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04 juillet 2022

Nouvelle / Mariage d'automne

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Tristan ramassa une pomme de pin. L’océan s’était retiré et l’on pouvait s’approcher des bancs de sable. Tristan pataugea dans les petites flaques où se reflétaient des lambeaux de ciel qui brillaient comme des écailles de poisson puis se dirigea vers les dunes. Il aboutit à une cuvette où le bleu des panicauts se détachait  de la blancheur du sable. Il prit la direction du phare blanc et bleu qui, tel un berlingot géant, s’élevait au-dessus de la pinède. Pour l’atteindre, il lui fallait traverser cette zone intermédiaire où la végétation se densifie, juste avant les premiers chênes-lièges aux troncs tordus parfois jusqu’à l’horizontale par le puissant vent d’ouest. C’est en ces lieux étranges qui n’étaient plus de la dune mais pas encore de la forêt que Tristan avait ramassé la pomme de pin. Un promeneur avait dû l’envoyer jusqu’ici d’un coup de pied. Elle n’est pas à sa place ; comme moi, se dit-il en se laissant de nouveau envahir par ses soucis. Sa sœur, chargée de surveiller son courrier, avait déposé un message sur son portable pour l’informer qu’il était convoqué par l’agence pour l’emploi dans une dizaine de jours. Il serait donc rentré. Il aurait certes pu prévenir l’agence de son départ, ainsi qu’il en avait le droit, mais il s’en était abstenu en raison de la brièveté des vacances qu’il s’octroyait. Avoir à se justifier d’une escapade estivale... N’était-il donc plus un homme libre ? Tristan s’assit à l’ombre, dans le sable, et tenta de se livrer au miroitement des aiguilles de pin dans la brise. Il regretta d’être parti sans l’appareil photo car son regard venait de s’arrêter sur une plante qui pouvait être l’astragale de Bayonne. D’habitude, cette discrète au nom extravagant affectionnait plutôt le littoral du Pays basque ou de la Bretagne mais peut-être avait-elle trouvé ce coin des Landes à sa convenance ? Il se promit d’en discuter avec Andrade, un  bibliophile de sa connaissance, qui lui avait permis de consulter des ouvrages de botanique illustrés de planches en couleur dans sa bibliothèque. Tristan avait pu s’en inspirer pour ses aquarelles qu’il arrivait parfois à vendre à des éditeurs de guides naturalistes. Il avait ce don que chacun lui reconnaissait mais qu’il n’avait jamais réussi à transformer en un vrai métier avec des revenus réguliers et décents. La chaleur allait augmenter, mieux valait rentrer à l’auberge. Il dégusta quelques abricots à midi sur la table de jardin. Derrière, finissait un champ de maïs dont les feuilles se frottaient entre elles sous l’effet de la brise. La nuit, quand le vent se levait, le maïs faisait un bruit d’averse. Tristan s’y était trompé. Il s’était levé et s’était retrouvé au clair de lune dans la pelouse en compagnie d’un hérisson qui se croyait tout seul.
 
