03 juin 2006
Tu écris toujours ? (41)
Leur petite entreprise
Lorsque j’ai quitté la presse quotidienne régionale, voici une quinzaine d’années, mon départ a coïncidé, par un hasard du calendrier, avec la parution d’un de mes livres. Parmi les différentes réactions suscitées dans mon entourage par ce changement de cap (certains ont cru que j’avais gagné au loto, d’autres, plus réalistes, que j’avais grillé un fusible), une question m’a pris au dépourvu : “alors ça y est, tu es devenu un écrivain professionnel ?”
Associer à ma principale activité cet adjectif qui reste toujours lié dans mon esprit au travail contraint, à “la peine” comme disent les italiens, ne m’était jamais venu à l’idée. Je mène une double vie, celle de monsieur tout-le-monde qui vend de son temps pour survivre dans la société marchande où seule une infime partie de moi est présente, et l’autre, celle de ma véritable présence au monde, où je pèse de tout mon poids d’os, de chair, de joie, de rêve éveillé, rythmée non seulement par l’écriture mais encore par la musique et la promenade.
Qu’est-ce qu’un “écrivain professionnel” ? Peut-on se représenter sans rire un “poète professionnel” même si la cour d’Angleterre arrive encore à nous bluffer avec son très officiel poète lauréat, à l’inverse de la monarchie belge qui prête décidément le flanc aux fameuses histoires (plutôt qu’à l’Histoire) en anoblissant la bonne du curé ? Blague à part, il n’existe heureusement pas de carte officielle d’écrivain et le degré de “professionnalisme” semble donc, dans l’esprit du grand public, se mesurer à l’aune de la notoriété, des tirages et du train de vie, la qualité de l’oeuvre s’avérant pour le coup très secondaire.
Que vient-il faire en cette galère ce mot “professionnel” qui s’impose sans cesse dès qu’on évoque l’activité littéraire et surtout journalistique ? On qualifie de “professionnel” celui qui vit de son activité, ce qui, pour les journalistes notamment, constitue d’ailleurs le principal critère d’attribution de la carte professionnelle. Or une multitude d’individus pratiquent de fait, payés ou non, l’écriture et le journalisme (correspondants locaux, pigistes occasionnels ou permanents...) et l’apparition des blogs amplifie ce phénomène de manière considérable. Cela vaut aussi pour les écrivains, même si, en l’occurence, la frontière entre “pros” et “non pros” s’avère moins nette.
Alors, quel autre critère peut-on trouver pour déterminer le professionnalisme d’un écrivain ? La technique, la pratique, l’organisation ? Je suis toujours perplexe de lire, ici ou là, que tel auteur se fait fort “de travailler à heures fixes” (pas un jour sans une ligne) et carrément agacé par la suffisance de ces besogneux qui affirment écrire par “nécessité vitale”, ce que mon esprit a tendance à traduire par “besoin impérieux” pour qui ne pisse pas que de la copie. Et s’il y avait de la désinvolture à imposer au lecteur le fruit douteux d’une activité compulsive ? On peut se poser la question à la lecture d’une bonne partie de la production incroyablement ponctuelle, à chaque rentrée littéraire, d’écrivains sous contrats et bien décidés à le rester, quitte à imposer un rendement industriel à leur petite fabrique d’écriture automatique. À quand l’écriture et la publication “en flux tendu”, comme dans le plastique et l’automobile ? Tendrons-nous pour autant au “zéro défaut” avec “contrôle de la production à tous les stades de la mise en oeuvre” ?
