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02 mars 2015

Carnet / Hommage / Au bon plaisir de Joseph Bassompierre

J’ai appris ce week-end la disparition à l'âge de 73 ans de Joseph Bassompierre et je souhaite lui rendre un hommage particulier dans ces colonnes.

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Joseph Bassompierre aux claviers de l'orgue Nicolas-Antoine Lété de l'abbatiale Saint Michel de Nantua (photo Christian Cottet-Emard)

Dès mon plus jeune âge, Joseph Bassompierre fut pour moi toujours associé en premier lieu à la musique, à la littérature et à une manière de vivre que je qualifierais de « selon son bon plaisir » . Dans mon adolescence, je fréquentais sa librairie à Oyonnax où l’on trouvait en plus un bon choix de disques classiques. Le commerce des livres et des disques — le commerce tout court — n’était cependant pas le grand souci de cet aristocrate qui possédait la plus rare des qualités, l’élégance du cœur et de l’esprit. En faisant petit à petit sa connaissance, je me rendis vite compte que Joseph Bassompierre était un homme du dix-huitième siècle « parachuté » dans le vingtième siècle.

J’aurais à ce sujet beaucoup d’anecdotes amusantes et émouvantes à raconter mais je ne voudrais pas réduire cet hommage à la seule évocation des aspects les plus pittoresques de sa personnalité en réalité empreinte d’une complexité secrète mêlant en un alliage subtil le goût de la vie, l’humour distancié et, en retrait, affleurant à peine, une discrète mélancolie qu’il veillait à dissimuler en public sous une civilité joviale. Je me souviens notamment de sa joie enfantine le jour où il m’annonça avoir déniché à la grande foire à la brocante de Leyment un buste représentant un de ses ancêtres.

Joseph Bassompierre ne cherchait jamais à afficher sa culture, son érudition et ses multiples talents qu’il n’avait aucun besoin de mettre au service d’un métier, d’une profession. Encore assez jeune, dès qu’il en eut l’idée et le loisir, il cessa d’être libraire et consacra sa vie à ses passions  : l’orgue, les voyages (dans un souverain mépris du confort le plus élémentaire), l’aviation, la plongée, avec pour seule règle son bon plaisir. Il avait tout son temps pour lui, ce qui le rendait disponible à qui lui témoignait une amitié sincère.

Je ne manquais aucun de ses concerts d’orgue en l’abbatiale de Nantua où son action fut décisive pour la préservation, le classement et la promotion de cet instrument exceptionnel qu’est l’orgue Nicolas-Antoine Lété à la tribune duquel il joua avec brio, invitant d’autres organistes célèbres à contribuer au rayonnement de l’instrument et favorisant l’enregistrement de disques réédités en CD parmi lesquels l'œuvre pour orgue de Robert Schumann par Philippe Lefebvre (FY) et des pièces de Louis Alfred James Lefébure-Wely par René Saorgin (Harmonia Mundi). C'est bien sûr grâce à Joseph Bassompierre que les élèves de la classe d'orgue du Conservatoire d'Oyonnax peuvent jouer sur cet instrument classé monument historique et dont l'organiste titulaire est depuis de nombreuses années leur professeure, Véronique Rougier.

Lorsque ses forces l’abandonnèrent progressivement, Joseph Bassompierre cessa de donner des concerts mais assista fidèlement à ceux des autres interprètes, toujours prêt à intervenir sur l’orgue qu’il connaissait par cœur lorsque pouvait survenir un problème technique.

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Joseph Bassompierre au cœur de « son » orgue à Nantua (photo Christian Cottet-Emard)


Pour conclure cet hommage sur une note plus personnelle, je préfère me contenter d’évoquer un des moments passés en sa compagnie à l’époque où je lui rendis visite chez lui à Groissiat dans l’Ain pour écrire un article sur l’orgue de Nantua. J'ignorais encore que de nombreuses années plus tard, j'allais devenir papa d'une fille élève organiste à qui Joseph Bassompierre fit un compliment qui me toucha beaucoup : après l'avoir écoutée jouer une pièce de Louis-Nicolas Clérambault,  il déclara : « Elle a les doigts pour jouer cette musique »

En cette lumineuse journée d’été, il m’ouvrit la porte de sa grande maison de village surplombant la vallée verdoyante, me fit traverser une vaste cuisine sombre, en désordre, où un chat à trois pattes nous escorta jusqu’à un salon aux fenêtres grandes ouvertes sur la campagne ensoleillée. Le chat à trois pattes se jucha sur une pile vacillante de livres anciens. Joseph Bassompierre s’installa au piano et me joua la Berceuse de Louis Vierne au rythme de laquelle, en un instant suspendu, semblait s’accorder l’ample ondulation des foins sous la brise.

Christian Cottet-Emard

PS : Dans le sillage de l’avion de Saint-Ex.