Souvent, Helga taquinait Tristan. « Ne fais pas ton hérisson ! » lui soufflait-elle lorsqu’il s’ennuyait lors d'une soirée. Aujourd’hui, Helga se mariait. Tristan avait trouvé l’invitation en rentrant de vacances et maintenant, au milieu de cette foule endimanchée se levant et s’asseyant au rythme des injonctions du prêtre, il pensait au hérisson au milieu de la pelouse. C’était un beau mariage, classique, sans fautes de goût, le genre de mariage parfait. Un automne tout en blondeur s’était installé et le soleil s’avançait jusqu’au milieu de la nef par la porte ouverte sur le parvis de l’abbatiale. Au bras de son père, Helga marchait au son de l’orgue. Tristan observa ses chevilles rehaussées par les talons de ses escarpins blancs. Elle avait dû s’entraîner dur à marcher avec de telles chaussures, elle qui choisissait toujours des semelles plates. Elle s’en sortait très bien. Le couple allait bientôt se présenter face au prêtre pour échanger les alliances. Le futur mari eut du mal à réprimer un début de fou rire. Helga lui lança un regard courroucé. Tout rentra dans l’ordre et la cérémonie se termina. Tristan rejoignit le parvis afin de voir les mariés sortir pour les photos. Helga aperçut Tristan. Elle sourit et lui fit des signes en lui indiquant la direction de la salle paroissiale où était servi l’apéritif. Il n’eut que deux secondes pour la féliciter. Le père de la mariée lui apporta un verre et lui adressa un chaleureux « à tout à l’heure ! » qui anéantit son projet de déserter le repas de noces. Ses voisins de table l’accueillirent par un sonore « Bienvenue au carré des célibataires ! » Qu’importe. Pour Helga, il ne ferait pas son hérisson. Et puis, tous ces gens étaient plutôt sympathiques, bien élevés. Ils avaient dû couvrir le jeune couple de cadeaux très chers. Il pensa à son cadeau et s’inquiéta. Une esquisse de pomme de pin sur papier chiffon, assez réussie, qu’il avait fait encadrer par un professionnel. C’était peut-être un peu juste... Il quitta la table, se fraya un chemin parmi les danseurs et sortit sur la terrasse qui surplombait le parc. La douceur de la nuit révélait les effluves de roses tardives. Il arriva au seuil d’une serre de jardin opalescente sous le clair de lune. Il entra et flâna parmi les plantes. Un pas se fit entendre sur le gravier. Helga apparut. « Excuse-moi, je t’ai vu sortir et je t’ai suivi. Tu ne m’en veux pas ? » Elle s’approcha et demanda : « Tout va bien ? Tu ne t’ennuies pas trop ? » Elle se courba et enleva ses escarpins. Tristan s’inquiéta des marques rouges sur ses chevilles délicates. Elle s’avança plus près et dit « Ce n’est rien... » Il plaisanta : « Tu t’es plutôt bien débrouillée avec ces hauts talons. » Oui, je me suis bien débrouillée » répondit-elle avec un sourire las. Un silence s’installa. Tristan la regarda et dit : « Un ange passe. » Elle sourit et reprit : « C’est gentil d’être venu, j’apprécie, tu sais. J’ai beaucoup aimé ton cadeau. En réalité, c’est le cadeau que j’ai préféré. » Tristan voulut la remercier mais elle s’avança doucement et se blottit contre son épaule. Elle pleura et ils restèrent ainsi une éternité, pris de stupeur.
 
 
© Éditions Germes de barbarie et l'auteur.
 
 
 
Projet de couverture du recueil de nouvelles :

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Couverture de l'édition originale (2017) :

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Infos et commandes

 

 
 

27 mai 2022

À propos de mon livre AUX GRANDS JOURS

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À gauche, l'édition de 2020. À droite, la nouvelle édition de 2022 (reliée et grand format).

 

La composition de ce recueil en neuf sections forme un récit. Je peux donc lui adjoindre un épilogue (la neuvième partie). J’en ai choisi un qui est lié à une petite mésaventure mais qui, d’une certaine manière, entre en cohérence avec le projet initial de réécriture d’anciens textes.

En 1979, l’éditeur de ma première brassée de poèmes me demanda quatre textes supplémentaires. Je les écrivis et les envoyai aussitôt mais ils furent perdus. L’ensemble s’intitulait Quatre songeries du ciel ouvert. N’ayant conservé aucun double, j’ai fouillé dans ma mémoire pour les réécrire. Quarante ans après, l’initiative était d’autant plus hasardeuse qu’elle m’obligeait à me remettre dans l’esprit de qui j’étais à l’époque, un jeune homme de vingt ans qui vivait encore dans sa chambre d’adolescent et qui passait de longues heures à écouter l’œuvre pour piano d’Érik Satie enregistrée par Aldo Ciccolini. Je n’eus qu’à me replonger dans Avant-dernières pensées, Heures séculaires et instantanées, Gnossiennes, Trois morceaux en forme de poire et Nocturnes pour remonter ces quatre songeries à la surface de mon esprit, non pas au mot près mais au plus proche possible du texte d’origine. Voilà aussi une manière de conclure ce volume par ce qui le précéda de longue date. Comme disait Knut Hamsun, Le cercle s’est refermé. Mais, pourrais-je ajouter, l’été revient en boucle (une des principales thématiques de cet ouvrage est l'été).

