Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03 novembre 2005

Clefs des chants

Vol

Longtemps avant le poème, ces moments où la pensée s’envole comme un voile d’étoffe laissé aux caprices de l’air et qui s’amarre un instant au vent, à tout ce qui peut retenir sans contraindre.

Plus bas
Quand plus personne n’écoute, il faut parfois, pour continuer à se faire entendre, non pas crier plus fort mais chuchoter. Alors, en face, on tend l’oreille.

Effort
Comme tous les paresseux, je suis capable, dans un temps très court, de fournir un énorme effort : l’écriture d’un poème, par exemple.

Rien
Dire que tout poème est un poème d’amour n’a rien à voir avec le lyrisme.

Attente
Le poème, comme un enfant, ne peut s’épanouir que si je n’attends rien d’autre de lui que sa belle existence.

Lecture
Un poème n’exige pas d’être totalement décodé pour témoigner d’un sens qui ne s’y trouve pas caché mais simplement mobile.

Vivants
Les poèmes sont là pour nous rappeler, de temps à autres, que nous tentons d’être vivants.

Vérité
Dans un poème, l’auteur cherche sa vérité. S’il est réussi, les lecteurs y trouvent une part de la leur.

Fatigue
J’écris des poèmes parce que je n’arrive pas à me faire comprendre. Sinon, je ne me fatiguerais pas.

(Extraits de mon recueil “Le Pétrin de la foudre”, éditions Orage-Lagune-Express, 1992).

19 octobre 2005

Tu écris toujours ? (30)

On se dit parfois, assez méchamment, que le contact humain est comme toutes les bonnes choses : il ne faut point en abuser. Une telle sagesse n’est malheureusement pas toujours compatible avec les nécessaires concessions à la vie publique auxquelles doit sacrifier l’homme de plume. J’emploie ce terme d’homme de plume car l’écrivain peut très bien, quant à lui, se retirer à la campagne et se contenter des sangliers pour plus proches voisins s’il se moque bien d’avoir d’autres lecteurs que quelques rares amis et parents. N’ayant pas encore, pour ma part, amorcé complètement ce processus régressif, et trouvant encore moyen, en plus de mes écritures, de faire un peu d’édition certes à titre bien amateur, il m’arrive de temps à autres de me laisser embarquer dans quelques entreprises de communication pas si désagréables que cela lorsqu’il plaît à leurs organisateurs de les agrémenter d’un honnête buffet avec tonnelets de rouge et de blanc. Bien sûr, à l’issue de la causerie improvisée dans ce contexte et qui peut avoir pour thème “Comment animer une maison d’édition associative sans perdre tous ses amis”, le risque est bien réel de s’exposer à quelques postillons parce que le débat se prolonge pendant l’apéritif. Mais ce léger désagrément, qui se traduira tout au plus, quelques jours plus tard, par l’apparition au bout du nez ou au milieu du front de ce que ma fille appelle un “spot”, n’est rien comparé à la capacité de nuisance pour le moral de certains types de fâcheux. L’un d’eux s’élança à mon abordage avec un manuscrit toutes pages déployées comme voiles d’un vaisseau battant pavillon noir dès la fin d’une petite conférence que je donnai dans l’annexe d’une librairie. J’avais commis l’erreur d’intervenir coiffé de deux casquettes, celle de l’auteur qui suscita un intérêt poli et modéré et celle, pourtant minuscule, de l’éditeur. J’eus beau expliquer que je ne faisais que participer au travail de la modeste équipe d’édition associative et que la production se limitait à des ouvrages à tirage restreint, je fus la cible désignée des candidats à la publication, certains commençant même à effleurer négligemment le cuir de leur chéquier si cela pouvait d’aventure contribuer à une bienveillante lecture de leur chef-d’oeuvre. Je déclinai cette offre de reconversion dans le louche métier de Barbapapus (le margoulin de l’édition à compte d’auteur dont j’ai évoqué les manigances au début de ce feuilleton) mais cela ne découragea pas le corsaire au manuscrit sauvage qui m’infligea une bordée de monologues lyriques célébrant les richesses de notre future collaboration. Derrière cet homme pour le moins extraverti, je vis alors s’approcher une jeune femme au regard sombre et taciturne qui tenta de s’adresser à lui. Il la rabroua avec grossièreté : “laisse-moi donc cinq secondes, tu ne vois pas que je discute avec mon éditeur ?”. Elle le toisa d’un regard exaspéré dont je fus également gratifié d’une bonne parcelle. Pantois, je profitai d’une bousculade en direction du buffet pour semer le mufle. Une minute après, un verre à la main, je me retrouvai face à la jeune femme dont les yeux noirs me décochèrent une autre salve de mépris. J’optai aussitôt pour une prudente retraite derrière le tonnelet de blanc, à proximité d’une briochette au foie gras dont l’idée, elle au moins, me souriait...

