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25 juillet 2020

Une nouvelle pour l'été

Beignets ! Qui veut des beignets ?

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« Beignets ! Qui veut des beignets ? Beignets ! » criait dans le sable la petite étudiante râblée. Elle poussait son cri de guerre commercial mais son appel se suspendait dans les airs comme les fanions, les cerfs-volants et les avions en plastique qui tournoyaient au-dessus des parasols bariolés.

« Il n’y a pas trop de vagues, je vais nager un peu » dit-il à sa femme qui lisait. Après quelques foulées parmi les serviettes et les châteaux de sable, il marcha dans l’écume en prenant soin de vérifier qu’il se trouvait au milieu de l’aire de baignade matérialisée par deux fanions. Il entra dans l’eau sans peine, commença de nager alors qu’il avait encore pied, grimpa quelques petites vagues et profita du calme de l’océan ce jour-là pour faire un peu la planche.

Dès qu’il voyait enfler une vague un peu plus haute que les autres, il se repositionnait sur le ventre et se laissait soulever en gardant un œil sur les sauveteurs perchés au sommet de leurs sièges métalliques. Dès qu’il se sentait dériver vers la limite de baignade, il nageait vigoureusement de manière à regagner le milieu de la zone surveillée aménagée entre les dangereuses baïnes.

Après un bon quart d’heure de bain, une légère fatigue l’alerta sur la nécessité de retourner au sec mais au même moment, il réalisa qu’il se trouvait immobilisé dans une sorte de cuvette invisible. Il ne sentait aucun courant le tirer vers le large mais il ne pouvait presque pas progresser en direction de la plage pourtant assez proche. Il décida d’accentuer son effort mais rien n’y fit, pas moyen de rentrer.

Un regard vers les sauveteurs lui confirma qu’il ne s’était pas éloigné mais qu’il était bien bloqué dans ce qui ressemblait à un tourbillon alors qu’à quelques mètres devant lui, d’autres nageurs regagnaient le bord sans problème. Il força un peu plus sur les bras en veillant à ne pas s’épuiser dans des mouvements désordonnés qui risquaient non seulement de l’essouffler mais encore d’alerter les sauveteurs. Réapparaître sur la plage dans les bras d’un sauveteur, il n’avait aucune envie de connaître cette honte, mais l’idée l’effleurait maintenant de les appeler au cas où ses forces déclineraient trop vite.

Il se sentait en effet de plus en plus fatigué. Pour ne rien arranger, une vague qu’il n’avait pas vu arriver se brisa sur lui. Il émergea du bouillonnement le souffle de plus en plus court. Son cœur battait plus vite. Un début de panique le gagna. Il se trouvait pourtant toujours à la même faible distance de la plage et des sauveteurs. Pour reprendre son souffle, il décida de se laisser flotter quelques instants sans nager en espérant qu’une vague en formation finirait par le hisser hors de cette nasse. Il pria surtout pour qu’aucune grosse vague ne se forme plus loin derrière et ne vienne le rouler trop violemment dans les flots alors qu’il se sentait de plus en plus en perte d’énergie.

Une sensation étrange l’envahissait. Le monde autour de lui semblait devenu subitement gris. Le ciel, l’océan et la plage avaient perdu leurs couleurs. Tout était d’un gris uniforme, comme s’il se trouvait désormais prisonnier d’une photo en noir et blanc mal développée. « Eh bien voilà comment ça va finir » , pensa-t-il avec dépit. « Je suis né en 1959 et ça va finir ainsi. Jamais je n’aurais prévu que cela finisse de cette manière. J’aurais dû manger un sandwich avant de me baigner » .

Il pensa à sa femme qui avait toujours été là pour lui, d’un amour infatigable, aux vacances gâchées, à sa fille qui n’était pas venue avec eux et à qui il se reprochait maintenant de ne pas avoir pris le temps de dire qu’elle devait se montrer toujours prudente, qu’elle devait se méfier de la baignade, même entre les fanions... La preuve.... Plus jamais de beignets, plus jamais de sandwichs, plus jamais...

