17 septembre 2023
Carnet / Aux Rencontres de la Photographie d’Arles
Retour d’Arles après plusieurs jours de déambulations dans les lieux variés et nombreux qui abritent les Rencontres de la Photographie. Une bien meilleure édition (à mon goût) que celle de l’an dernier marquée par les différentes dérives dont j’ai parlé à peu près à la même époque sur ce blog.
Je ne m’intéresse à la photo qu’en simple amateur mais cet art a parfois pour moi un rôle dans le déclenchement de l’écriture, ce qui s’est encore produit cette année lors de ma visite de l’exposition La Pointe Courte : des photographies au film. Il s’agit du travail photographique méconnu d’Agnès Varda à travers l’histoire singulière de son film précurseur (source : Carine Claude en introduction de son article Agnès Varda, d’un objectif à l’autre, paru dans la newsletter n°348, 3 juillet 2023, d’AMA, Art Media Agency). Une scène du film, à peine quelques secondes, a suffi à me lancer dans un nouveau projet de livre. Ce n’est pas chez moi le processus le plus courant puisque je suis au contraire plutôt du genre à visionner dans ma tête mes histoires comme des films avant de les écrire.
J’ai parcouru aussi une seconde exposition Agnès Varda évoquant entre autres ses installations Patatutopia (une célébration des patates) mais c’était hélas dans l’horrible tour de Luma, un lieu à l’architecture d’une laideur si brutale et où je ressens une telle sensation de malaise et d’oppression que j'ai toujours hâte d’en sortir le plus vite possible. J’ai tout de même essayé de surmonter mon aversion pour cet endroit le temps d’une immersion dans les photos de la célèbre Diane Arbus dont la Fondation Luma marque le centenaire de la naissance. Hélas, l’installation absurde des photos, trop haut ou trop bas et très mal éclairées, ne servait pas du tout l’importance et la richesse de cette œuvre.
Dans un tout autre genre, j’ai été très inspiré par les images du photographe et peintre Saul Leiter présenté par Pierre Naquin et Carine Claude dans le même numéro d’AMA comme l’un des grands noms de la photographie américaine d’après-guerre, pionnier de la street photographie en couleur dans le New York des années 40. Dans un autre article signé Baudoin Eschapasse dans Le Point (édition spéciale Rencontres d’Arles 2023), le rédacteur cite Margit Erb, directrice de la fondation Saul-Leiter évoquant la discrétion de l’artiste : il faut dire qu’il ne cherchait pas à se mettre en avant, témoigne-t-elle, bien que, comme l’écrit Michael Parillo (auteur avec Margit Erb de l’ouvrage The Unseen Saul Lieter, éditions Textuel, 2022) voisin de Robert Frank, ami de Mark Rothko, admiré par Richard Avedon, il aurait pu devenir très célèbre. Mais il cultivait son anonymat très consciencieusement.
Je ne saurais évoquer ici tout ce que j’ai vu cette année sans lasser le lecteur tant les expositions sont nombreuses. Presque tout m’a intéressé dans ces visites aux allures de marathon (d’où la nécessité de choisir un hôtel central), d’autant qu’à la photo se mêlent les images et les reflets de la ville d’Arles à propos de laquelle Jim Harisson écrit dans ses mémoires En marge, éditions 10/18 : Cette ville, qui abrite d’impressionnants témoignages de son antiquité, est de taille réduite et l’on peut aisément la parcourir à pied. Le marché est une splendeur polyglotte, moins bourgeois que les marchés d’Avignon ou d’Aix-en-Provence. Si votre estomac a quelque mal à se remettre des excès de la veille et que vous doutez de votre capacité à ingérer le moindre déjeuner, alors savourez un pastis en milieu de matinée et visitez le marché d’Arles, dont l’animation réveillera forcément vos appétits élémentaires.
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05 septembre 2023
Carnet / Une étrange rentrée des classes
J’étais au lycée le jour de ma plus étrange rentrée des classes. La situation n’était pas à mon avantage ainsi qu’il en fut durant toute ma scolarité. J’étais redoublant en première après l’avoir été en seconde et je me retrouvais donc une fois de plus dans un de ces locaux préfabriqués chauffés au poêle à mazout qui ont si longtemps servi de salle de classe dans les années soixante-dix.
Le professeur principal, une ravissante jeune femme élégamment parfumée, venait de terminer l’appel. Mon tour ne vint pas car la liste des élèves de mentionnait pas mon nom. La jeune femme me demanda de quitter la classe au motif qu’elle ne pouvait accepter dans son cours un élève non inscrit.
Une fois dehors, j’enfourchai mon cyclomoteur Honda Amigo et décidai de profiter de cette lumineuse et blonde matinée pour me balader dans la campagne. Dans les rues qui menaient aux premiers chemins forestiers en haut d’Oyonnax, le ronronnement du moteur et l’air doux dans mes cheveux (le casque n’était pas obligatoire à cette époque) m’emplirent tout d’abord d’une intense sensation de liberté comme on en éprouve à l’âge de quinze ou seize ans. Les roues du cyclomoteur sur le sentier caillouteux transmettaient leurs vibrations au guidon.