Organiste, Joseph Bassompierre avait aussi un vrai talent littéraire qu’il ne se soucia pas d’exploiter mais qui s’exprime dans ses lettres et dans un texte (voir la copie en fin d'article) qu’il envoya à la revue de littérature et de sciences humaines Le Croquant suite à l’organisation du Prix Vol de nuit avec le soutien du Conseil Général de l’Ain, à l’occasion du centenaire de la naissance d’Antoine de Saint-Exupéry.

Aviateur lui-même et admirateur de Saint-Ex, Joseph Bassompierre vit son texte retenu par le jury et publié dans le n°29 du Croquant. Dans sa grande modestie, il était persuadé, me sachant au comité de rédaction de la revue, que j’étais pour quelque chose dans la sélection de son texte, ce qui n’était évidemment pas le cas. Il ne devait ce plaisir qu’à son seul talent.

J’eus beau lui affirmer qu’appréciant quant à moi peu l’auteur du Petit Prince, je me serais de toute façon bien gardé de participer au jury de ce Prix, il n’en démordit pas et voulut m’offrir un baptême de l’air dans un planeur qu’il pilotait. Il me fut d’autant plus facile de refuser catégoriquement cette invitation lorsque Joseph Bassompierre me précisa avec enthousiasme : « Vous savez, on peut monter jusqu’à pas loin de dix-mille mètres » !

CC-E

 

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17 février 2015

Carnet

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J’ai de plus en plus besoin de lumière. Quand le jour décline, j’ai l’impression qu’un couvercle s’abat sur moi. Les longues nuits d’hiver me donnent parfois des sensations d’étouffement.

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J’ai bien conscience qu’il me faudrait porter mes livres en cours avec plus de constance et d’énergie mais l’absence d’urgence financière en ce qui concerne la prose et la fiction et l’impact économique absolument nul de toute publication de poésie me rendent indolent.

Je suis aussi d’une génération qui est aux premières loges pour assister au changement radical que connaît le rapport auteur / éditeur et les pratiques de diffusion / distribution du livre. Je n’ai aucun a priori sur ces sujets et, dans ce domaine au moins, aucune nostalgie d’un système qui a peut-être fait son temps. Là encore, il semble qu’il y ait matière à se documenter en regardant ce qui nous vient des USA.

Aujourd’hui mardi s’il ne tombe rien du ciel, sortie raquettes dans les neiges d’Apremont avec des amis. Comme d’habitude, ce sera la météo qui décidera.

Photo : la lune dans les frênes, vue de ma fenêtre. (photo © Christian Cottet-Emard)

15 février 2015

Carnet / De la sincérité

Levé à 6h ce samedi matin. Je ne dors que d’un œil et seulement quelques heures. Dehors, grand vent, averses et éclaircies dans la matinée. Les frênes s’ébrouent de leurs glaçons et se redressent.

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La maison émerge peu à peu de sa gangue de neige. Encore quelques gros flocons fondus transformés en pluie battante. C’est toujours moins pénible que la neige. Dès qu’il fait plus doux, les parfums de terre sont libérés. J’ai de nouveau entendu la chouette.

Musiques chorales et avec orgue de Walton le matin (The Twelve, Coronation Te Deum, Magnificat and Nunc Dimittis, Jubilate Deo, Antiphon) et Brahms l’après-midi (Variations sur un thème de Haydn, Ouverture tragique, Ouverture académique). Poursuite de la lecture du pavé de Samuel P. Huntington, Le Choc des civilisations

Avant de rendre visite à ma mère vers midi, une brève incursion au marché d’Oyonnax pour acheter du comté Seignemartin. Oyonnax, bourgade de plus en plus déprimante et pas question de lui préférer Saint-Claude qui est dix fois pire dans un autre style. Pas étonnant que le photographe Raymond Depardon ait fait son miel de ces deux villes dans son affreuse et éprouvante série intitulée La France

Je remonte vite dans mon village jurassien où ma maison et ma propriété un peu à l’écart et donnant sur un beau paysage me plaisent (malgré l’hiver) mais je n’irai ni plus haut ni plus loin dans la Franche-Comté que je trouve sinistre.

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Ce coin de nature où je suis installé est une bulle spatio-temporelle dans laquelle j’arrive à faire mon nid parce que je sais que je peux m’en échapper quand je le souhaite. Cette solution me semble plus prudente et plus adaptée à mon caractère assez réactionnaire, craintif, méfiant et peu enclin aux adaptations rapides que nécessiterait un déménagement dans le Sud-Ouest ou à Lisbonne ainsi que j’en suis souvent tenté. C’est aussi une question d’argent. Je ne suis pas dans le besoin mais je n’ai pas non plus les moyens d’avoir des résidences secondaires. Le mieux pour moi est donc de garder ma base actuelle et d’effectuer des séjours touristiques dans les grandes villes et capitales qui me plaisent. En plus, j’aime les hôtels (de préférence standards et où l’on parle français). 

Je sais, tout cela n’est ni brillant ni original mais l’originalité, j’essaie de la réserver à la littérature tout en lui préférant tout de même la sincérité. Sinon, à quoi bon ces carnets ?