Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04 juillet 2022

Nouvelle / Mariage d'automne

nouvelle,prose,littérature,fiction rmanesque,christian cottet-emard,littérature sentimentale,blog littéraire de christian cottet-emard,été,automne,mariage,éditions germes de barbarie,le fleix,dordogne,périgord,france,europe,aquitaine,mariage d'automne,pomme de pin,océan,dunes,forêt,bord de mer,plage,marée,phare,tristan,helga,andrade,panicauts,escarpins

Tristan ramassa une pomme de pin. L’océan s’était retiré et l’on pouvait s’approcher des bancs de sable. Tristan pataugea dans les petites flaques où se reflétaient des lambeaux de ciel qui brillaient comme des écailles de poisson puis se dirigea vers les dunes. Il aboutit à une cuvette où le bleu des panicauts se détachait  de la blancheur du sable. Il prit la direction du phare blanc et bleu qui, tel un berlingot géant, s’élevait au-dessus de la pinède. Pour l’atteindre, il lui fallait traverser cette zone intermédiaire où la végétation se densifie, juste avant les premiers chênes-lièges aux troncs tordus parfois jusqu’à l’horizontale par le puissant vent d’ouest. C’est en ces lieux étranges qui n’étaient plus de la dune mais pas encore de la forêt que Tristan avait ramassé la pomme de pin. Un promeneur avait dû l’envoyer jusqu’ici d’un coup de pied. Elle n’est pas à sa place ; comme moi, se dit-il en se laissant de nouveau envahir par ses soucis. Sa sœur, chargée de surveiller son courrier, avait déposé un message sur son portable pour l’informer qu’il était convoqué par l’agence pour l’emploi dans une dizaine de jours. Il serait donc rentré. Il aurait certes pu prévenir l’agence de son départ, ainsi qu’il en avait le droit, mais il s’en était abstenu en raison de la brièveté des vacances qu’il s’octroyait. Avoir à se justifier d’une escapade estivale... N’était-il donc plus un homme libre ? Tristan s’assit à l’ombre, dans le sable, et tenta de se livrer au miroitement des aiguilles de pin dans la brise. Il regretta d’être parti sans l’appareil photo car son regard venait de s’arrêter sur une plante qui pouvait être l’astragale de Bayonne. D’habitude, cette discrète au nom extravagant affectionnait plutôt le littoral du Pays basque ou de la Bretagne mais peut-être avait-elle trouvé ce coin des Landes à sa convenance ? Il se promit d’en discuter avec Andrade, un  bibliophile de sa connaissance, qui lui avait permis de consulter des ouvrages de botanique illustrés de planches en couleur dans sa bibliothèque. Tristan avait pu s’en inspirer pour ses aquarelles qu’il arrivait parfois à vendre à des éditeurs de guides naturalistes. Il avait ce don que chacun lui reconnaissait mais qu’il n’avait jamais réussi à transformer en un vrai métier avec des revenus réguliers et décents. La chaleur allait augmenter, mieux valait rentrer à l’auberge. Il dégusta quelques abricots à midi sur la table de jardin. Derrière, finissait un champ de maïs dont les feuilles se frottaient entre elles sous l’effet de la brise. La nuit, quand le vent se levait, le maïs faisait un bruit d’averse. Tristan s’y était trompé. Il s’était levé et s’était retrouvé au clair de lune dans la pelouse en compagnie d’un hérisson qui se croyait tout seul.
 