Il faut se rendre à l’évidence, l’époque est aux professionnels et peu importe, du reste, le secteur d’activité. L’essentiel, c’est d’en être, dûment estampillé, agréé, certifié, diplômé, incorporé, assermenté. Il ne me déplaît certes point de savoir que l’installateur de ma chaudière à gaz est un professionnel. En revanche, je me moque éperdument de la collection de diplômes et du statut (professionnel ou non) de l’auteur d’un livre ou d’un article pourvu que cette lecture m’ait plu. De nombreux pigistes à jamais refoulés par la commission d’attribution de la carte des journalistes professionnels sont bien meilleurs que leurs collègues encartés. Quant aux écrivains qui s’aventurent parfois dans le marigot de la presse, ils pourraient, si on leur en donnait un peu plus souvent le loisir, comme par un passé hélas bien révolu, mettre le feu à une langue de bois qui lèche non seulement le papier journal mais encore les bottes des actionnaires.
En littérature, j’avoue une véritable prédilection pour les sans-grades, les autodidactes, les déclassés et, suprême mauvais goût, les dilettantes. Que voilà de nos jours un vilain mot, dilettante, pourtant si bien porté jadis, au temps où l’on reconnaissait l’honnête homme en l’amateur éclairé...
(À suivre)
00:36 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (1)
01 juin 2006
Duong Thu Huong
Ici : une belle interview inédite de Duong Thu Huong
sur le site de Calou
Sur Duong Thu Huong, on peut aussi consulter le livre de l'agence Opale "Portraits d'écrivains, histoires de rencontres"
(éditions Bréal, 2002, 160 pages, 24 euros) avec un
magnifique portrait signé par le photographe John Foley, page
133.
15:58 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (3)
30 mai 2006
La revue, mode d’emploi

de Jean-Jacques Nuel Éditions de L’Oie plate. 2006. (BP 17 - 94404 Vitry-sur-Seine Cedex) 220 pages. 21 euros.
Comment publier une revue ? Comment publier en revue ? Voilà deux questions qu’on se pose un jour ou l’autre lorsqu’on s’essaye à l’écriture, notamment lorsqu’on débute. La première édition du guide à l’usage des auteurs, des créateurs de revues et des attachés de presse concocté par Jean-Jacques Nuel répondait en détails.
La seconde édition, parue tout récemment, traite le sujet de manière exhaustive avec 20 % de texte en plus et une précision parfaitement en rapport avec les dernières évolutions techniques (revue papier, revue en ligne).
Romancier, nouvelliste, essayiste, poète, critique, chroniqueur, Jean-Jacques Nuel connaît bien le réseau des revues. Il en a créé et animé une, Casse, de 1993 à 1996, et de nombreuses revues l’ont publié, des plus confidentielles aux plus en vue. L’avantage et l’originalité de son guide pratique est de puiser dans sa triple expérience d’auteur, de responsable de publication et de chroniqueur, ce qui lui permet de présenter toutes les étapes de cette véritable aventure qu’est la création d’une revue, sans oublier la stratégie du candidat à la publication souvent dérouté par le nombre et la variété des supports.
Du simple cahier agrafé au volume broché, de la feuille photocopiée au magazine, la naissance, l’existence et le fonctionnement de toute revue requièrent des connaissances et des compétences qu’on peut certes acquérir soi-même en avançant pas à pas dans un projet de création et de publication. Nombreux sont ceux qui empruntent ce chemin semé d’embûches administratives, fiscales, financières et techniques pour ne parler que de l’aspect matériel contre lequel peut se heurter l’enthousiasme des débuts. Souvent, le diable est dans les détails et le créateur de revue comme l’auteur en mal de publication peuvent s’en apercevoir à leurs dépens.
Fruit d’une réflexion et d’une pratique rigoureuse, méthodique, le guide de Jean-Jacques Nuel, riche d’adresses et doté de précieuses annexes, peut faire gagner un temps précieux à qui veut construire un projet et le réaliser sans perdre de vue l’objectif de départ, l’expression de la pensée, des idées, afin que le rêve ne s’enfouisse pas sous la procédure.
De cet ouvrage unique en son genre, écrit dans un style clair et concis, on peut dire qu’il est une référence, de surcroît dans cette deuxième édition augmentée et... revue !
13:30 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (0)