Maintenant, au milieu de cette eau grise, il sentait le froid l’envahir. Il tourna encore une fois la tête en direction du large lorsqu’il vit grandir une très grosse vague, sombre, plombée, sinistre. Mais la vague ne s’effondra pas sur lui. Elle semblait en suspens, bloquée dans son ascension. Au sommet de sa crête d’écume, se tenait une statue de femme, une belle femme. « Belle, certes, très belle même, mais pas vraiment mon genre » , pensa-t-il. Cette statue était aussi une statue de sel. Il se dit qu’il ne fallait pas la regarder, qu’il lui fallait détourner les yeux et regarder en direction de la plage quoiqu’il arrive, regarder absolument la plage et surtout pas cette statue.

Il détourna donc les yeux, tourna le dos à la statue, s’allongea sur le ventre en fixant la plage et attendit la chute de la vague. Il sentit alors une force le soulever et le pousser vers les parasols qui reprenaient progressivement leurs couleurs. Il distinguait le sien et voyait sa femme qui était là comme elle avait toujours été là pour lui.

Il entendait aussi la petite étudiante râblée qui poussait son cri de guerre commercial « Beignets ! Beignets ! Qui veut des beignets ? Beignets ! »

Comme la vie en couleur était étrange, vraiment. Bien plus étrange que la statue de sel au sommet de la grande vague.

 

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Nouvelle extraite de mon recueil Mariage d'automne, éditions germes de barbarie, 2017. Tous droits réservés © éditions Germes de barbarie 2017.

Pour Oyonnax et sa région, ce livre est disponible en prêt à la médiathèque municipale d'Oyonnax au centre culturel Aragon.

Une lecture de Mariage d'automne par Didier Pobel :

S'il fallait définir - quelle idée, on vous l'accorde! - les nouvelles de Christian Cottet-Emard, ce serait, disons, des traces. Traces de temps, traces d'amour, traces de vie. Quelque chose comme ces "grands rectangles clairs"  laissés par les tableaux retirés d'un mur évoqués dans le sixième texte. L'intrigue a toujours la minceur d'un fil. Un barbecue noyé par l'orage sous lequel clapote "la ruine de nos existences". Les noces d'une amie où un invité chômeur, "pas à sa place", doute de son cadeau. Les manigances d'un étrange couple en Rolls verte. Les retrouvailles entre un vieil écrivain et une femme dont elle fut jadis brièvement l'amante...

   Les protagonistes existent à peine. L'un d'eux s'adonne à la simple "observation de l'air", un autre se réconforte à la vue d'un forsythia au bord d'une voie ferrée. Il s'appelle Mhorn. Pas étonnant qu'il appartienne tout particulièrement à cette  "morne confrérie de nouveaux nomades exilés"  traversant ces proses aux volutes syntaxiques de cigare où affleure une mélancolie acidulée que ne renieraient ni Henri Calet ni Jules Laforgue en vadrouille à la fin du recueil.

   Un ouvrage qui, quoique intitulé Mariage d'automne, pourrait bien offrir toutes les vertus d'une délicieuse lecture d'été. À l'ombre des "nuages lenticulaires". Ou au bord d'un lac bugiste. Instantanés, scènes intimistes. Côté court, Cottet jardin.

 

23 avril 2020

Carnet / D’une étrange attirance

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Je m’abandonnerais encore plus facilement au charme bucolique de la nature et aux rêveries poétiques qui vont avec si, lors d’une promenade, ma main pouvait s’assurer de la présence d’une arme chargée dans ma poche. La loi me l’interdit mais pour mes personnages, c’est une autre histoire ! Lorsque j’écris un roman ou une nouvelle, j’ai un vrai plaisir à me documenter sur les armes de poing dont je peux les équiper lorsqu’ils évoluent en eau trouble.