Souvent, Helga taquinait Tristan. « Ne fais pas ton hérisson ! » lui soufflait-elle lorsqu’il s’ennuyait lors d'une soirée. Aujourd’hui, Helga se mariait. Tristan avait trouvé l’invitation en rentrant de vacances et maintenant, au milieu de cette foule endimanchée se levant et s’asseyant au rythme des injonctions du prêtre, il pensait au hérisson au milieu de la pelouse. C’était un beau mariage, classique, sans fautes de goût, le genre de mariage parfait. Un automne tout en blondeur s’était installé et le soleil s’avançait jusqu’au milieu de la nef par la porte ouverte sur le parvis de l’abbatiale. Au bras de son père, Helga marchait au son de l’orgue. Tristan observa ses chevilles rehaussées par les talons de ses escarpins blancs. Elle avait dû s’entraîner dur à marcher avec de telles chaussures, elle qui choisissait toujours des semelles plates. Elle s’en sortait très bien. Le couple allait bientôt se présenter face au prêtre pour échanger les alliances. Le futur mari eut du mal à réprimer un début de fou rire. Helga lui lança un regard courroucé. Tout rentra dans l’ordre et la cérémonie se termina. Tristan rejoignit le parvis afin de voir les mariés sortir pour les photos. Helga aperçut Tristan. Elle sourit et lui fit des signes en lui indiquant la direction de la salle paroissiale où était servi l’apéritif. Il n’eut que deux secondes pour la féliciter. Le père de la mariée lui apporta un verre et lui adressa un chaleureux « à tout à l’heure ! » qui anéantit son projet de déserter le repas de noces. Ses voisins de table l’accueillirent par un sonore « Bienvenue au carré des célibataires ! » Qu’importe. Pour Helga, il ne ferait pas son hérisson. Et puis, tous ces gens étaient plutôt sympathiques, bien élevés. Ils avaient dû couvrir le jeune couple de cadeaux très chers. Il pensa à son cadeau et s’inquiéta. Une esquisse de pomme de pin sur papier chiffon, assez réussie, qu’il avait fait encadrer par un professionnel. C’était peut-être un peu juste... Il quitta la table, se fraya un chemin parmi les danseurs et sortit sur la terrasse qui surplombait le parc. La douceur de la nuit révélait les effluves de roses tardives. Il arriva au seuil d’une serre de jardin opalescente sous le clair de lune. Il entra et flâna parmi les plantes. Un pas se fit entendre sur le gravier. Helga apparut. « Excuse-moi, je t’ai vu sortir et je t’ai suivi. Tu ne m’en veux pas ? » Elle s’approcha et demanda : « Tout va bien ? Tu ne t’ennuies pas trop ? » Elle se courba et enleva ses escarpins. Tristan s’inquiéta des marques rouges sur ses chevilles délicates. Elle s’avança plus près et dit « Ce n’est rien... » Il plaisanta : « Tu t’es plutôt bien débrouillée avec ces hauts talons. » Oui, je me suis bien débrouillée » répondit-elle avec un sourire las. Un silence s’installa. Tristan la regarda et dit : « Un ange passe. » Elle sourit et reprit : « C’est gentil d’être venu, j’apprécie, tu sais. J’ai beaucoup aimé ton cadeau. En réalité, c’est le cadeau que j’ai préféré. » Tristan voulut la remercier mais elle s’avança doucement et se blottit contre son épaule. Elle pleura et ils restèrent ainsi une éternité, pris de stupeur.
 
 
© Éditions Germes de barbarie et l'auteur.
 
 
 
Projet de couverture du recueil de nouvelles :

nouvelle,prose,littérature,fiction rmanesque,christian cottet-emard,littérature sentimentale,blog littéraire de christian cottet-emard,été,automne,mariage,éditions germes de barbarie,le fleix,dordogne,périgord,france,europe,aquitaine,mariage d'automne,pomme de pin,océan,dunes,forêt,bord de mer,plage,marée,phare,tristan,helga,andrade,panicauts,escarpins

Couverture de l'édition originale (2017) :

nouvelle,prose,littérature,fiction rmanesque,christian cottet-emard,littérature sentimentale,blog littéraire de christian cottet-emard,été,automne,mariage,éditions germes de barbarie,le fleix,dordogne,périgord,france,europe,aquitaine,mariage d'automne,pomme de pin,océan,dunes,forêt,bord de mer,plage,marée,phare,tristan,helga,andrade,panicauts,escarpins

Infos et commandes

 

 
 

20 février 2021

Carnet / Par la petite porte

carnet,note,journal,littérature,poésie,poème,recueils,poèmes du bois de chauffage,aux grands jours,christian cottet-emard,porte,petite porte,blog littéraire de christian cottet-emard,rue,immeuble,mur,jardin,plage,berge,rivière,mer,océan,seuil,écriture,photographie,promenade,rêverie

Il ne m’est jamais arrivé de ma vie de me lever le matin et de me dire : aujourd’hui, je vais écrire un poème. J’y songe en parcourant les deux volumes de poésie (du moins étiquetés ainsi, même s’il s’agit peut-être d’autre chose, peu importe) que j’ai publiés ces deux dernières années, Poèmes du bois de chauffage et Aux grands jours. L’ensemble représente à peu près trois-cent-soixante pages et il reste tout ce que je n’ai pas publié, soit à ce jour l’équivalent d’un troisième volume, mais ce n’est pas ma priorité.

En revanche, je me lève très souvent dans cet état d’esprit particulier qui annonce l’écriture d’un poème ou de ce que l’on continue de nommer ainsi. Décrire cet état de conscience n’est pas simple.

