26 juillet 2014
Robots rédacteurs : l'économie et le sport en première ligne ?
Très peu de temps après avoir reçu ma carte de presse lors de mes débuts professionnels lorsque j’avais une vingtaine d’années, j’ai compris qu'en raison de l’inanité et du caractère répétitif de l’information sur laquelle je travaillais, celle-ci pouvait être traitée par un robot. À cette époque, l’informatisation de la profession commençait à peine dans les rédactions mais le non regretté patron de presse feu Robert Hersant rêvait déjà d’un journal sans journalistes. La réalité vient de rattraper son rêve.
J’ai en effet lu dans Le Monde que l’agence de presse américaine Associated Press utilise désormais le logiciel Automated Insights pour fournir des articles d’information économique. L’article du Monde nous apprend que la production automatisée de contenus est poétiquement appelée Science narrative et que, selon Kris Hammond, chercheur à l’université de Northwestern, d’ici à 2025, 90% des contenus accessibles au grand public seront produits par des robots écrivants. Je découvre aussi avec ravissement que l’agence Associated Press s’apprête à utiliser le logiciel Automated Insights pour ses articles de sport universitaire !
Je note au passage que les premiers contenus concernés par cette évolution technologique sont l’économie et le sport, ce qui n’a rien d’étonnant puisque, dans ces deux rubriques, le chiffre comptant plus que le sens, des algorithmes suffiront largement pour contribuer à l’élaboration d’un article automatique.
Les occasions de rire étant rares en ce moment, je n’ai évidemment pas loupé celle-là, d’autant que, nous précise l’article du Monde, toujours selon le chercheur Kriss Hammond, ce phénomène se traduira par un accroissement gigantesque des contenus sur le Web. (!) On rejoint ici, toute proportion gardée, la situation de la poésie: de plus en plus de contenus, de moins en moins de lecteurs!
Blague à part, on constate aisément depuis longtemps, à la lecture des quotidiens régionaux, que des robots feraient tout aussi bien l’affaire que des journalistes pour se charger de distiller l’incessant radotage des locales avec leurs comptes-rendus d’assemblées générales qui arrivent pile aux mêmes dates chaque année, leurs inaugurations de chrysanthèmes, leur logorrhée sportive, bref, tout ce lamentable bavardage au service duquel une monstrueuse logistique est mobilisée au seul profit des épluchures et du feu dans la cheminée.
Reste à savoir, face à l’inflation prévisible de ces contenus automatiques, qui les lira. Des robots lecteurs ?
18:54 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : presse, information, locale, journaux, quotidiens régionaux, pqr, presse quotidienne régionale, journaliste, rédacteur, conteu, web, associated press, algorithme, automated insights, le monde, sport, économie, carte de presse, article automatique, blog littéraire de christian cottet-emard, et à part ça, kriss hammond, université de northwestern, chicago, robot écrivant, science narrative, robert hersant, patron de presse
24 juillet 2014
Un crachat du diable dans le jardin
« Je l’ai découvert un jour, par un été pluvieux, en marchant dans les chemins et sur les routes ; je l’avais vu sans doute des milliers de fois, sans qu’il eut retenu mon attention, car il se confond facilement avec les petites plantes inidentifiables et les débris de végétaux qui recouvrent le sol. Peut-être s’était-il brusquement multiplié ou le hasard m’avait-il conduit à un endroit où il se trouvait en abondance: l’alpha et l’oméga de la nature m’y attendaient. » - Pierre Gascar -
De quoi parle-t-il Pierre Gascar dans ces lignes extraites de son livre Le Règne végétal ? Simplement d’une sorte d’algue si humble, si obscure et si commune que nous ne la remarquons que pour l’écraser du pied. Et encore... Lorsqu’il pleut, car par beau temps, elle devient presque invisible. Invisible certes, mais toujours présente.
Nostoc photographié hier derrière la maison
Le nostoc ou crachat du diable voire crachat de la lune est une sorte d’algue bleue de la famille des cyanophycées à laquelle le romancier s’est intéressé de près. Ce végétal qui se présente sous la forme de masses gélatineuses, humides, profite au mieux de l’été pourri.
