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18 septembre 2016

Carnet / Camões, Pessoa, García Márquez, bibliothèque purgée, livres d’occasion et comportement d’achat.

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En comparaison de ces deux chefs-d’œuvre, tout ce que je lis en littérature récente me paraît bien fade. Quant à ce qu’on appelle la rentrée littéraire, cela m’évoque un sentiment d’étrangeté et de découragement qui m’est venu en purgeant ce qui me fait office de bibliothèque, une vieille armoire bressane et des rayonnages relégués dans une pièce annexe de la maison. J’ai en effet réalisé, en remplissant des colis destinés aux entrepôts de la librairie Gibert, que depuis des années, je n’ai pas lu une seule des nouveautés que la presse et l’édition industrielles cherchent à nous fourguer à coups de plus en plus vains de promotion et de publicité massives.

Lorsqu’une de ces nouveautés me passe parfois sous les yeux, elle n’en est plus une puisque je l’ai acquise en édition de poche. Parmi ces livres de tous genres, certains, très peu, m’ont au mieux distrait ou vaguement diverti, ce qui est déjà beaucoup, mais je n’en garde qu’un souvenir flou. J’ajoute que j’ai souvent acheté ces ouvrages en occasion chez Gibert voire dans des dépôts-vente où l’on trouve des fripes, des vieux meubles, des bibelots et de la vaisselle.

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J’étais ennuyé et légèrement honteux d’avoir été incapable, malgré plusieurs tentatives à plusieurs années de distance, d’apprécier et même de lire jusqu’au bout ce que l’on considère habituellement comme le chef-d’œuvre de García Márquez, Cent ans de solitude, beaucoup trop touffu, proliférant et grouillant de personnages à mon goût pour que je puisse m’en imprégner. Après une autre tentative infructueuse avec un grand roman plus classique, L’amour au temps du choléra dont j’avais aimé l’adaptation au cinéma, j’avais la désagréable impression de manquer quelque chose, d’être exclu d’une fête, ce qui m’a dans un second temps conduit à chercher du côté des textes courts du grand écrivain colombien, notamment le délicieux Mémoire de mes putains tristes. Mais c’est vraiment avec les Douze contes vagabonds que j’ai enfin pu accéder au grand art littéraire de García Márquez.

Comme d’habitude lorsque je lis de la littérature romanesque, j’adhère assez peu aux histoires mais essentiellement au style, à la capacité unique d’un écrivain doté d’une vision n’appartenant qu’à lui d’évoquer un univers en quelques phrases voire en quelques mots ainsi qu’on peut le mesurer dans ce formidable instantané : La mer réapparut au bout du labyrinthe de ruelles : neuf mots pour confronter deux espaces qui résument la moitié du monde !

Et après la perspective, le mouvement : En sortant de l’auberge, la señora Prudencia Linero eut devant elle une autre ville. Elle s’étonna de la lumière du soleil à neuf heure du soir, et prit peur en voyant la multitude braillarde qui avait envahi les rues pour profiter du bien-être de la brise nouvelle. Elle se demandait comment il était possible de vivre au milieu des pétarades des Vespa en folie, conduites par des hommes torse nu avec, assises à califourchon sur le porte-bagages, des filles magnifiques accrochées à leur taille, et qui se frayaient un chemin en bondissant et en louvoyant entre les jambons suspendus et les étals de pastèques (extrait de Dix-sept Anglais empoisonnés).

Après de telles fulgurances, se risquer dans l’écrasante majorité des ouvrages mis en avant à grand renfort de marketing et de matraquage publicitaire lors de chaque rentrée littéraire française revient à parcourir l’annuaire des abonnés au téléphone dans la salle d’attente d’une gare de sous-préfecture ! En réalité, la vraie question est de savoir combien de temps ce système éditorial qui a connu son apogée dans les années soixante-dix du vingtième siècle va tenir.