Ce serait comme marcher tranquillement dans une rue monotone en longeant des immeubles et des murs puis, subitement, s’arrêter au seuil d’une petite porte à peine entrouverte. Le plus souvent, c’est une porte en bois à la peinture délavée. Lorsqu’on la pousse, elle n’ouvre pas sur un intérieur mais sur un extérieur, parfois un jardin, parfois une plage. Une fois, la porte ouvrait sur la berge d’une rivière. Il arrive que l’ouverture déclenche une petite brise ou un peu de vent, un courant d’air frais ou un souffle tiède et parfumé comme celui du fœhn.

Qu’on franchisse ou non le seuil, on sent que le poème, lui, est entré en soi et qu’un jour il sera peut-être écrit, mais en ce qui me concerne, seulement si cela me chante.

 

 

 

25 juillet 2020

Une nouvelle pour l'été

Beignets ! Qui veut des beignets ?

 mariage d'automne, christian cottet-emard, éditions germes de barbarie, le fleix, périgord, aquitaine,blog littéraire de christian cottet-emard,plage,été,mer,baignade,danger,baïne,océan,parasol,ciel,dune,fanions,cerfs-volants,sauveteurs,baignade dangereuse,vague,beignet,fiction,nouvelle,nage,natation,nager,faire la planche,sable,écume,statue de sel,hallucination

« Beignets ! Qui veut des beignets ? Beignets ! » criait dans le sable la petite étudiante râblée. Elle poussait son cri de guerre commercial mais son appel se suspendait dans les airs comme les fanions, les cerfs-volants et les avions en plastique qui tournoyaient au-dessus des parasols bariolés.

« Il n’y a pas trop de vagues, je vais nager un peu » dit-il à sa femme qui lisait. Après quelques foulées parmi les serviettes et les châteaux de sable, il marcha dans l’écume en prenant soin de vérifier qu’il se trouvait au milieu de l’aire de baignade matérialisée par deux fanions. Il entra dans l’eau sans peine, commença de nager alors qu’il avait encore pied, grimpa quelques petites vagues et profita du calme de l’océan ce jour-là pour faire un peu la planche.

Dès qu’il voyait enfler une vague un peu plus haute que les autres, il se repositionnait sur le ventre et se laissait soulever en gardant un œil sur les sauveteurs perchés au sommet de leurs sièges métalliques. Dès qu’il se sentait dériver vers la limite de baignade, il nageait vigoureusement de manière à regagner le milieu de la zone surveillée aménagée entre les dangereuses baïnes.

Après un bon quart d’heure de bain, une légère fatigue l’alerta sur la nécessité de retourner au sec mais au même moment, il réalisa qu’il se trouvait immobilisé dans une sorte de cuvette invisible. Il ne sentait aucun courant le tirer vers le large mais il ne pouvait presque pas progresser en direction de la plage pourtant assez proche. Il décida d’accentuer son effort mais rien n’y fit, pas moyen de rentrer.

Un regard vers les sauveteurs lui confirma qu’il ne s’était pas éloigné mais qu’il était bien bloqué dans ce qui ressemblait à un tourbillon alors qu’à quelques mètres devant lui, d’autres nageurs regagnaient le bord sans problème. Il força un peu plus sur les bras en veillant à ne pas s’épuiser dans des mouvements désordonnés qui risquaient non seulement de l’essouffler mais encore d’alerter les sauveteurs. Réapparaître sur la plage dans les bras d’un sauveteur, il n’avait aucune envie de connaître cette honte, mais l’idée l’effleurait maintenant de les appeler au cas où ses forces déclineraient trop vite.

Il se sentait en effet de plus en plus fatigué. Pour ne rien arranger, une vague qu’il n’avait pas vu arriver se brisa sur lui. Il émergea du bouillonnement le souffle de plus en plus court. Son cœur battait plus vite. Un début de panique le gagna. Il se trouvait pourtant toujours à la même faible distance de la plage et des sauveteurs. Pour reprendre son souffle, il décida de se laisser flotter quelques instants sans nager en espérant qu’une vague en formation finirait par le hisser hors de cette nasse. Il pria surtout pour qu’aucune grosse vague ne se forme plus loin derrière et ne vienne le rouler trop violemment dans les flots alors qu’il se sentait de plus en plus en perte d’énergie.