On note sa présence partout alentours, après un orage, une averse. À la moindre pluie, il se gonfle d’eau pour former ces sortes de bulbes verdâtres «posés» sur le sol. Par temps sec, il se réduit à l’apparence d’un terne lichen, encore que le mot lichen soit impropre lorsqu’on évoque ce végétal qui était sur terre au commencement des âges et qui nous survivra ainsi qu’à toute forme de vie.
Au-delà de la nuit
Ce qu’écrit Pierre Gascar à propos du nostoc appelle à la réflexion. Le nostoc a « la particularité d’absorber l’énergie lumineuse en deçà du spectre solaire perceptible, dans le domaine des infrarouges. » Lorsqu’on sait que la fin de notre monde sera liée sur une échelle de millions d’années à l’extinction du soleil qui deviendra de plus en plus rouge, seul le nostoc survivra à ce phénomène qui aura engendré la suppression de toute vie animale, la fonction chlorophyllienne ne s’exerçant plus en l’absence du rayonnement ultraviolet.
Il est même probable que le nostoc parviendra dans ce crépuscule préludant à la nuit définitive à extraire encore d’une autre étoile au lointain rayonnement le peu de lumière, invisible pour des yeux humains, nécessaire à sa survie. Avec un peu de rosée (elle se formera encore dans ce contexte) il survivra et sera probablement le dernier brin de vie sur la Terre.
Si vous voulez voir à quoi ressemble le crachat du diable, attendez la pluie et regardez par terre dans le jardin ou sur un chemin.
CC-E
Le Règne végétal de Pierre Gascar est publié aux éditions Gallimard.
(J'ai publié cet article dans la presse quotidienne et dans le n° 6 de la revue Germes de barbarie)
00:27 Publié dans Mes collaborations presse | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : le règne végétal, pierre gascar, gallimard, presse, édition, mes collaborations presse, blog littéraire de christian cottet-emard, revue germes de barbarie, nostoc, cyanophycées, crachat du diable, crachat de la lune, littérature, botanique, pluie, photo de nostoc, photo et texte christian cottet-emard, éditions germes de barbarie
01 juin 2014
Conseils aux écrivains assignés à résidence
En ce moment, je suis agacé par ces propositions d'animations à caractère plus ou moins social qu'on propose aux auteurs de mon profil, c'est-à-dire aux auteurs qui ne tirent pas leur revenu principal de leurs livres. En ce qui me concerne, je pense que le rôle d'un écrivain n'est pas de faire du social, de l'animation ou de la pédagogie. Que certains y trouvent plaisir et intérêt, pourquoi pas ? Mais dans le cas des résidences d'auteurs, par exemple, n'oublions pas que ce dispositif était à l'origine créé pour aider quelques temps un auteur à écrire à l'abri des contingences matérielles et non pas pour animer des ateliers d'écriture dans des zones sensibles et des pays à risques ou à célébrer les traditions à la mords-moi le nœud d'un terroir. Comme il vaut mieux rire de toute cette hypocrisie plutôt que de se mettre martel en tête, je remets en ligne cet extrait de mon livre Tu écris toujours ? dans lequel j'avais abordé ce sujet.
TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE). Précédents épisodes parus en volume aux éditions Le Pont du Change à Lyon (Un recueil de 96 pages, format 11 x 18 cm. 13 € port compris. ISBN 978-2-9534259-1-8). En vente aux éditions Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert, 69003 Lyon. BON DE COMMANDE Épisode également publié dans le Magazine des Livres n°9.
Conseils aux écrivains assignés à résidence
Vos lecteurs vous ont oublié, les libraires ont laissé vos livres prendre la poussière, vos éditeurs ne vous connaissent plus, vos voisins croient que vous vous êtes reconverti dans la brocante parce que vous aussi vous prenez la poussière, et seul votre banquier vous envoie du courrier ? Pas d’inquiétude ! Vous avez dépensé tout l’argent des bourses d’aide à l’écriture et vous avez mangé à tous les râteliers de la subvention ? Pas d’affolement ! Votre dossier de presse se résume à dix lignes dans l’hebdomadaire local « La Sarsouille (*) libérée » sous une photo du président de l’association crématiste parce que la vôtre est passée dans le compte-rendu de l’assemblée générale de ladite association ? Pas de panique ! Il vous reste une solution, entrer en résidence.
