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28 juillet 2020

Une nouvelle pour l'été

Amoureux trois quarts d'heure

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Sylvain s’éloigna du groupe car il ne s’était pas trouvé seul depuis la veille. La lune éclairait le plateau et les seuls intermédiaires entre la voûte céleste et l’arrondi des prairies étaient les buissons de buis et de genévriers aux silhouettes tour à tour inquiétantes et rassurantes. Il marcha quelques instants dans l’herbe et retrouva vite le chemin qui descendait vers la forêt. Plus bas, le chemin s’élargissait en une route goudronnée qui serpentait jusqu’au-dessus de la bourgade où habitaient la plupart des filles et des garçons réunis ce week-end autour du feu de camps. Ceux qui avaient renoncé à la promenade nocturne continuaient de jeter dans le foyer de grandes brassées de genévrier.

Sylvain n’entendait plus crépiter les flammes qui s’élevaient avec les rires vers la voie lactée mais il flairait encore le parfum du feu. Lorsqu’il eut rejoint la route goudronnée, le silence et l’humidité des futaies l’enveloppèrent. Il avançait d’un pas régulier qui s’accordait bien avec le rythme de sa rêverie. Combien de temps marcherait-il ainsi ? Il n’en avait pas idée. De toute manière, il ne pouvait pas s’égarer puisque la route menait jusqu’à la ville et comme il n’avait pas l’intention de rentrer chez ses parents, il n’aurait qu’à faire demi-tour pour remonter au campement lorsqu’il le déciderait.

Déambuler seul dans la forêt en pleine nuit constituait une expérience inédite. Une nouvelle porte semblait s’ouvrir sur le monde. Ses camarades partageaient-ils la même sensation ? Bon nombre d’entre eux n’en étaient pas à leur premier feu de camps et avaient déjà l’habitude de sortir le soir pour aller faire la fête. Dans le groupe, quelques filles avaient déjà plus d’expérience et de maturité que lui.

La veille, tout le monde s’était donné rendez-vous à la sortie de la ville, en bas de la route qui montait au plateau. Certains s’accrochaient à deux par cyclomoteur, d’autres transportaient les provisions dans les sacoches de l’engin. Sylvain avait hérité d’un solide chargement de pain. Plusieurs garçons chevauchaient des bécanes aux couleurs des années soixante. Sylvain roulait quant à lui sur un Amigo jaune tout neuf qui semblait prêt à faire le tour de la planète.

Avec l’aide d’un grand frère qui venait d’obtenir son permis de conduire, les plus âgés du groupe avaient acheminé puis monté les tentes depuis deux jours. Ils n’étaient pas mécontents de voir arriver le reste de la troupe avec les victuailles. Après quelques bières, on relança le feu dès le crépuscule en déposant de l’épicéa et du genévrier sur les braises. Le grand frère était remonté faire un tour après avoir acheté des saucisses qu’on fit aussitôt griller. On arrosa les hot-dogs d’une piquette que l’air frisquet du plateau transforma en nectar. La fringale générale n’épargna pas une miette des baguettes pourtant réservées au petit déjeuner. Demain serait un autre jour.

Quelqu’un gratta l’éternelle guitare et le genièvre pétilla dans les flammes odorantes très tard dans la nuit. Presque tout le monde tomba d’accord pour une balade au clair de lune, excepté le grand frère et ses copains qui bossaient à l’usine à quatre heures du matin. Sylvain tenta d’imaginer quel effet cela pouvait faire de se retrouver à l’usine à quatre heures du matin après avoir passé une partie de la nuit à boire, manger et raconter des blagues autour d’un feu de sapin et de genévrier.