Dans l’accélération de ce processus consistant à fabriquer artificiellement du best-seller dans l’espoir de continuer le plus longtemps possible à faire du chiffre, la littérature s’achemine vers la survie dans une économie de niche, l’un des symptômes les plus évidents de cette évolution étant l’explosion de l’auto-édition. Cette pratique qui ne concernait récemment que les refusés des grands groupes d’édition s’étend désormais aux auteurs de moyens et petits tirages dont la tendance actuelle est de se voir priés par leurs éditeurs (pour ceux qui en ont encore un) d’accepter d’être payés en considération distinguée ou de bien vouloir prendre la porte. À l’évidence, nous entrons dans un autre monde.

Sur ce sujet, la plupart des analyses se focalisent sur les éditeurs et les auteurs. On aurait cependant tort d’oublier que dans ce processus, ce seront les lecteurs et leurs nouveaux comportements de lecture et d’achat de livres qui auront le dernier mot. N’étant probablement pas le seul à ne plus tenir compte des prescriptions de la presse littéraire en matière de nouveautés, à choisir en majorité les éditions de poche et à privilégier l’approvisionnement en livres anciens et d’occasion, de surcroît souvent hors du circuit des librairies, je crois m’inscrire en tant que lecteur dans une tendance lourde qui se fait déjà ressentir dans toute la chaîne de l’économie du livre.

 

16 octobre 2015

Carnet / Barcelone à distance

Avec une ville, c’est comme avec quelqu’un, le courant passe ou non. Malgré les bons moments vécus à Barcelone, je n’ai pas accroché plus que cela avec la capitale catalane.

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La rambla del mar et le Port Vell

 

Dès le premier soir avec Marie, nous avons descendu la Rambla à deux pas de l’hôtel jusqu’au Port Vell dont l’imposante passerelle de bois, la Rambla del Mar, nous a conduits au Moll d’Espanya, un immense quartier moderne gagné sur la mer ou s’éclaire au crépuscule l’enseigne Shopping & Dining du vaste centre commercial Maremagnum.

 

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Le centre commercial Maremagnum

Après quelques excellentes mais onéreuses tapas de poisson accompagnées d’un verre de blanc, nous avons flâné dans le dédale de boutiques de luxe peu fréquentées à cette heure de l’apéritif, ce qui m’a permis de remarquer une femme entièrement voilée de noir qui venait de faire ses emplettes dans un magasin de parfumerie et d’accessoires de marque. Ses mains gantées ont rassemblé les sacs griffés face au sourire mi-inquiet mi-commercial de la vendeuse et sa silhouette a flotté dans l’allée vide au sol brillant avant de s’évaporer comme une brume, vision glaçante et spectrale d’un futur houellebecquien si l’Occident ne se réveille pas de sa torpeur boutiquière et ne fixe pas fermement ses limites. Sous nos yeux désormais, l’alliance moins inattendue qu’il n’y paraît de l’archaïsme le plus obscur au consumérisme le plus clinquant puisque l’un comme l’autre, dans leur feinte opposition, excluent le libre arbitre et l’esprit critique.

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En remontant la Rambla, le soir 

Peu rassasiés par les tapas, nous avons fait demi-tour et sommes retournés vers les quartiers anciens où nous avons dîné dans un restaurant moyen où l’on parlait français avant de rejoindre la Rambla jusqu’à la Boqueria / Mercat de Sant Josep, le grand marché traditionnel de la ville dont les derniers étals remballaient vers 22h. 

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L'entrée du marché

Pour la suite du séjour, afin d’éviter les plateaux de tapas vendus au prix des petits fours (n’oublions quand même pas qu’à l’origine, les tapas étaient des restes, des « rogatons » astucieusement accommodés et destinés à être grignotés sur le pouce — alors à prix égal, autant se taper une bonne tranche de morue grillée avec ses petits haricots ronds), nous avons décidé de manger sur ce marché au centre duquel des kiosques sont équipés de comptoirs où l’on cuisine devant les clients tous les produits frais évidemment disponibles sur place.