Vous quitterez vos pantoufles avachies, votre vieux Mac qui déborde, votre cafetière italienne en surchauffe, l’araignée qui s’obstine à tisser sa toile entre votre tête et le plafond dans le laps de temps qu’il vous faut pour enchaîner deux phrases et vous sauterez dans un train à destination d’une province inconnue où vous attend votre nouvelle résidence, et pas n’importe laquelle, une résidence d’auteur s’il vous plaît. À vous la vie de château ou de gîte rural tout équipé avec vue sur les culbutes de lapin de garenne. La résidence d’écrivain, vous n’en rêviez point, ils vous l’ont mitonnée quand même.
C’est tout expliqué sur le papier : « l’auteur reçu en résidence mettra à profit son séjour au cours duquel il sera logé dans un ancien pigeonnier du dix-huitième siècle (classé aux Monuments Historiques) et rémunéré sur la base d’un forfait mensuel pour élaborer en synergie avec les acteurs du développement local un projet d’écriture visant à valoriser tout à la fois la tradition d’un terroir et la modernité d’une région certes en phase optimale de développement socio-économique mais plus que jamais soucieuse d’harmoniser dans le respect des différences et par la recherche permanente d’un consensus les aspirations à un équilibre entre l’habitat urbain et l’habitat rural. »
Vous n’allez pas louper ça quand même ? Bon, d’accord, c’est loin, le pigeonnier se trouve à au moins trente kilomètres de chez vous, vous n’avez jamais quitté votre quartier et vous êtes attaché à vos racines mais sachez-le, les écrivains, comme tous les travailleurs, sont désormais assujettis à la mobilité professionnelle géographique. Au cas où vous ne l’auriez pas su, le vingt et unième siècle a commencé et... Pardon ? Le vingt et unième siècle et la mobilité géographique, vous vous asseyez dessus ? Une telle position peut se concevoir mais il vient de se produire un événement dont les conséquences vont inévitablement vous conduire à accepter sans réserve la résidence d’écrivain.
Cela concerne votre mécène, cette veuve de vieille noblesse à qui vous faites un peu de lecture mais qui, en tout bien tout honneur contre de menus services dont le plus contraignant se limite à promener Sacha le Chiwawa, règle parfois quelques factures, oui, c’est cela, la duchesse, eh bien on l’a retrouvée morte dans son lit, archi sèche ! Et qui hérite ? Sacha le chiwawa.
Vous résiderez donc, et si vous êtes allergique à la fiente de pigeon même fossilisée — désolé c’est classé, on ne peut pas l’enlever — rien ne vous empêche de postuler pour un vingtième étage au Canada. À cette hauteur, vous ne risquerez pas de vous faire boulotter par un ours, d’ailleurs, ils ne se mangent pas entre eux si vous voyez ce que je veux dire. Vos confrères ont trouvé l’appartement confortable et ils pourront vous confirmer qu’au vingtième, les oscillations d’un gratte-ciel sont imperceptibles, même dans le blizzard. Rassurez-vous, vous n’aurez pas le mal de mer et pour votre incurable vertige, c’est simple, ne regardez point par la fenêtre, vous aurez tout le loisir de reprendre cette activité qui vous passionne tant dès votre retour de résidence.
Pensez au bilan positif de tout le travail qu’entre temps vous serez fier d’avoir accompli : élimination de la concurrence dans l’oeuf en quelques ateliers d’écriture animés à votre manière et contribution à la création d’emplois avec l’embauche, dès votre départ de la résidence, de deux couples de techniciens de surface organisés en trois huit pour la désinfection des lieux car vous n’autorisez personne à procéder au ménage de votre bureau.
Et je ne parle pas de ce grand moment d’émotion qu’éprouveront vos hôtes, lors du décollage de votre avion, tant ils auront partagé avec vous la joie de votre retour au pays natal...
Toujours pas décidé ? Eh bien vous n’avez qu’à derechef vous trouver une autre duchesse, de préférence sans chiwawa.
(*) Rivière moins connue que la Seine (N.D.A).
13:54 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : magazine des livres n°9, tu écris toujours ? feuilleton, presse, édition, résidence, auteur, écrivain, blog littéraire de christian cottet-emard, humour, humeur, résidence d'auteur, résidences d'écrivains, ateliers d'écriture, animations littéraires, social et littérature