Maintenant, il marchait d’un pas régulier sur le goudron parfois soulevé par de grosses racines. De puissantes senteurs d’épicéa et de pin s’échappaient de cuvettes obscures et se dispersaient dans un léger souffle de brise qui retombait aussitôt. La forêt semblait se contenter de ces courtes respirations qui avaient à peine effleuré les chevelures des filles, tout à l’heure, autour du feu. Au début de sa promenade solitaire, Sylvain avait entendu leurs rires étouffés à mesure qu’il s’éloignait mais maintenant, le silence n’était rompu que par un froissement d’aile invisible ou le craquement d’une branche sèche. Pour se donner de l’assurance, il s’imprégna du quatrième mouvement de la septième symphonie de Mahler, l’andante amoroso « Nachtmusik » .

Peut-être avait-il marché trop loin, ce qui l’obligerait à remonter très tard au campement. Son seul désir était désormais de rejoindre le groupe qui devait déjà se reconstituer autour du feu. Sylvain regarda sa montre. Finalement, il n’avait pas pu marcher aussi longtemps qu’il en avait eu l’impression. Les autres étaient peut-être tout près, derrière quelques virages, un peu plus haut sur la route. Pourquoi n’était-il pas resté avec les filles, en particulier avec Prune qui lui avait souri quand leurs regards s’étaient croisés au moment d’allumer le foyer ? Le sourire espiègle de Prune, ses joues empourprées par la bonne chaleur du feu et le grand air, sa voix douce, quelle idée de préférer de solennelles rêveries à cette magie toute neuve... Que devait-elle penser de lui en cet instant ?

Cette route forestière moirée sous le clair de lune, ce paysage qui lui évoquait Verlaine, Laforgue, ces grands arbres qui berçaient encore sous leurs ramures les féeries de son enfance, tout n’était plus qu’un décor à l’abandon, un cahier interrompu aux premières pages. La vie était auprès de Prune, il devait se rapprocher d’elle, prononcer son prénom, Anita, et non pas ce surnom, Prune, qui lui venait d’on ne sait qui. Anita ! Anita ! Il allait l’appeler par son prénom et lorsqu’elle l’entendrait l’appeler « Anita ! » au milieu de la forêt, « Anita ! » , elle comprendrait qu’il la préférait, elle, bien sûr, si fraîche et lumineuse, si présente et chaleureuse, qu’il la préférait évidemment aux fantômes du monde ancien. Elle le saurait, elle en aurait la certitude, comme lui. Et les autres qui entendraient prononcer son prénom ne trouveraient rien à redire à une telle évidence. « Anita ! » Les autres ne s’étonneraient pas d’entendre la jeune fille lui répondre et l’appeler à son tour dans la nuit fantasque pour qu’il vienne enfin à elle dans le présent qu’elle incarnait et qu’il ne fallait pas manquer de vivre sans se poser trop de questions. Ce n’était pas bien compliqué, finalement. « Anita ! Anita ! »

Sylvain tressaillit et cessa d’appeler. Un virage un peu plus loin libéra une tache claire qui prit rapidement les contours d’une silhouette. Quelqu’un marchait à sa rencontre. Sylvain ne reconnut personne du campement. Il n’avait pas d’autre choix que de continuer d’avancer lui aussi. Dans la poche droite de son pantalon, il n’avait que son couteau suisse qu’il avait utilisé pour tailler de petites branches de bois sec.

Lorsque Sylvain put distinguer le visage de l’homme qui s’approchait, ils échangèrent un salut en même temps. L’homme s’arrêta puis repris son souffle. Il flottait dans un imperméable léger et Sylvain lui donna une cinquantaine d’années. Son expression semblait bienveillante. En restant à distance, l’homme dévisagea Sylvain avec intensité et déclara : « il y a du monde cette nuit dans la forêt. Je viens de croiser un groupe de jeunes gens. Des amis à vous peut-être ? » Sylvain se sentit soulagé. Les autres n’étaient pas loin. Ils l’avaient sûrement entendu appeler. « Je vais les rejoindre » dit Sylvain. « Bien sûr, jeune homme, rejoignez-les. » Et l’inconnu s’éloigna d’un pas lent.