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Morue grillée et haricots cuisinés sur le marché

Ambiance et gourmandise garanties mais additions plutôt salées pour un marché. Rien à voir avec les marchés portugais, notamment à Porto, où l’on se régale aussi en produits frais bien cuisinés mais pour trois ou quatre fois moins cher, notamment dans les restaurants populaires. Sur le marché Sant Josep, il existe aussi une multitude de petites gourmandises pas chères à déguster debout, notamment de succulents verres de jus de fruits pressés à un euro. Quant aux friandises de toutes sortes, sucrées et salées, elles débordent des étals où elles vous sont servies à un rythme effréné. 

À Barcelone, tout va vite, très vite, trop vite, ce qui peut dérouter les tempéraments nonchalants comme le mien. Quant aux horaires (notamment de repas), il n’y en a pas. Les gens mangent tout le temps, à une cadence soutenue, ce qui n’empêche pas les personnels de service et les commerçants de se montrer gentils et patients, en particulier avec les touristes dans mon genre, incapables d’aligner une seule phrase dans une langue étrangère. 

En ce qui me concerne, malgré les langues vivantes au programme du collège et du lycée, je n’ai jamais pu m’exprimer autrement qu’en français, non pas parce que j’avais de mauvais professeurs mais parce que ce genre d’apprentissage est hors de ma portée. Pour moi, apprendre à parler une langue étrangère, en dehors des difficultés techniques insurmontables que cela suppose, a quelque chose à voir avec l’exil, ce serait comme changer de maison. Je n’en suis pas fier et j’en éprouve une grande frustration puisque cela constitue un obstacle à une éventuelle installation au Portugal pour moi et les miens au cas où la situation deviendrait trop pénible voire dangereuse en France (que la Providence nous en préserve). Je me console de cette faiblesse en constatant que dans les pays étrangers que je connais (à part la défunte Yougoslavie où je ne remettrai jamais les pieds malgré la beauté des paysages de la Croatie), les autochtones ont souvent à cœur de montrer qu’ils se débrouillent en français et apprécient qu’on les en complimente.

À l’heure où j’écris ce carnet, j’ai sous les yeux le guide de Barcelone qui traîne sur mon bureau et dont les images devraient désormais me parler mais ce n’est guère le cas comme ce le fut pour Venise, Rome, Lisbonne et Porto. Je n’ai pas ressenti cette ville au fond de mon esprit, je n’ai pas réussi à en saisir l’âme malgré les lieux que j’ai le plus appréciés tels que les vieilles rues du Barri Gotic, la place Reial avec ses palmiers et ses grands cafés où j’ai bu des cocktails et du Cava en fumant des Upmann. 

Peut-être cette difficulté à véritablement vivre Barcelone s’explique-t-elle par les excès de la gestion du tourisme de masse à coup sûr aux mains de technocrates qui raisonnent en terme de « flux de visiteurs à optimiser » , surtout sur le plan financier. Les musées sont ruineux et les plus connus inaccessibles sans billets coupe-file réservés sur internet avant même le départ. Pas question de musarder et d’entrer au dernier moment au gré de l’inspiration ainsi que nous en avons l’habitude lors de nos voyages. 

Nous avons fait le tour de la Sagrada Familia sans pouvoir y entrer, ce qui est regrettable car elle est à mon avis plus belle à l’intérieur qu’à l’extérieur avec ses arches arachnéennes et son côté Facteur Cheval à la puissance mille.

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Le chantier permanent de la Sagrada Familia

Les cars de touristes se déversent sur Gaudi comme sur Disneyland, sans doute est-ce ainsi qu’une partie de ces distraits abordent cette architecture dont le délire mâtiné de prouesse technique aux limites de ce que peuvent supporter les lois de la pesanteur semble voué à ne rien exprimer d’autre que le vertige et l’obsession de la prolifération. En cela, Gaudi est un visionnaire de nos temps rétifs à toute intériorité. J’ai trouvé l’antidote sur les hauteurs de Montjuic où un anglais nous a mystérieusement cédé ses billets d’entrée valables pour une journée à la Fondation Miro dont l’œuvre m’a toujours beaucoup parlé. 

