne mets pas sur le même plan la dictature chilienne de cette époque et notre actuelle société post-démocratique (bien qu’elle soit à mon avis en dérive et en tentation totalitaire) mais après avoir entendu l’actuel président me traiter de non-citoyen qu’il veut emmerder, je comprends maintenant une part de ce que pouvait ressentir cette femme. Je comprends une partie de sa nausée.
N’importe quel scientifique vous dira que la Terre a très souvent changé de climat au cours de sa longue histoire et que sur cette durée, la révolution industrielle suivie de la mondialisation industrielle représentent moins qu’un battement de paupière. À l’échelle du temps de l’humanité, il est tout à fait logique que l’impact des activités humaines se mesure à l’aune des dégradations qu’elles provoquent dans l’environnement. Nous touchons ici à la définition et au paradoxe de la vie : toute créature dégrade son propre environnement parce qu’elle est obligée de le modifier pour y survivre.
Pour l’humain, toute la question est de savoir comment gérer la modification pour qu’elle n’aboutisse pas trop vite à la destruction partielle qui peut bien sûr entraîner la disparition totale. En plus simple, comment ne pas scier la branche sur laquelle on est assis.
La question m’apparaît tous les jours à la vue de mes frênes attaqués par le lierre. Lorsque ce processus vieux d’une trentaine d’années arrivera à son apogée, les frênes finiront par s’effondrer et mourir. Le lierre qui se sera nourri d’eux survivra quelques semaines agrippé à leurs troncs couchés sur le sol et il mourra à son tour.
L’humanité se montre certes capable de modifier et de dégrader rapidement son environnement au point de perturber les grands équilibres naturels mais elle n’est et ne restera pourtant qu’un acteur très secondaire au sein de ce processus auquel participe la moindre bactérie.
Penser que quelques pays occidentaux développés et perclus d’écologie punitive doivent et puissent « sauver la planète » selon l’une des expressions les plus stupides qui soient et répétées comme un mantra (alors qu’on demande beaucoup moins aux géants de l’Asie et rien du tout aux monarchies du pétrole, notons-le au passage), penser, disais-je, que l’Occident développé soit capable de se mettre en travers d’une évolution climatique de plus relève d’un sentiment de puissance qui se situe entre les deux extrêmes de l’hubris et de la pensée colibri. Dans les deux cas, c’est d’une prétention et d’un orgueil pathétiques.
Aujourd’hui encore, j’ai reçu des pétitions à signer sur le climat dont une pour que le climat soit plus à l’ordre du jour de la campagne présidentielle en France (il est vrai que le climat est ici très dégradé mais à l’évidence, nous ne parlons pas du même vous et moi). Des paquets de pétitions, j’en reçois aussi sur les droits de l’homme et nombre de sujets certes préoccupants mais d’ordre suffisamment général pour que cela évite à beaucoup de se pencher sur les problèmes qu’ils ont sous le nez. La bonne conscience aime bien la bonne distance !
Dans ce concert des bons sentiments claironné par le grand orchestre des indignés sélectifs, certaines musiques sont inaudibles. Pour éviter de m’enliser dans la métaphore, je vais dire les choses plus brutalement : les amis et connaissances qui me bombardent de ces pétitions ne m’envoient rien à signer sur ce que pourrait leur inspirer, vu leur attachement à la liberté, à la tolérance et, pendant qu’on y est, à la planète, au climat, à la paix dans le monde et à la défense des fromages au lait cru, la relégation d’une partie de la population de leur propre pays à un statut de citoyens de seconde zone.
Pourtant, dans ce cas précis, la mobilisation des consciences serait assez facile et le résultat rapide à portée de mains, celles qui votent par exemple. Mais la plupart de ces gens me le disent eux-mêmes quand nous arrivons encore à nous parler malgré la zizanie que ce sinistre gouvernement a semé jusque chez les amis et les familles : ils n’iront pas voter. Pensez donc, ils ont plus urgent à faire: sauver le climat et la planète ! D’ailleurs, c’est plutôt l’humanité qui a besoin d’être sauvée, pas la planète et ses climats.
Elle n’a rien demandé, la planète, et elle vivra encore les quatre ou cinq milliards d’années qui lui restent en se fichant comme d’une guigne de l’éventuel remplacement des humains par des espèces de pieuvres ayant fini par résoudre l’actuel problème d’évolution qui les bloque encore dans l’océan.
Voilà une perspective peu réjouissante mais elle ne s’inscrit pas encore dans notre parenthèse temporelle. D’ici là, nous avons encore le temps de nous inquiéter pour nos enfants, nos petits-enfants et, si nous avons de la chance, nos arrière-petits enfants. Après, cela devient abstrait, avouons-le. Telle est notre limite.
Alors, chers amis pétitionnaires du climat, de la planète, de la paix dans le monde et des droits de l’homme en général (mais hélas pas trop de l’homme occidental), je recommencerai peut-être à m’intéresser à vos grandes causes et peut-être à signer vos pétitions le jour où, de votre côté, vous aurez daigné jeter un œil et dire un mot, même un seul, sur cette autre cause qui semble échapper à votre vigilance sélective, celle des entraves récentes et progressives à nos libertés quotidiennes les plus élémentaires et qui viendra un jour ou l’autre frapper à votre porte quelle que soit l’épaisseur de silence et de consentement au pire dont vous l’avez capitonnée.