Quelques minutes après, Sylvain retrouva les autres qui marchaient en direction du plateau en plaisantant. Un des garçons était bien éméché. Prune riait bruyamment à chacune de ses pitreries. Elle semblait un peu ivre elle aussi. On s’assit autour du feu qu’un copain cafardeux du grand frère venait de ranimer en y jetant de grosses ramures d’épicéa. On fit circuler un paquet de cigarettes. Le garçon éméché saisit la guitare et frotta les cordes avec une branche comme s’il jouait du violoncelle. Sylvain détourna les yeux et demanda aux autres si le type qui se baladait sur la route tout à l’heure leur avait dit quelque chose. « Un type ? Quel type ? On n’a vu personne. »

Prune eut un petit rire. Sylvain la dévisagea. Un coup d’œil à sa montre lui indiqua que d’après ses calculs, il avait dû être amoureux d’elle à peu près trois quarts d’heure.

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Nouvelle extraite de mon recueil Mariage d'automne, éditions germes de barbarie, 2017. Tous droits réservés © éditions Germes de barbarie 2017.

Pour Oyonnax et sa région, ce livre est disponible en prêt à la médiathèque municipale d'Oyonnax au centre culturel Aragon.

Une lecture de Mariage d'automne par Didier Pobel :

S'il fallait définir - quelle idée, on vous l'accorde! - les nouvelles de Christian Cottet-Emard, ce serait, disons, des traces. Traces de temps, traces d'amour, traces de vie. Quelque chose comme ces "grands rectangles clairs"  laissés par les tableaux retirés d'un mur évoqués dans le sixième texte. L'intrigue a toujours la minceur d'un fil. Un barbecue noyé par l'orage sous lequel clapote "la ruine de nos existences". Les noces d'une amie où un invité chômeur, "pas à sa place", doute de son cadeau. Les manigances d'un étrange couple en Rolls verte. Les retrouvailles entre un vieil écrivain et une femme dont elle fut jadis brièvement l'amante...

   Les protagonistes existent à peine. L'un d'eux s'adonne à la simple "observation de l'air", un autre se réconforte à la vue d'un forsythia au bord d'une voie ferrée. Il s'appelle Mhorn. Pas étonnant qu'il appartienne tout particulièrement à cette  "morne confrérie de nouveaux nomades exilés"  traversant ces proses aux volutes syntaxiques de cigare où affleure une mélancolie acidulée que ne renieraient ni Henri Calet ni Jules Laforgue en vadrouille à la fin du recueil.

   Un ouvrage qui, quoique intitulé Mariage d'automne, pourrait bien offrir toutes les vertus d'une délicieuse lecture d'été. À l'ombre des "nuages lenticulaires". Ou au bord d'un lac bugiste. Instantanés, scènes intimistes. Côté court, Cottet jardin.

 

29 mars 2017

Poèmes du bois de chauffage / Ce qui n'existe pas

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En bâchant mes piles de bûches j’ai constaté avec satisfaction qu’elles prenaient bien le vent qui venait de naître au loin dans la forêt odorante et qui venait brasser dans les frênes

Les bâches ne risquent pas de s’envoler grâce aux pierres énormes que je leur ai jeté dessus en vociférant des bordées d’injures contre moi-même qui gaspille mon énergie et contre la vie qui fait pareil

Pour fêter ça je m’en suis jeté un derrière la cravate un bon vieux Connemara tourbé avec des chips et un cigarillo bien corsé suivi d’un reste de choucroute avec des saucisses fumées et du petit salé

Puis je me suis endormi comme un ours et pendant que la lune roulait dans les frênes secoués par le vent j’ai rêvé

Rêvé que j’avais trouvé un petit dragon dans mes piles de bois de chauffage un bébé

Le lendemain après le café avant l’aube j’ai vérifié que les bâches tenaient toujours et j’ai écrit une nouvelle dont le point de départ était la découverte du bébé dragon dans le bois de chauffage mais qui en réalité parlait de tout autre chose

C’est ainsi que fonctionne un scribouillard de mon espèce

Obligé d’empiler du bois pour l’hiver en pensant à un animal qui n’existe pas comme beaucoup d’autres choses en cette vie

 

Extrait de Poèmes du bois de chauffage, © Éditions Orage-Lagune-Express, 2017.

