04 novembre 2015
Carnet / De la patate chaude de la culture
À Oyonnax la culture n’est, semble-t-il, pas une chance mais un problème, « une patate chaude que la ville céderait volontiers à la Communauté de communes » . C’est ce qu’on a pu lire le 2 novembre sur des affiches signalant un article du quotidien local qui traite le sujet sous l’angle financier. Le malaise est pourtant bien plus profond et récurrent.
Oyonnax et la culture, c’est un feuilleton, un psychodrame, pas passionnant je le concède, mais dont certains épisodes méritent parfois quelques minutes d’attention. Cette histoire de patate chaude est révélatrice du vieux clivage existant entre les municipalités de droite et la culture.
Personnellement, je veux dire en tant qu’usager, je n’attends plus rien depuis longtemps de l’action culturelle à Oyonnax, non pas parce que les professionnels font mal leur métier mais parce qu’ils travaillent dans une ambiance à mon avis délétère.
À ce contexte négatif que je veux bien être gentil de qualifier de conjoncturel, s’ajoute une double hostilité oyonnaxienne à la culture, aussi bien de la part d’une classe dominante soucieuse depuis les origines du développement industriel d’Oyonnax de maintenir les électeurs dans des distractions plus ou moins infantiles que de la part d’une population économiquement et sociologiquement fragile, conditionnée depuis des générations à la méfiance et au mépris à l’encontre des « intellos » , en d’autres termes, des artistes, des écrivains, de celles et ceux qui aspirent à être au monde autrement qu’en simple producteurs consommateurs.
Ces deux courants de la petite société oyonnaxienne se sont toujours rejoints dans leur rejet commun de la culture comme on a pu le voir lors des échanges souvent imprécatoires qui ont marqué le débat politique dès que la construction du centre culturel a été décidée.
À peine inauguré, le centre Aragon a ployé sous la pression politique, son fonctionnement focalisant en permanence les affrontements idéologiques déclarés ou sous-jacents caractéristiques de l’enclavement géographique et culturel d’une bourgade ouvrière en proie à l’interminable gueule de bois de la fin des Trente Glorieuses (pas si glorieuses que ça d’ailleurs si l’on veut bien relire 325000 francs de Roger Vailland). Dans ce roman plus sociologique que littéraire, Roger Vailland dépeint une communauté essentiellement structurée par le passage de l’artisanat à l’industrie et composée d’une petite bourgeoisie d’origine ou parvenue présidant aux destinées d’une population d’ouvriers, de contremaîtres et de petits employés chichement divertis en bals musette, concours de boules et courses cyclistes. Entre ces deux groupes, pas encore de classe moyenne en quête de culture autre que cinématographique.
Cette classe moyenne qui se constituera par la suite au rythme du développement du plein emploi et des services administratifs et sociaux connaîtra les concerts classiques et les pièces de théâtre montées dans la salle omnisports et autres gymnases qui ont toujours été les équipements prioritaires des différentes municipalités oyonnaxiennes. La bonne vieille recette du sport pour contrôler et endiguer le temps libre d’une population à laquelle le travail en usine eût éventuellement laissé un petit surplus de vitalité.
Autre avantage de l’embrigadement sportif, la constitution d’un semblant d’identité pour une ville qui a toujours peiné à s’en trouver une, ce qui explique l’addiction de ses décideurs à la reconnaissance médiatique nationale à tout prix, véritable obsession se traduisant aujourd’hui par l’hystérie autour du ballon et une frénésie de communication illustrée par une débauche d’affichage grotesque défigurant l’espace public. Je ne sais pas avec quelle officine de reprographie travaille la ville mais je pense qu’elle doit bénir Oyonnax.
L’équilibre fragile et assez laborieusement maintenu au moyen de cette identité artificielle ne pouvait intégrer sans problème l’aspiration à la culture qui est toujours une volonté d’élévation, d’épanouissement individuel et parfois de rupture avec l’ordre établi si celui-ci se montre trop étroit ou trop coercitif. C’est pourtant ce processus qui a permis à la culture d’irriguer lentement Oyonnax jusqu’à l’arrivée de la gauche à la mairie à la faveur d’une faible mobilisation électorale d’une droite trop sûre d’elle. C’est aussi lors de cette courte alternance politique que fut construit le centre Aragon, à la grande fureur de ses détracteurs les plus acharnés dont les enfants et petits-enfants sont aujourd’hui bien contents d’utiliser les services.
Il n’en reste pas moins vrai que la création de ce bel équipement est restée en travers de la gorge des gestionnaires purs et durs, notamment ceux qui ont toujours pensé qu’Oyonnax n’avait besoin que d’une salle des fêtes. Même si le centre Aragon ne sera jamais une salle des fêtes, le danger n’a jamais été plus grand de le laisser devenir une coquille vide.