(À suivre)

12 octobre 2005

Charles Ferdinand Ramuz

medium_ramuz.jpg
La musique fut la clef qui m’ouvrit les portes de l’œuvre de Charles Ferdinand Ramuz, l’auteur du texte de la célèbre “Histoire du soldat” d’Igor Stravinsky. Son entrée dans la Bibliothèque de la Pléiade me donne l’occasion de mettre en ligne ma note de lecture publiée voici quelques années dans la presse et sur la Toile, après ma découverte de la nouvelle Le gros poisson du lac imprimée dans l’élégant petit volume des éditions Séquences.

Comment "Le gros poisson du lac", nouvelle écrite par Ramuz en 1914, a-t-elle pu rester inédite jusqu'en 1992 (bien qu'un édition pré-originale ait paru dans la revue L'Aventure humaine, au sommaire du numéro de l'hiver 1988) ? Gérald Froidevaux, en postface de cette première édition mise au point par Séquences, éditeur de la collection ramuzienne dirigée par J.-L. Pierre et qui comprend les principaux titres du grand écrivain vaudois, avance quelques hypothèses. Le texte reste néanmoins nimbé de mystère, non seulement en raison de cette publication tardive, mais encore et surtout par la veine dans laquelle il s'inscrit. Sans sacrifier au fantastique pur, Ramuz explore, dans un style d'une limpide économie, l'aspect le plus irrationnel et le plus ténébreux des motivations humaines.
De la chronique d'un pêcheur plus habile que les autres à sortir des profondeurs abyssales du lac une créature étonnante qui semble contenir l'essence de toutes celles de la création,y compris celle de l'homme, Ramuz amène avec sobriété le lecteur au cœur d'une méditation ironique sur le versant obscur de la vie, sur ce qui ne doit pas être révélé au grand jour ou arraché à un milieu naturel sous peine de se dénaturer au point d'entraîner dans la spirale de la régression, de la décomposition et du chaos tous les êtres ayant approché de près on de loin le mystère. Point d'évocation apocalyptique ou dantesque pour parvenir au but. Ramuz se contente de tenir la chronique du pourrissement, de ce qui se délite : ainsi de la victoire du pêcheur qui se transforme en un échec cuisant, de son prestige qui dégénère en mépris, de sa proie qui se décompose en un brouet infâme à peine dans les casseroles, de sa fortune consécutive à la vente du poisson à une population aussi avide de la nouveauté que du remboursement de ses dépenses insensées pour quelques grammes de chair inconnue. Au passage, Ramuz éclaire froidement les rapports de pouvoir et de trahison qui s'établissent entre les personnages, hissant son récit à la hauteur d'un contrepoint d'une évidente virtuosité.
A notre époque où la notion de "transparence" bascule parfois dans les excès de l'obsession hygiéniste, la nouvelle de Ramuz nous rappelle que l'homme, du haut de sa science et de son ingéniosité, doit aussi savoir prendre en compte l'opacité, le secret, l'énigme, gardiens d'une marge de liberté, et composer avec ces données de l'existence qu'incarne le fabuleux poisson.

Charles Ferdinand RAMUZ,
Le Gros poisson du lac,
1992, 64 p,
éditions Séquences,
125, rue Jean-Baptiste Vigier,
44400 Rezé,

- Deux volumes de la Bibliothèque de La Pléiade, éditions Gallimard (romans 1 et 2).
- Oeuvres complètes, éditions Slatkine.

- À lire sur Ramuz, deux excellents articles sur
Les carnets de JLK