Après avoir longé une vaste clairière, il restait une centaine de mètres avant d’arriver en haut d’un grand pré qui descendait en pente douce jusqu’au cimetière. Je décidai de marcher un moment dans les herbes sèches sous le ciel à peine troublé de quelques nuages effilochés. Pendant les vacances, j’avais déniché un enregistrement du concerto pour clarinette de Paul Hindemith et c’était précisément cette œuvre que j’avais dans la tête lors de mon escapade inattendue, une musique un peu insolite et mélancolique. Ma sensation de liberté se mua alors en un sentiment mitigé. Je me sentais à la fois joyeux et un peu oppressé, comme si j’étais saisi d’un léger vertige. L’idée ne m’était jamais venue que je puisse quitter si soudainement le lycée où je végétais. Qu’allais-je devenir maintenant ?
À l’heure du déjeuner, mon père me demanda si ma rentrée s’était bien passée. Avant même que je finisse mon récit, il bondit de sa chaise et se précipita en moins de deux au lycée. Lorsqu’il revint, il était encore rouge de colère. Il m’informa que j’étais de nouveau inscrit et qu’il était pour moi l’heure de retourner en cours. Il avait dû faire pas mal de vent dans les bureaux du bahut ! Le malentendu avait pour origine mon dernier bulletin scolaire sur lequel la mention « vie active conseillée » n’indiquait pas clairement mon absence de réinscription pour la nouvelle rentrée. À cette époque, cette mention « vie active » entérinait l’échec définitif et humiliant d’une scolarité.
Dans cette affaire, tout le monde avait raison, sauf moi. La jeune enseignante parfumée n’avait pas à accueillir dans sa classe un élève mon inscrit. Le conseil de classe estimait à juste titre que je végétais au lycée. Mon père savait que je n’avais pas encore la maturité nécessaire pour quitter brutalement le système scolaire et tenter de m’intégrer sans diplôme à cette « vie active » déjà soumise aux premiers assauts du chômage de masse. Quant à moi, j’errais dans l’autre dimension d’une adolescence élastique en proie à de vaines rêveries qui m’empêchaient de m’évaluer moi-même et de prendre les décisions qui s’imposaient.
Lorsque j’y parvins enfin, j’avais commencé mon année de terminale. Un jour de fin d’automne, entre deux cours séparés d’une heure libre, je fumais une Gitane sans filtre sur un banc du parc René Nicod en lisant des poèmes de Jules Laforgue. C’est à ce moment exact que je décidai de m’exclure moi-même du lycée. Il était temps !
(Extrait du tome 2, à paraître, de mes Chroniques oyonnaxiennes).
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27 juin 2023
Carnet / Impatients personnages
Écrire deux romans en même temps, ainsi que je m’y risque parfois, me permet de passer d’un monde à un autre et de maintenir l’énergie « créatrice » (je ne peux renoncer aux guillemets lorsque j’emploie cet adjectif car je ne crois pas à la création). Seul Dieu crée (ou au moins la nature) alors que nous autres humains ne faisons qu’associer, combiner, bricoler. Mais là n’est pas en cet instant mon sujet. Je veux plutôt m’en tenir à ce double chantier que je mène depuis des mois.
Je travaille simultanément sur deux romans très différents, l’un certes plus ambitieux que l’autre mais qui nécessitent bien sûr tous les deux le même soin. Le premier requiert un peu de recherche et de documentation puisqu’une partie, le début, se situe à la fin du moyen âge, ce qui explique que je progresse lentement. J’ai déjà déposé pour protection la trame et des fragments d’une première version, ce qui m’autorise à mettre parfois quelques extraits en ligne sur ce blog ou ailleurs. Pour me divertir de ce chantier assez fatigant, je me détends en écrivant le deuxième roman, une petite fantaisie sentimentale aigre-douce, socialement incorrecte et j’espère un peu humoristique. Le deuxième roman avance évidemment plus vite que le premier. Dans les deux cas, les couvertures existent déjà même si j’ai encore la possibilité d’en changer.
Il arrive que les idées alimentant ces deux fictions se chevauchent dans mon esprit sur une même journée, ce qui peut fréquemment perturber mon sommeil car mes personnages se montrent de plus en plus impatients. J’ai même l’impression que ma tête, telle une petite gare de province poussiéreuse et mal éclairée (ce peut être aussi un arrêt de bus ou de tramway), leur sert de salle d’attente ou de quai où ils espèrent dans la fièvre ou l’accablement pouvoir monter dans leur train, celui de leur destin qu’ils veulent absolument accomplir en pleine lumière comme les vivants de chair et d’os. Tout cela me fatigue, certes, mais la fatigue est bien pire quand l’autre train, celui de la narration, s’arrête sans raison apparente en rase campagne ou à un carrefour anonyme.
Photos Christian Cottet-Emard
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