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14 avril 2014

Un entretien avec Jean-Jacques Nuel

Échanges sur le court

(À l’occasion de la sortie du recueil Le mouton noir, éditions Passage d'encres)

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Des extraits de Contresens sont également parus sur les sites de La Cause littéraire, INKS passage d’encres, le blog de Harfang, Paysages écrits, La Toile de l’Un et dans de nombreuses revues papier : Arpa, Ouste, Les Cahiers du Sens, Harfang, Verso, Le Journal des Poètes, Le Spantole, Moebius (Québec), Patchwork, Microbe, Comme en poésie, La Grappe, Chiendents, Les Cahiers de la rue Ventura, Les tas de mots, Traction-Brabant, Bleu d’encre, Interventions à Haute Voix, Inédit-Nouveau, L’Autobus, Les hésitations d’une mouche…, les plus humoristiques étant publiés de temps à autre dans le magazine Fluide Glacial.

 

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Christian Cottet-Emard : Depuis 2 ans, on voit tes textes courts paraître dans de nombreuses revues littéraires et en recueils. Ils semblent faire partie d’un même projet. Peux-tu nous en préciser la nature et l’importance ? Est-ce une nouvelle forme de ton écriture ?

Jean-Jacques Nuel : Ce n’est pas une forme nouvelle. J’ai écrit mes premiers textes courts sur ce modèle au milieu des années 1980 et on en trouve les premiers publiés dans mon recueil Noria paru chez Pleine Plume en 1988. Cela fait près de 30 ans ! Ces premiers textes étaient très courts et plus proches de la poésie. Ce n’est vraiment qu’à la fin de l’année 2011 que j’ai repris cette veine qui s’est développée dans un sens plus narratif, avec davantage d’humour et d’absurde.

J’en suis actuellement entre 300 et 400 textes écrits, je donne cette « fourchette » car beaucoup sont encore en chantier, ils n’ont pas encore gagné ce que j’appelle leur « bon de sortie ». J’aimerais en écrire un millier, ce qui représente un bel objectif.

 

CCE : Le court, est-ce un choix ou une malédiction pour un auteur du XXIème siècle ?

Te considères-tu comme le « mouton noir » de la littérature ?

JJN : Un choix, oui, mais choisit-on ? L’écriture s’impose. J’écris depuis plus de 40 ans et me suis essayé à toutes les formes, avec des bonheurs (ou malheurs) divers : poésie, nouvelle, théâtre, roman… Je crois me connaître suffisamment pour en conclure que je suis vraiment à l’aise et dans mon élément sur deux longueurs de textes : le récit d’une centaine de pages (comme « Le nom » publié en 2005 chez A contrario) et les textes très courts de Contresens.

Si mon dernier recueil porte pour titre « Le mouton noir », ce n’est pas par hasard ! Le problème ou, pour être positif, l’originalité de ces textes, c’est qu’ils ne relèvent d’aucun genre particulier, tout en se tenant à la frontière de beaucoup. Ce ne sont pas des poèmes en prose, ni des contes brefs, ni des histoires drôles, ni des mini-nouvelles, mais un mélange d’étrange, d’humour, d’absurde et de poésie qui peut déconcerter les animateurs de revues littéraires et les éditeurs habitués à des genres bien établis et reconnaissables.

Me situant en dehors des genres reconnus, j’ai du mal à m’intégrer dans des cadres existants. Ainsi, bien que certains de mes textes contiennent à mon sens plus de poésie que bien des « poèmes » , je suis très rarement invité à les lire dans des programmes de lecture publique. Mais je ne peux, ni ne veux écrire autrement. Chaque fois que je me plie à un genre, comme chaque fois que j’écris “sur commande”, je me limite et régresse, mes textes deviennent artificiels et perdent en qualité. Tant pis si c’est plus dur et plus long pour m’imposer. Je dois aller au bout de ma démarche et de mon originalité. Je ne compte pas sur l’écriture pour gagner ma vie, et c’est une chance : je n’ai pas besoin d’animer des ateliers d’écriture ni de produire des ouvrages convenus pour subsister.

 

CCE : Dans ton dernier recueil Le mouton noir, on peut noter une prépondérance d’éléments autobiographiques par rapport aux autres ensembles publiés ces dernières années et dans lesquels dominent souvent l’absurde et un fantastique humoristique (plutôt ironique, dirais-je). Est-ce une évolution générale de ton œuvre ou un simple épisode ?

