28 septembre 2020
Carnet / Train du soir
Aucune autre œuvre picturale que la série de tableaux de Paul Delvaux consacrée aux gares et aux trains n’a le pouvoir de me renvoyer directement dans mon enfance.
Le grand jardin de la maison du boulevard Dupuy à Oyonnax donnait directement sur la voie ferrée et c’est exactement l’atmosphère immortalisée dans ces toiles que m’offrait, derrière le grand mur de clôture recouvert de tuiles rouges escaladé en secret, cette petite gare où je vis manœuvrer les dernières locomotives à vapeur et, un peu plus longtemps, les autorails Picasso rouge et crème avec leur fameuse tourelle.
À l’époque, je trouvais déjà mystérieux ce ballet de machines surgies d’horizons inconnus et y retournant sans cesse. Plus de cinquante ans après, ce sentiment d’étrangeté demeure, comme si toute la frénésie de mouvement du monde n’était qu’un rêve figé pour cette éternité que nous confondons avec le simple temps de notre vie.
Journal tome 2 © Éditions Orage Lagune Express 2020.
22:41 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : train du soir, gare, train, soir, boulevard dupuy, oyonnax, ain, paul delvaux, peinture, locomotive, autorail, locomotive à vapeur, tender, autorail picasso, haut bugey, rhône alpes auvergne, france, europe, blog littéraire de christian cottet-emard, note, journal, souvenir, enfance, jardin, clôture, tuiles, mur, atmosphère, étrangeté, mystère, christian cottet-emard, autobiographie
25 avril 2014
Carnet / Au ras des pâquerettes
Depuis quelques jours, j’entends les grillons dans les hautes herbes autour de la maison. Nous voici enfin délivré de cet automne et de cet hiver en tous points sinistres pour moi et quelques personnes de mon entourage. La prairie ondule et, tout près le l’entrée, des milliers de vigoureuses pâquerettes colonisent le terrain aux côtés des massifs de coucous, de pissenlits et de fleurs sauvages dont je ne me rappelle plus les noms.
Je ne dirais pas que j’éprouve comme par le passé la joie du printemps, plutôt un vague soulagement après ces périodes avares en bons moments. Avare aussi, ce paysage jurassien qui peine tant à tenir le beau temps une journée entière sans qu’un orage ne vienne talocher une nouvelle couche de gris sur le tableau. Je rêve d’habiter un pays où l’on n’a pas toujours les yeux rivés au ciel en se demandant quelle sorte d’averse — neige, grêle ou hallebardes — il va nous envoyer.
Du Jura, désormais, je n’apprécie que mes hectares autour de la maison et quelques arpents familiers. Pour le reste, désert culturel malgré quelques tentatives vouées à l’échec parce qu’il n’existe tout simplement pas de public pour les soutenir. Même constat dans la partie de l’Ain où j’ai longtemps vécu, où toutes les initiatives publiques et privées en faveur de la culture se heurtent toutes au même mur : l’absence d’un public.
Pour survivre dans ce milieu hostile, deux alternatives : déménager ou mener une double vie. Le fichu déterminisme de mon enracinement et mon manque de courage m’imposent la seconde solution. Une existence à deux compartiments étanches : isolement campagnard (avec ses indéniables avantages) et évasion vers la grande ville et sa richesse humaine. Heureusement que je suis à une heure d’autoroute de Lyon.
Je dois m’estimer heureux d’avoir le temps et les moyens de jouer sur ces deux tableaux. S’estimer heureux..., « estime-toi heureux » leitmotiv de la cinquantaine et titre envisagé d’un recueil de poèmes narratifs en lecture pour quelques débuts de projets éditoriaux. Ainsi que me le faisait remarquer un ami avec qui j’aime bien blaguer, on pourrait déjà penser à la suite avec des titres du même tonneau : C’est déjà pas mal, Cela aurait pu être pire, C’était pas si mal, etc... !
Quelques petites éclaircies dans cette morosité : un ami (il se reconnaîtra ici) qui m’a exprimé sa confiance en me donnant à lire des textes inédits de lui avant leur publication, la perspective de plusieurs concerts classiques et des projets de séjours hors saison (et AILLEURS !) loin de la laideur banale de l’hystérie sportive et d’un environnement culturel de plus en plus au ras des pâquerettes dans la ville où je ne réside heureusement plus mais qui reste, pour quelques courses de base et seulement pour cela, la bourgade la plus proche de ma campagne.
Puisque j’illustre cette page de carnet d’un montage avec une photo de moi ainsi qu’il m’arrive parfois de le faire, j’en profite pour conclure en évoquant la pratique du portrait et de l’autoportrait sur internet. Rien de narcissique (je n’ai plus l’âge et, de toute façon, avec mes cheveux clairsemés sur le devant du crâne et mon visage un peu trop joufflu, je ne me trouve pas terrible). Ce qui me conduit à « poster » ce genre de photo tient du sentiment d’étrangeté que j’éprouve face à mon image. J’ai toujours vécu dans des maisons assez pauvres en miroirs et, plus jeune, je ne prenais pas bien le temps de m’observer. Or, compte tenu de la brièveté de l’existence, je trouve dommage de ne pas prendre ce temps ou d’y renoncer. Ce qu’on voit là est extrêmement étonnant, précaire, insolite, incompréhensible : un individu dans l’univers illisible.
Comme, je crois, la plupart des gens qui postent des photos d’eux, je scrute surtout en ces images le jeu improbable de combinaisons hasardeuses qui ont abouti à jeter dans une vie, une société et un environnement organisés mais dénués de sens cette enveloppe de vague conscience que résume une personne sur une photo. Chers lecteurs et lectrices de ce blog, prenez le temps de vous regarder vous aussi car après, vous ne vous reverrez jamais.
Photos : - pâquerettes jurassiennes
- Chez moi, dans les pâquerettes...
01:51 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, littérature, écriture de soi, autobiographie, blog littéraire de christian cottet-emard, pâquerette, pissenlit, coucou, selfies, portrait, autoportrait, oyonnax, ain, jura, populisme, culture, sport, laideur, étrangeté, sentiment d'étrangeté, lyon, rhône-alpes, france, concert
02 février 2014
Dans le tramway
Je vois des choses étranges dans le rétroviseur du vieux tramway
Le premier souvenir la première neige la première mer la première femme tout ce qui va vite
La belle colère qui s’épanouit comme une corolle un soir de fœhn
Et ce visage incompréhensible qui est pourtant le mien
Photo : dans un tramway de Lisbonne
© Éditions Orage-Lagune-Express 2014 (texte et photo)
02:43 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tramway, lisbonne, souvenir, neige, mer, poésie, note, poème, foehn, visage, rétroviseur, blog littéraire de christian cottet-emard, colère, étrangeté, corolle, portugal