Ce goût me vient de mon enfance désormais lointaine. À cette époque, les années soixante du vingtième siècle, les magasins de jouets regorgeaient de revolvers et de pistolets si réalistes qu’ils étaient utilisés par certains truands amateurs qui avaient la mauvaise idée de s’en servir pour des braquages, le genre de projet qui peut vous envoyer à l’ombre pour autant d’années que si l’arme n’est pas factice, et c’est très bien ainsi.

Dans la propriété de mes grands-parents où, tout gosse, je passais la plus grande partie de mon temps, la cour intérieure, le jardin et le hall résonnaient plus que de raison des pétarades de mes jouets favoris. Il s’agissait de deux lourds colts en métal chromé dont on appelait les munitions, bien sûr sans projectiles, des amorces.

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Rien ne m’excitait plus que d’appuyer sur la détente dans les endroits les plus sonores, notamment ce fameux hall carrelé aux murs peints dans les années trente d’où partait le grand escalier menant au premier étage, ce qui n’était vraiment pas du goût de mon arrière-grand-mère exposée à ce vacarme à quelques mètres de son appartement.

Il échappait à mon insouciance d’enfant qu’elle était née à la fin du dix-neuvième siècle, plus exactement en 1882, et qu’elle pouvait donc prétendre, malgré sa santé de fer hélas doublée de longs épisodes dépressifs, à un repos bien mérité jusqu’à la fin de sa vie qui survint en 1978 alors que j’avais dix-neuf ans.

Elle avait trente-deux ans en 1914 et cinquante-sept en 1939 mais lorsqu’elle me parlait des deux guerres mondiales, c’était toujours sous le coup de la frayeur transmise dans la mémoire traumatique familiale par l’incarnation de la figure de l’ennemi prussien, les uhlans, même si ces cavaliers armés de lances ne furent engagés qu’au début de la guerre de 14 avant d’être envoyés comme fantassins dans les tranchées.

Contrairement à d’autres membres de ma famille qui s’en désolaient, mon arrière-grand-mère semblait indifférente à ma préférence de petit garçon pour les jeux guerriers et les armes. C’est en pensant à elle que j’ai écrit une courte nouvelle sur le thème des uhlans. Tous les récits familiaux des deux conflits mondiaux et du conflit algérien ont réussi à me transmettre le dégoût de la guerre mais, paradoxalement, pas celui des armes individuelles, en particulier les armes à feu.

 

 

31 mars 2020

Nouvelle / La déroute des uhlans

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Cette fois, la terreur, la désolation, le chaos et la mort étaient à nos portes. On avait signalé les uhlans à quelques encablures. C’était la fin. On ne sortirait plus des ténèbres. On entendait des clameurs, des cris, les galops et les hennissements de leurs chevaux. Le vacarme emplissait la nuit.

Une ombre envahit d’un seul coup le mur en face de moi, un cheval qui se cabrait, et son cavalier avec sa lance. Puis une longue plainte, déchirante, les sanglots, les gémissements de qui a perdu tout espoir et puis, subitement, plus rien. Le silence.

Je me redressai et je vis le château encore debout. De nombreux combattants encombrés de leurs cuirasses gisaient comme des tortues qu’on aurait retournées sur leurs carapaces. Le seul rescapé était le grand cavalier noir.

La longue plainte reprit, plus désespérée, plus lugubre, comme si les voix des victimes des uhlans se joignaient en un choeur funèbre ultime.     

Malgré leur férocité, les uhlans n’avaient pas pu venir à bout du cavalier noir qui les avait tous mis en pièces.

J'avais fini par l'obtenir après les devoirs de vacances du jour, l’arrosage du jardin, le balayage des feuilles mortes dans la cour, le rangement de la vaisselle et pas une seule défaillance dans le lavage des mains avant et après le repas (petit déjeuner compris), avant d’aller aux toilettes et avant d’en sortir, moyennant quoi j’avais enfin pu incorporer le cavalier noir en renfort à mon armée de fantassins en plastique.

© Éditions Orage-Lagune-Express