Le risque existe dans un contexte qui cumule les menaces sur la culture à Oyonnax : rétrécissement de la classe moyenne (habituellement demandeuse d’offre culturelle exigeante et dotée d’un budget pour se l’offrir), précarisation financière croissante des populations à revenu modeste, vieillissement du public éduqué et cultivé, conflit de générations éloignant une forte proportion de jeunes d’une culture jugée bourgeoise et, phénomène inquiétant, émergence de formes identitaires et religieuses d’un rejet de la culture occidentale.
Ces tendances lourdes de la société sont particulièrement visibles dans des villes telles qu’Oyonnax. Envisager de répondre à ces problématiques par des mesures financières d’incitation et d’encouragement à l’accès à l’offre culturelle locale, ainsi que l’évoque dans la presse l’adjointe à la culture d’Oyonnax, n’est pas proportionné à l’ampleur des clivages, pas plus que cette dérive consistant à transformer les centres culturels en annexes de centres sociaux. L’action culturelle et l’action sociale n’ont pas à se mélanger même si de fait, l’une et l’autre profitent de leurs bénéfices respectifs là où le système fonctionne encore dans les grandes villes.
Enfin, persister à rogner toujours plus la variété et la qualité des animations et des programmes de spectacle sous le fallacieux et démagogique prétexte de les adapter à une supposée demande locale ne fait qu’entériner le renoncement à tous les objectifs et les espoirs suscités à ses débuts par le centre culturel Aragon.
À ce rythme, ce n’est plus une patate chaude que les différents décideurs se refileront mais quelques épluchures.
11:48 Publié dans carnet, NOUVELLES DU FRONT | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : carnet, note, journal, écriture de soi, autobiographie, prairie journal, blog littéraire de christian cottet-emard, actualité, nouvelles du front, christian cottet-emard, presse, le progrès, culture, oyonnax, communauté de communes, patate chaude, centre culturel aragon, centre culturel oyonnax, action culturelle, ain, rhône-alpes, france, europe, politique, mairie d'oyonnax, municipalité oyonnax, culture oyonnaxienne, roger vailland, 325000 francs, condition ouvrière, monde ouvrier, industrie, artisanat, petite bourgeoisie, trente glorieuse, plein emploi, précarisation financière
08 mai 2014
Carnet / Un déchet lourd de sens
Aujourd'hui 8 mai, je reprends cet objet (plutôt ce déchet) que j'ai toujours vu chez mes grands-parents depuis ma plus tendre enfance. Ils le conservaient sur le marbre de la cheminée. Il s'agit d'un éclat d'une bombe de la seconde guerre mondiale retrouvé sur le toit de la maison après un bombardement. Sur le détail de la photo, on distingue un nombre, sans doute un numéro de fabrication ou de série. L'industrie est méticuleuse, y compris l'industrie de la mort.
Lorsque la maison de famille a été vendue après la disparition de ma grand-mère, j'ai hésité à récupérer cette lourde pièce de métal rouillé et déchiqueté à manipuler avec prudence tant elle est redoutablement coupante. Finalement, j'ai choisi de garder cet éclat de bombe dans un placard au lieu de le placer en vue comme un bibelot.
Je n'ai pas envie de l'avoir toujours sous les yeux mais je ne souhaite pas pour autant m'en séparer car je trouve que cette chose « parle ». Cet objet sinistre parle du travail, de l'industrie, de la performance, de la concurrence, de l'usine, de l'économie, de la politique. Cette chose n'en finit pas de parler de la façon dont l'homme a choisi d'être au monde.
Photos : j'ai disposé l'éclat de bombe sur une assiette pour indiquer sa taille. Sur le toit de la maison, il y en avait d'autres beaucoup plus petits qui ont aussi été conservés.
02:38 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, 8 mai, éclat de bombe, bombe, bombardement, métal, explosion, seconde guerre mondiale, 8 mai 1945, blog littéraire de christian cottet-emard, usine, production, industrie, concurrence, performance, technologie, technique, entreprise, politique, économie
09 novembre 2011
Commémoration
Humour militaire
L’humour involontaire des militaires quand ils disent d’un pauvre gars mobilisé qu’il a rejoint son corps alors que désormais, il risque fort de le quitter.
Photos : éclat d'une bombe de la seconde guerre mondiale retrouvé sur le toit de la maison de ma famille après un bombardement.
Sur le détail de la photo, on distingue un nombre, sans doute un numéro de fabrication ou de série. L'industrie est méticuleuse, y compris l'industrie de la mort.
16:45 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bombe, éclat, guerre, soldat, industrie, orages d'acier, commémoration, violence, arme