Photo : livraison du bois de chauffage chez moi.

 

23 juin 2014

Carnet / Comment j’ai vibré à la fête de la musique

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Contraint de descendre à Oyonnax pour des raisons familiales et n’ayant pas assez de temps, entre deux rendez-vous, pour remonter tout de suite dans ma campagne, me voilà traînant sous les ombrages du parc Nicod en pleine fête de la musique.

Ça sent le tilleul et la frite, ce qui n’est pas pour me déplaire car j’aime autant l’un que l’autre et le parc Nicod est un très bel endroit. Je sais pourtant pertinemment que si mes yeux et mon nez sont agréablement sollicités, il n’en ira pas de même pour mes oreilles.

Depuis que Jack Lang a inventé la fête de la musique, on n’a pas mis longtemps à comprendre qu’elle était devenue — comment dire... ? Autre chose. Entre parenthèses, cela partait d’une bonne intention cette fête. Pourquoi faut-il que la gauche se fasse toujours une spécialité des utopies qui se transforment en cauchemars ?

La rapide dégénérescence de l’idée de départ de la fête de la musique, à savoir partager la musique, ce qui sous-entend partager l’espace public sonore, est liée depuis longtemps à la détérioration du lien social, du « vivre ensemble » pour parler comme ceux qui sont fiers de ne pas savoir parler.

Parler, se parler, voilà ce qui devient de plus en plus difficile lors de la fête de la musique en particulier et dans la société en général.

Ce 21 juin au parc Nicod, à quelques mètres de distance, pas moins de trois emplacements diffusaient chacun leur propre son, souvent en même temps, produisaient décibels et cacophonie à volonté et obligeaient quiconque souhaitant échanger un brin de causette de le faire brièvement et en poussant la voix au risque de s’en trouver dépourvu le lendemain.

Quant au groupe vedette de la soirée, si pathétique dans le style rock garage que c'en était hilarant,  il a fonctionné d’un point de vue musical tel le bouquet final d’un feu d’artifice, à la différence près que ce n’étaient pas des bombes multicolores qui sautaient mais un type avec une guitare trop grande pour lui sautillant sur place comme un cabri excité d'avoir tondu un champ entier de plantes médicinales.

M’étant renseigné sur ces festifs électriciens (je sais, je suis ignare, que voulez-vous, je n’écoute que de la musique) j’ai appris que cette phalange avait eu son petit moment de gloire dans les années 80 du siècle précédent, la décennie de mes vingt ans. N’en avais-je pas ouï dire ? Peut-être m’avaient-ils momentanément grillé les tympans à l’époque... Ou bien il y avait grève (pardon prise d’otages, c’est comme ça qu’on dit maintenant) à l’EDF... Je ne pouvais pas avoir de boules Quies, ils n’en fournissaient pas encore à l’entrée des « concerts » en ces temps lointains, contrairement à aujourd’hui.

Dans ma grande naïveté, je croyais qu’il s'agissait d’une blague cette histoire de boules Quies. Pas du tout. « Chérie, passe-moi les boules Quies, je vais au concert.» Version arts plastiques : « Chérie, où sont mes lunettes noires ? Je vais à l’expo Soulages. » Ce monde est fou : « Chérie, je sors. Tu n’as pas vu mon entonnoir ? »

Suis-je bête, elle ne peut pas m’entendre et encore moins me répondre ! Elle était avec moi à la fête de la musique et aujourd’hui, nous sommes tous les deux sourds et aphones. En tous cas, on ne pourra pas dire qu’on n’aura pas vibré, comme les vitres des riverains !