JJN : Il n’y a pas d’évolution à l’intérieur de l’ensemble  Contresens. L’impression d’autobiographie vient simplement du choix effectué parmi le réservoir de textes afin de répondre à la demande de Christiane Tricoit pour sa collection Trait court, chez Passage d’encres : je n’ai gardé que des textes à la première personne, et veillé à une certaine unité. Si évolution il y a dans mon inspiration, c’est plutôt entre Contresens et mon recueil plus ancien Portraits d’écrivains (Editinter, 2002) : les premiers étaient des textes plus longs, plus narratifs ; leur thème unique (et, à mon sens, leur limite) était celui de l’écriture, de l’écrivain. LesContresens sont beaucoup plus variés dans leur inspiration.

 

CCE : Parmi tes auteurs préférés, certains t’ont-ils amené plus particulièrement vers le court ?

JJN : Heureusement pour moi, je ne lis pas que des textes courts ! J’admire Joyce et Faulkner, qui ont écrit de grands romans. Mais j’ai toujours été attiré par le bref : les moralistes (La Rochefoucauld, Joubert, Chamfort…) ou des auteurs comme Buzzati, Ambrose Bierce. Sternberg m’a donné la forme avec ses « Contes brefs » : un micro texte avec un titre en majuscules et un bref développement. Mais il ne m’a donné que le cadre. Je n’apprécie pas beaucoup l’inspiration de Sternberg et préfère de loin celle de Topor. Topor est vraiment une référence pour moi, le champion de l’humour noir.

Dans tous ces auteurs, j’aime aussi la clarté, une volonté d’être lisible, comme de parler au plus grand nombre. Je ne supporte pas l’hermétisme ou l’intellectualisme. Mon écriture est très classique, ce qui permet de faire ressortir davantage l’humour et l’absurde, par le décalage entre le fond et la forme.

 

CCE : Le court relève-t-il plus de la littérature ou de la philosophie ? Le court permet-il de se libérer des autres genres littéraires, voire de les faire dialoguer entre eux ?

JJN : J’espère que cela relève toujours de la littérature ! C’est vrai que certaines formes courtes (je pense aux Voix de Porchia, par exemple) sont assez proches de la philosophie. Je lorgne parfois vers la métaphysique. Un court peut être un long en réduction (et l’auteur un Jivaro réducteur de textes) : un polar, un roman d’amour, une histoire fantastique peuvent être condensées en quelques lignes. Mais le court, qui s’inspire de tous les genres, est encore meilleur quand il ouvre un nouvel espace littéraire et devient un autre genre à part entière.

 

CCE : Tu as lu un certain nombre de tes textes courts sur scène. Il en est d’accessibles en vidéo sur internet. Le court se prête-t-il bien à ce genre de performance ? Comment le public réagit-il ?

JJN : J’ai tenté l’expérience de lire des extraits devant ma webcam et de les mettre en ligne sur Youtube, la technique est facile. À Lyon, Wexler et Houdaer m’ont invité à lire en public. La dimension humoristique des textes passe bien. Mais je ne suis pas un professionnel de l’oral, ce serait bien meilleur lu ou représenté par un acteur.

L’idée est de faire vivre le texte sous d’autres formes. La vidéo n’est qu’une des pistes. On peut imaginer d’autres choses : une mise en scène théâtrale d’un choix de textes, une exposition où dialoguent textes brefs et dessins ou peintures…

 

CCE : Tu as connu la grande époque des revues “underground” dans les années 70/80 du vingtième siècle. Nombre de ces publications privilégiaient le court non seulement par choix mais encore pour des raisons de contraintes matérielles (fabrication, impression, diffusion par la poste…) Le fait d’avoir beaucoup publié dans ces revues a-t-il influencé ton écriture au point d’augmenter ton attirance déjà naturelle pour le court ?

JJN : Il y avait effectivement beaucoup de revues qui aimaient le court, comme “Gros textes” qui est devenu une maison d’édition. Et une revue de nouvelles aujourd’hui disparue “Nouvelle Donne”, n’hésitait pas à publier des micro-fictions. Et je n’oublie pas Fluide Glacial où je publiais non seulement des blagues et aphorismes drolatiques, mais aussi de petites histoires. Tout cela m’a conforté et encouragé.

