14 mai 2015
Carnet / Visite nocturne de l’enseigne de vaisseau Mhorn
Le grand vent chaud et sec qui favorise les échanges vitaux entre les arbres est tombé ce soir après toute une journée à ébouriffer les feuillages. La nuit désormais sans contrainte d’éclairage public dans ma campagne déploie un immense ciel étoilé.
Je fume un havane au milieu des effluves de lilas et je repense à cette coupure accidentelle de courant qui avait plongé la moitié de mon quartier dans le noir lorsque j’habitais encore en ville.
C’est cet incident qui avait déclenché l’écriture des premières pages de mon livre Le Grand Variable * à la fin des années 90. Je suis encore étonné aujourd’hui d’avoir pu aussi facilement publier ce texte à l’époque alors qu’il est maintenant si difficile d’imposer une écriture non calibrée.
Au lieu de me dissuader de continuer dans cette voie, ces triomphes du nouveau conformisme et de la pensée unique m’inciteraient plutôt à me remettre dans la peau de mon double inversé, de mon contraire, l’improbable et opportuniste enseigne de vaisseau Mhorn qui ne prend pas le temps d’avoir peur du monde parce qu’il a appris à ne rien espérer ni désirer et à se foutre d’à peu près tout, du moment qu’il sent près de sa main son vieux Luger au fond d'une poche de son caban, en cas de mauvaise rencontre.
C’est ainsi que pendant la dégustation nocturne d’un Por Larrañaga au milieu de mes massifs de lilas par une belle nuit de mai, certains de mes personnages romanesques viennent me visiter comme s’ils ne m’avaient pas encore tout dit.
* Éditions Editinter, épuisé mais disponible dans certaines bibliothèques, à Oyonnax par exemple.
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05 mai 2015
Carnet / Du manque de temps et de lumière
Au moins le grand vent qui secoue les volets cette nuit est-il tiède et chargé des parfums de toutes les fleurs épanouies en quelques jours bien qu’au final, dans l’obscurité, la musique soit la même qu’en automne. La journée aussi, la lumière est automnale, y compris ce dernier soir où une frange fugace de lumière rasante a doré la montagne à peine cinq minutes.
Les perspectives de parution d’au moins deux de mes livres se rapprochent de nouveau après avoir marqué le pas. Il faudra bien ça pour me donner un peu d’allant. Le climat de ce pays a de quoi rendre neurasthénique. Heureusement qu’un petit séjour à Porto est prévu en juin.
Je dois fournir en urgence un texte pour une exposition. Le délai me paraît vraiment trop court. J’essaie quand même. Je suis installé depuis si longtemps dans la lenteur... Cela me rappelle une phrase qu’on me répétait sans cesse quand j’étais enfant puis adolescent : « Tu as bien le temps... » Quelle blague ! Je n’avais pourtant pas pour habitude, même dans mon plus jeune âge, de croire tout ce qu’on me disait, mais sur ce coup-là, Tu as bien le temps, j’avoue que je me suis bien fait avoir ! Sans doute cela m’arrangeait-il... Je ne peux m’en prendre qu’à moi.
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23 avril 2015
Carnet / De la Fritillaire pintade, de la danse, des destinataires de l’œuvre écrite, des courbatures du corps et des courbatures de l’âme.
Cela faisait plusieurs années que je n’étais pas retourné à mon ancien rendez-vous d’avril avec la belle Fritillaire pintade. Il est vrai que la nature me parle moins depuis de nombreux mois, ce que je déplore. Mais j’ai tout de même été heureux de la retrouver, elle et ses sœurs, le temps d’une promenade, toujours à la même place dans leur petit vallon secret où les roseaux craquent sous les pas, à côté des jonquilles et des renoncules.
Samedi dernier au premier concert Chromatica, j’ai revu la danseuse Mylène Fonitcheff qui avait participé au festival l’an dernier. Je ne connais rien à la danse mais j’avais été très impressionné par l’élégance et la puissance expressive de son langage chorégraphique. J’ai appris qu’elle allait intervenir avec le claveciniste, organiste, et (sans doute pour l’occasion pianiste) Olivier Leguay dans le cadre d’une soirée consacrée au compositeur américain Morton Feldman pas trop loin de chez moi cet été.
La première question que doit se poser aujourd’hui l’écrivain, notamment le débutant : à qui s’adresse-t-on ? Au lectorat le plus nombreux possible pour faire de l’argent ? Et si le but n’est pas commercial : à quel lectorat en particulier ? Aux proches et aux amis ? Seulement aux amis ? À une élite ? À d’anciennes conquêtes amoureuses qui, de loin, gardent peut-être un œil sur ce qu’on écrit ?
Cette question est aujourd’hui primordiale dans le nouveau contexte éditorial où tous les repères, tous les usages, toutes les habitudes de lecture et de publications et toutes les échelles de valeur ont changé en moins d’une décennie. Le modèle de la relation entre l’auteur l’éditeur et le public qui a prévalu jusqu’à la fin des années 80 du 20ème siècle est presque entièrement révolu. Ne pas tenir compte de cette évolution consiste, pour un auteur, à s’enfermer dans une attitude folklorique et périmée, comme un animal en voie de disparition qui s’empaillerait lui-même.
J’ai retourné le jardin à la bêche en plein soleil sans le moindre plaisir excepté celui de rendre service. Résultat, une méchante suée, le coup de froid qui arrive juste après et les courbatures. Je devrais au moins me réjouir du travail accompli mais chez moi, cette attitude ne fonctionne pas.
La plupart des gens que je connais m’affirment que lorsqu’ils ont beaucoup et rudement travaillé pour aboutir à un résultat, ils l’apprécient d’autant plus. Pour moi, c’est tout à fait l’inverse : plus je me bats pour obtenir quelque chose, moins je l’apprécie en cas de réussite.
La vision du jardin retourné à la force de mes bras ne m’inspire rien, aucun sentiment de gratification, seulement le souvenir de l’obsession de prendre une douche dès que je commence à transpirer en fournissant un effort.
C’est cette disposition d’esprit qui m’a fait considérer toutes les étapes de ma vie professionnelle comme une succession de corvées et surtout comme des années de vie irrémédiablement gaspillées. Quant à l’argent produit par ces activités non choisies, je le vois comme le piètre dédommagement d’un préjudice et je ne tire de satisfaction et de fierté que de mes gains aux jeux de hasard.
23:38 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : fleur, printemps, avril, fritillaire pintade, fritillaires, nature, danse, mylène fonitcheff, festival chromatica, musique, concert, roseaux, jonquilles, renoncules, littérature, écrivain, auteur, édition, jardin, terre, bêche, effort, réussite, gain, argent, blog littéraire de christian cottet-emard, carnet, note, journal, écriture de soi, autobiographie, prairie journal, jeux de hasard