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16 novembre 2018

La postface de mon recueil Poèmes du bois de chauffage

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Les titres de ces quatre suites et de ce grand poème étrangement réunis en un volume témoignent d’une faible confiance en la poésie et, d’ailleurs, en quoi que ce soit. J’en veux pour preuve la notule dans laquelle il prend le contrepied d’André Breton, un poète qu’il admire mais qu’il n’aurait pas forcément aimé rencontrer : Il y a un message au lieu d’un lézard sous chaque pierre (extrait d’Épervier incassable dans Clair de terre). On trouvera donc plus le lézard que le message sous les pierres dans cette poésie qui n’en est pas vraiment une si l’on en croit l’homme décalé, ni campagnard ni citadin, certes disponible aux signes du monde parfois lisibles dans les lignes du bois mais distant vis-à-vis de toute idéalisation de la nature. Ainsi, le narrateur des Poèmes du bois de chauffage n’est-il pas en quête d’une expérience spirituelle de la nature qui constitue pourtant le cadre intime de sa vie quotidienne.
 
Il en va de même dans l’environnement souvent moins rustique et plus urbain de La vie au bord, un ensemble qui devait à l’origine s’intituler Flash code, titre auquel l’auteur a renoncé pour le réserver à une autre série en voie de publication. La ligne narrative de La vie au bord diffère peu de celle des Poèmes du bois de chauffage. Thématique restreinte, expression volontairement relâchée voire revendication d’une certaine trivialité mais nul excès de noirceur dans ces paysages à peine ébauchés tels des croquis dans un carnet virtuel où glissent parfois des silhouettes furtives et silencieuses. Bien qu’en marge de tout groupement et de toute chapelle, C C-E se reconnaît tout de même en matière d’écriture apparentée à la poésie dans la tendance au retour à la narration en ce début du 21ème siècle. Il est donc logique de trouver des personnages dans ses poèmes.
 
Paysage / Évasion se veut autant narratif que les deux ensembles précédents mais s’en éloigne par son ton plus grave et son rythme plus ample accordé à celui de la marche du narrateur. L’emploi de la deuxième personne du singulier n’est pas une figure de style mais plutôt une allusion ironique à l’habitude de parler tout seul lorsqu’on est isolé et mélancolique.
 
On retrouve ce mode de narration à la deuxième personne dans La lune du matin. Le sous-titre et autres récits de l'homme invisible exprime le paradoxe de l'individu occidental tiraillé entre le désir de reconnaissance et l'aspiration à l'anonymat.
 
Au moment de conclure, je m’aperçois que j’ai adopté un ton un peu trop sérieux pour évoquer ces quatre ouvrages alors que leur auteur est le premier à les considérer comme des fantaisies mineures en raison, de son propre aveu, de leur composition aléatoire et paresseuse.
 
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Preben Mhorn
 
 
 
 

20 janvier 2017

Carnet / De l’ours

Parmi le bric-à-brac pathétique d’idées, d’illusions, d’obsessions et de vagues espoirs que nous trimballons tout au long de notre vie comme une batterie de casseroles accrochées à l’arrière d’une voiture de jeunes mariés, notre bestiaire personnel tient une place de choix.

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Le mien se compose du lézard, du cobaye, de la pipistrelle et, surtout, de l’ours. Il fallut que j’atteigne ces âges qu’on dit de la maturité pour me rendre compte à quel point la figure de l’ours est présente dans mon esprit voire parfois dans mon corps lorsque l’hiver et cette saleté de neige me rendent somnolent, grognon et boulimique.

En faisant défiler le film de ma vie, un très ancien souvenir de ma prime enfance apparaît à l’écran : lors d’un dîner de famille au Nouvel An, après m’être bien garni la panse et avoir vidé les fonds de verre, j’entendis les adultes parler de la Grande Ourse et je crus que le ciel était réellement habité par un spécimen d’ours géant et noctambule qui venait parfois rôder dans mon sommeil. Ce rêve ne m’inquiétait guère car la Grande Ourse était accompagnée de la Petite Ourse, elle était donc une maman et il n’y avait rien à craindre d’une maman.

La créature que je redoutais le plus avant de m’endormir dans la tanière de mes couvertures en osant à peine risquer un œil dans la nuit énorme et remuante était le loup (merci Sergueï Prokofiev). L’intensité dramatique de l’irruption tonitruante des cors annonçant le loup sortant du bois me fait encore aujourd’hui froid dans le dos.