 

CCE : La publication en ligne qui constitue à mon avis le prolongement de l’effervescence des petites revues et de la micro-édition à la fin du vingtième siècle te paraît-elle un bon support pour le court ?

JJN : Un bon support, oui, d’autant plus que la lecture sur écran convient mieux aux textes courts qu’aux longs. On peut lire par exemple une petite nouvelle sur son smartphone lors d’un voyage en métro. J’ai publié des textes sur des revues en ligne. Mais je reste indéfectiblement attaché au papier.

 

Photo : Jean-Jacques Nuel en lecture dans une librairie.

24 février 2014

Carnet / Des compliments sincères mais nocifs

En rangeant mon bois à ma manière, c’est-à-dire en m’énervant, en jurant de la plus ordurière façon et en empilant complètement de travers, je pense à la notion de « travail bien fait » , à l’obligation de « s’appliquer » (notions positives quand elles impliquent un service mais négatives quand elles légitiment une servitude) et à deux compliments dont on m’a gratifié, l’un quand j’avais seize ans et l’autre à l’approche de ma trentaine.

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Le premier compliment venait d’un ouvrier proche de la retraite avec qui j’avais travaillé dans une cartonnerie comme simple manœuvre pendant un mois pour financer mes vacances d’été. Quant au second compliment, il provenait d’une de mes anciennes professeures de français (paraît-il décédée — paix à son âme parce que je l’aimais bien) à qui j’avais envoyé mon second livre, un recueil de petites proses et de poèmes sélectionnés dans ma production de l’époque. Elle m’avait répondu par courrier. (Je suis d’une génération qui envoyait encore nouvelles et salutations à quelques professeurs spécialement appréciés. Je ne sais plus si cela se fait encore aujourd’hui).

Je me souviens d'avoir assez vite compris que ces deux compliments étaient nocifs malgré la sincérité de leurs auteurs. Dans sa lettre de remerciement, la professeure de français me félicitait pour ce que j’estimais moi-même comme la part la plus faible de mon livre, à savoir une volonté trop marquée à mon goût de m’appliquer, un souci excessif de la forme au détriment du fond.  Quant à l’ouvrier qui était une connaissance de ma famille, il avait déclaré à mes proches que j’étais « un bon employé » , ce qui ne m’a pas flatté longtemps.

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Photos : autoportrait au tas de bois

Mon bois empilé à ma façon

03 février 2013

Carnet / Des « poètes de la nature »

En feuilletant d’anciens numéros de revues, j’ai relu une note de lecture à propos de quelques textes publiés dans une édition confidentielle. J’y suis rangé dans les « poètes de la nature » . J’avais certes accueilli cette note comme un encouragement dans des années assez arides à une époque où j’avais pas mal de difficultés à me faire publier.

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De la poésie
Pourtant, pas plus qu’hier je ne me reconnais aujourd’hui dans ce label « poète de la nature » . Poète, je ne me soucie pas de l’être ou de ne pas l’être et de toute façon, je n’aime pas ce mot et encore moins sa sonorité. Je crois aussi que ce que l’on appelle encore de la poésie n’en est pas ou n’en est plus vraiment, ce qui ne veut pas dire que cette production apparentée à la poésie ne soit pas digne d’intérêt, voire passionnante. C’est autre chose, voilà tout. Par exemple, j’ai en ce moment le projet de publier un recueil d’une cinquantaine de textes formant un ensemble qui ne relève ni de la prose ni de la poésie même si la mise en page peut les apparenter à des poèmes. Ce sera tout simplement aux lecteurs de décider, si cela leur paraît utile, dans quel genre ils voudront classer cet opus.
De la nature
La nature ? J’en apprécie les paysages, les sensations, les beautés et la fraîcheur sans pour autant oublier un seul instant ses menaces, son danger, sa brutalité et sa violence. Je ne suis donc pas spécialement candidat au titre de « poète de la nature » car de mon point de vue d'homme à peu près civilisé, je crois que la nature n’a pas toujours raison contrairement à ce que pensent certains écologistes politiques ou pire encore mystiques. Seuls les écologistes scientifiques me paraissent à peu près dignes de confiance. Sur le plan littéraire, je ne trouve d'intérêt au thème de la nature qu'en y intégrant l'artifice de la poésie.