26 décembre 2022
Carnet / Supermarchés, poètes et patates
Sur les pages internet d’un poète à la mode (je veux dire à la mode dans le microscopique écosystème de la poésie contemporaine bien-pensante) j’ai lu tout le mal que celui-ci (comme tant d’autres) pensait des supermarchés, ce qui est tout à fait son droit.
Ah, l’enfer du consumérisme, de l’abondance obscène ! Et tous ces gens (ces gens comme vous et moi) qui vont faire leurs courses et se payer une petite fantaisie de temps en temps, pour Noël, par exemple, au lieu de faire pousser des topinambours sur le rebord de leur fenêtre ! Ah non, vraiment ! Pouah !
Bon, d’accord, les supermarchés, la grande distribution, on peut discuter des défauts sans pour autant oublier les avantages et même les progrès. Je vous le donne en mille mais j’espère, pour moi et ma descendance, ne jamais connaître cette situation, la disparition de cette forme de commerce, car le jour où les hyper et supermarchés disparaîtront, cher poète, vous pleurerez très vite toutes les larmes, jusqu’aux dernières, que vous avez en stock. Vous vous précipiterez vers la dernière supérette encore ouverte où vous ne trouverez qu’une interminable file d’attente remplie de militants bio, colibris, vegans et autres alternatifs décroissants prêts à s’étriper pour un quignon de brignole ou un rogaton de frombec.
Il ne vous restera plus alors qu’à faire un détour vers l’armurerie ou la cave de « quartier sensible » la plus proche pour vous procurer une kalache destinée à défendre les trois patates que vous aurez peut-être extirpées à grand peine de votre lopin (si vous en avez un) à l’aide de votre vieux manuel de culture bio acheté chez Amazon à la rubrique jardinage écoresponsable au bon vieux temps où vous pouviez vous faire livrer.
Il vous restera certes la poésie mais, comme chacun sait, elle ne nourrit pas le corps du poète ni même, je me prends de plus en plus souvent à le penser à la lecture de nombre d’entre eux, son esprit.
02:13 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : supermarché, grande distribution, poète, patate, commerce, blog littéraire de christian cottet-emard, carnet, note, journal, humeur, chronique, billet, christian cottet-emard
17 décembre 2022
Carnet / Quand Annie Ernaux « s'émerveillait »
« Je est un autre » mais qui est « on » ? La littérature, surtout dans le domaine de la fiction, n'en finira jamais avec cette question qui est une fois de plus venue me tourmenter à la lecture d'un bout de citation d'Annie Ernaux en ce moment en circulation sur le réseau social. Il s'agit d'un court extrait de son livre Les Années, tiré de quelques pages évoquant le 11 septembre 2001, des propos dont la nature, le fond et la forme ramènent immédiatement à l'esprit ceux de Virginie Despentes concernant en particulier l'attentat contre Charlie Hebdo.
On lit, on est choqué et si l'on n'apprécie pas ces deux auteures, on en a que plus envie de les citer pour dénoncer chaque fois que cela sera possible leur duplicité. Leurs déclarations respectives sont si ambiguës, scandaleuses et grossièrement provocatrices, que la tâche semble facile. Illusion. Tout leur discours se construit sur le double langage, notamment de la part d'Ernaux qui, bien à l'abri du « on » de sa narration, permet à ses plus béats zélateurs de l'exonérer de tout compte à rendre sous prétexte que telle ou telle citation serait tronquée, sortie de son contexte ou à mettre au compte de la seule littérature alors qu'il s'agit d'idéologie.
Pour habile que soit le procédé et efficace la rhétorique, seuls ceux qui ne veulent pas voir ce qu'ils voient et ne pas lire ce qu'ils lisent peuvent trouver matière à défendre l'indéfendable au moyen d'argumentations tortueuses à seule fin de légitimer ce qui n'est que l'expression de la haine et du ressentiment caractéristiques des éternels déçus du grand soir qu'ils ne verront jamais.
Ernaux, Despentes et tant d'autres de cette gauche et de cette extrême gauche frustrées en conçoivent une telle fureur que malgré leurs feintes et leurs arguties, ils peinent à voiler leur joie mauvaise face au spectacle de la guerre menée contre cet Occident qu'ils exècrent alors que celui-ci, par un des nombreux effets de sa décadence, s'obstine à flatter et à promouvoir ses ennemis. Ernaux en fait partie mais ne prend guère la peine de s'expliquer sur ce qu'elle a écrit à propos du 11 septembre dans Les Années, laissant cette tâche délicate à la phalange la plus fanatique de son lectorat au moyen des procédés que j'ai précédemment décrits.
Pour qui aurait un doute sur le caractère abusivement qualifié de « tronqué » ou « sorti du contexte » de la citation de ses propos circulant actuellement sur Facebook, il suffit d'aller vérifier dans l'édition de poche Folio à partir de la page 219. On verra ainsi encore pire que ce qu'on a lu sur internet : « Il serait temps ensuite d'avoir de la compassion et de penser aux conséquences. » (page 220).
02:26 Publié dans carnet, NOUVELLES DU FRONT | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : idéologie, annie ernaux, les années, 11septembre 2001, terrorisme, 13 novembre 2015, virginie despentes
05 décembre 2022
Carnet / La corrida : un désordre.
La corrida sera un jour ou l'autre interdite, je m'en réjouis. Il faut avoir un grain pour prendre du plaisir à la vue de la souffrance et de la mort lorsqu'on les inflige ou qu'on les regarde infliger, ce qui n'est ni plus ni moins, comme le rappelle le philosophe Michel Onfray ¹ dans les pages Débats du Figaro du jeudi 24 novembre 2022, que la définition de cette perversion qu'est le sadisme érigé en tradition et en esthétique.
D'un point de vue politique, je déteste tout ce que représente le député Aymeric Caron mais j'approuve son combat pour l'interdiction de la corrida tout en déplorant que cette mesure attendue ait trouvé un aussi piètre et douteux défenseur. Piètre parce qu'il a échoué de manière plus que prévisible d'un point de vue technique dans son initiative à l'assemblée et douteux parce qu'on peut le soupçonner d'avoir avant tout cherché à se mettre en avant sur un sujet sensible lui permettant de ratisser large dans l'approbation d'une opinion publique qui finira heureusement par terminer le travail à sa place.
Au risque de me répéter, j'ai toujours en mémoire cette fameuse apostrophe du compositeur Gustav Mahler relevée dans l'ouvrage Mahler de Marc Vignal, éd. du Seuil, collection Solfèges à propos du respect de la tradition conçu comme une fin en soi : « Tradition = désordre » .
C'est en cela, le respect de la tradition conçu comme une fin en soi, que la tradition de la corrida est un désordre.
¹ « Il ne suffit pas que la corrida soit une tradition pour la rendre honorable. » (Michel Onfray).
Photo / Depuis les gradins, cela ne se voit pas trop mais voilà ce que sont les pointes de banderilles.
00:49 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : corrida, banderilles, désordre, blog littéraire de christian cottet-emard