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02 avril 2016

Carnet / De la route qui s’éloigne dans le reflet d'une vitre

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Avant hier, premier pissenlit. Content de le voir. Hier, la maison qui semblait flotter au milieu des frênes dans le silence du brouillard. Mésanges et moineaux perplexes.

Je lis beaucoup de réactions au grand départ de Jim Harrison. J’aime ses poèmes (Une heure de jour en moins, éd. Flammarion) très narratifs, généreux, sinueux, tour à tour fragiles et puissants, capricieux comme le cours des rivières où il traînait ses bottes dans le clapotis des berges froides. Moins concerné par ses romans. Le livre en prose que je préfère est son autobiographie En marge (éd. 10/18). J’avais aussi relevé cette remarque dans sa nouvelle La bête que dieu oublia d’inventer extraite du recueil En route vers l’ouest (éd. 10/18) : « Rien ne tourmente davantage un vieux chnoque que la pensée de la vie non vécue. »

Il est normal que ce constat m’assaille parfois à cinquante-sept ans mais curieusement, j’éprouvais cette angoisse dès mon adolescence. Peut-être étais-je déjà un vieux chnoque à cette époque ? Je suis souvent tenaillé par ce sentiment de vie non vécue.

J’ai certes fait le choix de la sécurité en bien des domaines mais au fond, que signifie une vie vécue ? Un engagement intense dans la société, dans la politique, dans le travail, dans l’humanitaire, au Sou des écoles ? Ce n’est pas dans mon tempérament et de plus, je n’ai aucune des compétences techniques et relationnelles requises pour être efficace dans les tâches que cela implique. Quant à la seule vague compétence dont je peux me hasarder à témoigner en prenant le risque de me faire moquer (écrire), elle court les rues et la société n’en a nul besoin.

Aussi puis-je m’estimer heureux, bien installé, de voir tranquillement s’éloigner, comme dans le reflet d'une vitre de train ou dans le rétroviseur d’une auto silencieuse et confortable, la route et le paysage où je n’ai marqué d’autre empreinte que celle, inutile et fugace, de mon regard distrait.

Photo : Porto, métro (photo CC-E)

 

 

25 avril 2014

Carnet / Au ras des pâquerettes

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Je ne dirais pas que j’éprouve comme par le passé la joie du printemps, plutôt un vague soulagement après ces périodes avares en bons moments. Avare aussi, ce paysage jurassien qui peine tant à tenir le beau temps une journée entière sans qu’un orage ne vienne talocher une nouvelle couche de gris sur le tableau. Je rêve d’habiter un pays où l’on n’a pas toujours les yeux rivés au ciel en se demandant quelle sorte d’averse — neige, grêle ou hallebardes — il va nous envoyer.

Du Jura, désormais, je n’apprécie que mes hectares autour de la maison et quelques arpents familiers. Pour le reste, désert culturel malgré quelques tentatives vouées à l’échec parce qu’il n’existe tout simplement pas de public pour les soutenir. Même constat dans la partie de l’Ain où j’ai longtemps vécu, où toutes les initiatives publiques et privées en faveur de la culture se heurtent toutes au même mur : l’absence d’un public.

Pour survivre dans ce milieu hostile, deux alternatives : déménager ou mener une double vie. Le fichu déterminisme de mon enracinement et mon manque de courage m’imposent la seconde solution. Une existence à deux compartiments étanches : isolement campagnard (avec ses indéniables avantages) et évasion vers la grande ville et sa richesse humaine. Heureusement que je suis à une heure d’autoroute de Lyon.

Je dois m’estimer heureux d’avoir le temps et les moyens de jouer sur ces deux tableaux. S’estimer heureux..., « estime-toi heureux » leitmotiv de la cinquantaine et titre envisagé d’un recueil de poèmes narratifs en lecture pour quelques débuts de projets éditoriaux. Ainsi que me le faisait remarquer un ami avec qui j’aime bien blaguer, on pourrait déjà penser à la suite avec des titres du même tonneau : C’est déjà pas mal, Cela aurait pu être pire, C’était pas si mal, etc... !

Quelques petites éclaircies dans cette morosité : un ami (il se reconnaîtra ici) qui m’a exprimé sa confiance en me donnant à lire des textes inédits de lui avant leur publication, la perspective de plusieurs concerts classiques et des projets de séjours hors saison (et AILLEURS !) loin de la laideur banale de l’hystérie sportive et d’un environnement culturel de plus en plus au ras des pâquerettes dans la ville où je ne réside heureusement plus mais qui reste, pour quelques courses de base et seulement pour cela, la bourgade la plus proche de ma campagne.

 

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 Puisque j’illustre cette page de carnet d’un montage avec une photo de moi ainsi qu’il m’arrive parfois de le faire, j’en profite pour conclure en évoquant la pratique du portrait et de l’autoportrait sur internet. Rien de narcissique (je n’ai plus l’âge et, de toute façon, avec mes cheveux clairsemés sur le devant du crâne et mon visage un peu trop joufflu, je ne me trouve pas terrible). Ce qui me conduit à « poster » ce genre de photo tient du sentiment d’étrangeté que j’éprouve face à mon image. J’ai toujours vécu dans des maisons assez pauvres en miroirs et, plus jeune, je ne prenais pas bien le temps de m’observer. Or, compte tenu de la brièveté de l’existence, je trouve dommage de ne pas prendre ce temps ou d’y renoncer. Ce qu’on voit là est extrêmement étonnant, précaire, insolite, incompréhensible : un individu dans l’univers illisible.

Comme, je crois, la plupart des gens qui postent des photos d’eux, je scrute surtout en ces images le jeu improbable de combinaisons hasardeuses qui ont abouti à jeter dans une vie, une société et un environnement organisés mais dénués de sens cette enveloppe de vague conscience que résume une personne sur une photo. Chers lecteurs et lectrices de ce blog, prenez le temps de vous regarder vous aussi car après, vous ne vous reverrez jamais.

 

Photos :  - pâquerettes jurassiennes

- Chez moi, dans les pâquerettes...