Pour en revenir à la figure du plantigrade, j’eus deux ours en peluche dans mon enfance. Le premier avait le ventre rempli de crin et s’appelait Copain. Je me demande pourquoi je l’avais baptisé ainsi car m’entourer de copains n’a jamais vraiment été mon style.

Le deuxième ours en peluche arriva plus tard à la faveur d’une légère régression psychologique ainsi qu’il s’en produit parfois à la fin de l’enfance. Il s’appelait Teddy et déclarait j'aime bien les gâteaux si l’on tirait sur l’anneau prolongé d’une ficelle disposé sur son flanc. La brève carrière de Teddy s’interrompit brutalement le jour où, tirant sur la ficelle, j’entendis la phrase j’aime bien les gâteaux finir en un infâme borborygme évoquant la conclusion peu flatteuse d’une flatulence fatale consécutive à un grave accident mécanique.

Un autre ours d’enfance s'invitait à l’heure du repas, celui de la série télévisée Bonne nuit les petits. Je le trouvais sympathique parce que j’avais associé le grain de sa voix ronde et chaleureuse à l’appétissant fumet de la quiche lorraine dont je raffolais et que je humais face au halo laiteux de la lucarne. En revanche, j’estimais que le marchand de sable avait mauvais genre et Nicolas et Pimprenelle des têtes à claques.

L’adolescence venue, les ours disparurent de mes préoccupations au profit de créatures moins poilues du genre qu’on invite au restaurant. En ces périodes excessivement hormonales, l’ours qui tentait de se faire oublier en moi se trahissait quand même par son comportement glouton et pataud.

Parfois, dans mes tiroirs et dans mes carnets, la silhouette de l’ours se dandine dans un conte pour enfants inédit destiné à la scène. Je ne l’ai pas beaucoup travaillé et encore moins publié parce que j’aurais besoin d’un musicien compositeur et d’un décorateur pour mener à bien ce projet. Hélas, comme le travail en équipe me met de la même humeur qu’un grizzly dérangé en plein petit déjeuner...

Encore quelques mots à propos de l’ours. Je vais finir par croire pour de bon que les livres ne nous arrivent pas par hasard.

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Je viens en effet de finir l’année 2016 sur une lecture des plus réjouissantes, un roman américain ironique en antidote parfait à la majorité des petits machins prétentieux de bon nombre de nos romanciers hexagonaux à la mode. L’ours est un écrivain comme les autres, de William Kotzwinkle (ne me demandez pas comment cela se prononce) est une fable désopilante sur les magouilles de l’édition, le malentendu et la vanité du succès. À vous procurer d’urgence aux éditions 10/18 ou aux éditions Cambourakis pour agrémenter votre hibernation ou lutter contre la déprime hivernale, même si vous n’êtes ni un écrivain ni un ours.

 

07 mai 2016

Carnet / Des maléfices de la lune rousse

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Fin de la lune rousse. Un répit avant les trois flingueurs de moral et de végétation, Mamert, Pancrace et Servais, les Saints de glace. La lune rousse a méchamment mordu les premières pousses des rosiers et éraflé les nouvelles feuilles des lilas les plus jeunes. Le seul rosier épargné était sous abri, protégé par l’avant-toit. Peut-être m’a-t-elle aussi sapé le moral et tordu les boyaux pendant plusieurs jours. Hésitations incessantes sur la quatrième de couverture de l'édition de mes carnets.

Hier, brève apparition du premier lézard sur le mur sud, risquant un œil et sa petite gorge palpitante depuis son abri derrière le volet de bois. Au crépuscule, premier vespertilion dans le ciel mauve. Deux lessives séchées au grand air dans la même journée. J’ai tondu mes trois mille mètres carrés et bêché le potager. Plantation d’un cerisier du Japon et d’un magnolia devant la maison.

J’ai regardé le début d’une émission sur la pollution lumineuse commençant par cette question sur fond d’immensité de gratte-ciel à Hong Kong : « Qui peut aujourd’hui contempler la voie lactée à l’œil nu ? » Eh bien moi, par exemple, ce qui me console un peu de l’extinction de l’éclairage public à 23h dans mon village. On s’y fait mais l’autre soir, en fumant dehors dans la nuit noire, j’ai trébuché dans les pierres qui font office d’escalier extérieur et j’ai bien failli me retrouver cul par dessus tête un peu plus bas au milieu du grand lilas.

Bonne résolution : ralentir le rythme avec l’apéritif whisky-chips-cigare et me coucher à une heure de chrétien. En écrivant cela, je me demande si la lune rousse n’a pas aussi altéré ma lucidité.

Photo : pour conjurer les maléfices de la lune rousse devant chez moi. (photo CC-E)