Une sensation étrange l’envahissait. Le monde autour de lui semblait devenu subitement gris. Le ciel, l’océan et la plage avaient perdu leurs couleurs. Tout était d’un gris uniforme, comme s’il se trouvait désormais prisonnier d’une photo en noir et blanc mal développée. « Eh bien voilà comment ça va finir » , pensa-t-il avec dépit. « Je suis né en 1959 et ça va finir ainsi. Jamais je n’aurais prévu que cela finisse de cette manière. J’aurais dû manger un sandwich avant de me baigner » .

Il pensa à sa femme qui avait toujours été là pour lui, d’un amour infatigable, aux vacances gâchées, à sa fille qui n’était pas venue avec eux et à qui il se reprochait maintenant de ne pas avoir pris le temps de dire qu’elle devait se montrer toujours prudente, qu’elle devait se méfier de la baignade, même entre les fanions... La preuve.... Plus jamais de beignets, plus jamais de sandwichs, plus jamais...

Maintenant, au milieu de cette eau grise, il sentait le froid l’envahir. Il tourna encore une fois la tête en direction du large lorsqu’il vit grandir une très grosse vague, sombre, plombée, sinistre. Mais la vague ne s’effondra pas sur lui. Elle semblait en suspens, bloquée dans son ascension. Au sommet de sa crête d’écume, se tenait une statue de femme, une belle femme. « Belle, certes, très belle même, mais pas vraiment mon genre » , pensa-t-il. Cette statue était aussi une statue de sel. Il se dit qu’il ne fallait pas la regarder, qu’il lui fallait détourner les yeux et regarder en direction de la plage quoiqu’il arrive, regarder absolument la plage et surtout pas cette statue.

Il détourna donc les yeux, tourna le dos à la statue, s’allongea sur le ventre en fixant la plage et attendit la chute de la vague. Il sentit alors une force le soulever et le pousser vers les parasols qui reprenaient progressivement leurs couleurs. Il distinguait le sien et voyait sa femme qui était là comme elle avait toujours été là pour lui.

Il entendait aussi la petite étudiante râblée qui poussait son cri de guerre commercial « Beignets ! Beignets ! Qui veut des beignets ? Beignets ! »

Comme la vie en couleur était étrange, vraiment. Bien plus étrange que la statue de sel au sommet de la grande vague.

 

mariage d'automne,christian cottet-emard,nouvelles,éditions germes de barbarie,le fleix,dordogne,aquitaine,périgord,oyonnax,librairie mille feuilles,ain,rhône-alpes auvergne,france,haut bugey,la rolls verte,©éditions germes de barbarie,droits réservés,copyright,blog littéraire de christian cottet-emard,rolls corniche,médiathèque municipale oyonnax,centre culturel aragon oyonnax,littérature,fiction

Nouvelle extraite de mon recueil Mariage d'automne, éditions germes de barbarie, 2017. Tous droits réservés © éditions Germes de barbarie 2017.

Pour Oyonnax et sa région, ce livre est disponible en prêt à la médiathèque municipale d'Oyonnax au centre culturel Aragon.

Une lecture de Mariage d'automne par Didier Pobel :

S'il fallait définir - quelle idée, on vous l'accorde! - les nouvelles de Christian Cottet-Emard, ce serait, disons, des traces. Traces de temps, traces d'amour, traces de vie. Quelque chose comme ces "grands rectangles clairs"  laissés par les tableaux retirés d'un mur évoqués dans le sixième texte. L'intrigue a toujours la minceur d'un fil. Un barbecue noyé par l'orage sous lequel clapote "la ruine de nos existences". Les noces d'une amie où un invité chômeur, "pas à sa place", doute de son cadeau. Les manigances d'un étrange couple en Rolls verte. Les retrouvailles entre un vieil écrivain et une femme dont elle fut jadis brièvement l'amante...

   Les protagonistes existent à peine. L'un d'eux s'adonne à la simple "observation de l'air", un autre se réconforte à la vue d'un forsythia au bord d'une voie ferrée. Il s'appelle Mhorn. Pas étonnant qu'il appartienne tout particulièrement à cette  "morne confrérie de nouveaux nomades exilés"  traversant ces proses aux volutes syntaxiques de cigare où affleure une mélancolie acidulée que ne renieraient ni Henri Calet ni Jules Laforgue en vadrouille à la fin du recueil.

   Un ouvrage qui, quoique intitulé Mariage d'automne, pourrait bien offrir toutes les vertus d'une délicieuse lecture d'été. À l'ombre des "nuages lenticulaires". Ou au bord d'un lac bugiste. Instantanés, scènes intimistes. Côté court, Cottet jardin.