Note : le titre d’origine était Quatre songeries à ciel ouvert. En tapant le texte à la machine, je commis une faute de frappe qui donna Quatre songeries du ciel ouvert, ce qui correspondait mieux à ce que je voulais dire. L’erreur est parfois salutaire.

 

Le dernier texte de cette série :

Ciel étoilé sur le boulevard endormi

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Le long du boulevard, les vieux platanes crépitent de hannetons.

 

Sur le trottoir soulevé par les racines, dans l’ombre des haies de buis, les effluves de pivoine et d’iris débordent des jardins et des grands parcs silencieux sous les cèdres.

 

Les talons aiguilles d’inaccessibles et jeunes passantes embaumant les parfums anciens ont marqué le goudron frais dont on a recouvert les nids de poules. 

 

Un train peut en cacher un autre est-il écrit et dessiné au passage à niveau, au-dessus des rails luisants dans le clair-obscur.

 

La pendule de la petite gare déserte brille comme une deuxième lune et l’autorail est au repos pour le bonheur de ceux qui n’aiment pas les départs.

 

Extrait de Quatre songeries du ciel ouvert, ensemble intégré à mon recueil Aux grands jours © Club, Orage-Lagune-Express et Blog littéraire de Christian Cottet-Emard, ISSN 2266-3959.

 

Tableau : Paul Delvaux. Petite gare la nuit (1959)

Commandes et renseignements ici et .

Critique du livre ici.

08 mai 2022

Carnet / L’abstraction des bords de mer

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Dès que je me promène en bord de mer, j’entre dans l’abstraction, en opposition à la vie dans ma région natale et dans ma campagne où règne le concret. Les vacances qui sont une idée abstraite y sont bien sûr pour beaucoup.
 
J’ai vu la mer pour la première fois au milieu des années soixante, l’époque de mon enfance. C’était la mer du nord. J’étais à l’arrière de l’Opel blanche crème de mon parrain. Nous roulions doucement dans les rues d’Ostende lorsque la mer apparut soudain entre deux immeubles.
 
Je m’en souviens comme si j’y étais encore mais je suis incapable de me rappeler précisément l’année et le jour où, très jeune homme, je vis apparaître la Méditerranée. Le souvenir de ma première vision de l’océan est plus précisément daté parce que j’y faisais du camping dans les Landes, ce qui ramène certes au concret mais celui-ci s’efface dès que je flâne sur la plage. Cependant, la véritable abstraction qu’est à mes yeux le paysage maritime est l’horizon méditerranéen.
 
J’ai mis très longtemps à mettre ces pauvres mots sur cette idée qui est aussi une sensation, pour moi un évènement qui s’est produit en entrant acheter du raisin à l’étal d’un petit magasin  de la ville d’Alghero en Sardaigne, un îlot d’ombre précaire dans l’immense lumière bleue du matin.
 
Cette matinée n’était pas un jour de rêve puisqu’elle était bien réelle mais un jour rêvé pour l’abstraction d’une journée où ces gros raisins de couleur parme qu’on trouve en été en Sardaigne se suspendaient en sphères scarieuses dans l’espace ombreux de l’échoppe telles des planètes dans le cosmos.
 
Ainsi naissent des tableaux dans le rêve éveillé des peintres ou quelques lignes lorsqu’on n’est pas capable de peindre et que la jolie marchande de fruits et légumes sourit parce qu’elle croit lire dans les pensées.
 
 
Extrait de mes Carnets d'Italie, © Éditions Orage-Lagune-Express.
Photo : Alghero (Sardaigne) photo Christian Cottet-Emard.