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À l'entrée du concert au Palais de la Musique Catalane

Sur le plan musical, nous avons réussi à réserver le seul concert disponible dans nos dates au Palais de la Musique Catalane dont la grande salle constellée de verrerie et de mosaïques multicolores a été conçue par l’architecte comme un jardin où la nuit ne tomberait jamais.

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Une salle de concert certes extravagante et somptueuse où l’on accède par un escalier monumental mais qui ne saurait faire oublier un programme un peu trop court lors de cette soirée où Manuel de Falla et Isaac Albéniz ne faisaient que passer entre deux Zarzuelas auxquelles quelques ballets conventionnels quoique professionnels n’apportaient rien d’autre qu’une note un peu trop folklorique, sans parler de certains auditeurs agités, bruyants et mal élevés, mal assortis à ce lieux raffiné.

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La coupole inversée de la salle de concert

Pour finir, un conseil à qui ne voudrait pas manquer de découvrir cette salle prestigieuse : prenez d’emblée un concert et faites l’économie de la visite touristique en groupe qui vous soulagera de la somme excessive de 18 euros par personne sous prétexte de vous imposer un guide. Il vous plantera dix minutes devant des annonces publicitaires et des propos convenus de stars du classique avant de vous infliger une brève conférence au cours de laquelle il vous parlera comme à des demeurés. Quand je pense que certains lui ont donné un pourboire en sortant ! 

Voilà qui résume hélas un des aspects pompe à fric de Barcelone, ce qui n’enlève heureusement rien à son prestige et à sa démesure auxquels il faut aussi ajouter un indéniable attrait en matière de shopping avec l’incontournable Corte Inglés, les belles fringues et les caves à cigares au choix étourdissant. 

On est loin de l’époque décrite par le texte d’un écrivain étudié au lycée en cours d’espagnol et dont j’ai oublié le nom. Barcelona hora punta, ainsi s’intitulait l’extrait, évoquait une ville grise du milieu du vingtième siècle en proie au malaise social des ouvriers. La déferlante du tourisme a modifié le paysage social en profondeur en apportant un autre style de précarité pour les moins qualifiés. Est-ce pour rassurer les foules de visiteurs que la présence policière est si massive et si visible ? Au moins les espagnols ne semblent-ils pas avoir de complexes, contrairement à nous français, avec ces impressionnants déploiements de forces (voitures rapides, fourgons équipés de grilles anticaillassage, policiers en tenue armés jusqu’aux dents) qui ne peuvent peut-être pas supprimer toute menace mais qui ont le mérite d’envoyer un message clair à l’ennemi.

Je dédie cette conclusion à celles et ceux qui vont m’enlever de leurs contacts FB après l’avoir lue.

(À suivre, peut-être...)

Photos CCE

07 octobre 2015

Carnet / Du rythme intime

L’automne à ma fenêtre. Roses tardives, derniers cosmos.

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Quelques jours avant, le rythme, les foules et les courants d’air des grandes avenues de Barcelone, son métro noir et moite, ses façades théâtrales, son passé austère, son futur clinquant et son présent fébrile, ses marchés en vitraux, ses palabres, ses nuits courtes, ses réveils agités, ses déjeuners sur le pouce. 

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Maintenant, retour aux heures lentes où l’on entend tomber les feuilles et craquer les arbres.

Les manuscrits à relire sans cesse, les projets à adapter après les avoir négligés, faire l’effort de s’imposer un peu, négocier juste ce qu’il faut. Relancer une ou deux personnes intéressées. Pas envie. On sait où me joindre. Ce qui doit arriver de bien doit arriver facilement ou ne pas arriver. Laisser venir, se tenir à distance sans rompre le fil mais sans se laisser entraîner par la vitesse des autres. 

L’automne et l’hiver à ma porte mais de petites provisions de printemps et d’été dans mon esprit pour que le ciel reste ouvert.