10 mars 2020
Petites vacheries sur les poètes et le printemps des poètes.
(Je sais, cela revient à tirer sur une ambulance. Je ne dis pas que ce n’est pas injuste, je dis que ça soulage.)
Les deux inconvénients du mois de mars sont le baroud d’honneur de l’hiver et le printemps des poètes. Les crocus prennent des gelées, le printemps prend des poètes.
Sale temps pour les rêveurs au printemps des poètes.
Ne te réjouis pas trop vite si on te dit que tu es poète. Pour la plupart des gens, c’est un reproche, au mieux affectueux, vaguement indulgent.
Le poète qui rap et slame c’est un peu comme le vieux minet qui s’habille dans la même boutique que les petits jeunes.
Ne tourne jamais le dos à un poète, tu pourrais prendre son pied au derrière.
Le printemps des poètes, c’est la saison des vers.
Le poète qui joue au loto est un sage.
Le printemps des poètes, cette usine à gaz qui lâche des pets de souris.
Le poète qui se dit poète est aussi douteux que le saint qui se dit saint.
Invité à un repas après le printemps des poètes, j’ai vidé la bouteille de rouge dont personne ne s’occupait. L’organisatrice m’a fait les gros yeux et je me suis senti un peu moins poète que les autres. Pourtant, les poètes que je connais ont plutôt une bonne descente.
Courage poète, casse-toi de ce printemps !
Poète, rappelle-toi Jim Harrison : « Une calamité des années 1960 était la lecture de poésie accompagnée de jazz. À cette époque où je multipliais des lectures publiques, il y avait souvent un ménestrel débile qui grattait sa guitare en même temps que je récitais mes poèmes. » Extrait de Un sacré gueuleton, éditions J’ai lu.
Et W.H. Auden : « Dame nature ? Tiens, c’est une idée, ça. Ne pourrait-on écrire un poème (légèrement désobligeant, peut-être) au sujet de cette Dame-là ? » Extrait de Quand j’écris je t’aime, éditions Points.
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09 mars 2020
Ombre élastique au petit matin
Mon ombre ne rassure que moi
On dit que ceux qui errent sans elle ne savent qu’ainsi leur infortune de spectres chagrinés et perplexes
et je vois bien la mienne hésiter entre chien et loup sur les pavés de vieilles villes aux tramways hantés
sans comprendre pourquoi elle aussi voudrait s’étirer comme un élastique et claquer d’un coup sec
tel l'adieu impatient et sans regrets des femmes qui n'aiment plus
(Extrait de mon recueil Estime-toi heureux. © Éditions Orage-Lagune-Express.)
Image : rails du tramway à Lisbonne (photo Christian Cottet-Emard)
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05 mars 2020
Carnet / Pourquoi je ne tiens plus salon.
(Réponse aux amis et connaissances qui me surnomment l'homme invisible parce que j'ai sous-titré mes Poèmes du bois de chauffage « et autres récits de l'homme invisible » et parce que je n'ai pas dédicacé ce livre sur le dernier salon qui s'est tenu près de chez moi.)
Ma dernière participation à un grand salon du livre remonte à la publication de mon petit polar, Le Club des pantouflards. Cela fait donc longtemps. Depuis, j'ai même renoncé aux petits salons, y compris ceux qui sont situés près de chez moi. C'est beaucoup d'efforts pour pas grand-chose et pas forcément agréable sur le plan relationnel. Le bénéfice est supérieur sur Internet, la fatigue en moins.
Pour la sortie du Club des pantouflards, j’intervenais une journée sur le stand de mon éditeur et le lendemain sur le stand d’un important groupe de librairies où j’ai d’ailleurs été très gentiment accueilli par le personnel. J’avais accepté cet arrangement (en l’absence de tout défraiement) pour être agréable à mon éditeur qui fait du bon travail auprès des libraires, notamment chez celui qui me recevait pour la deuxième partie de ma prestation.
La bonne ambiance qui régnait sur le stand du libraire me faisait oublier mes réticences à travailler bénévolement à une animation commerciale lorsque je vis se diriger droit sur moi un monsieur âgé mais énergique, coiffé d’un chapeau et vêtu d’un pardessus classique à la mode des années soixante-dix du siècle dernier. Il me gratifia d’une poignée de main vigoureuse en prononçant son nom d’une voix forte.
J’avais devant moi le fondateur de la chaîne de librairies où je faisais de la figuration. Je me présentai à mon tour puis, voyant ce monsieur disposé à bavarder alors que je ne trouvais pas grand chose à lui dire, je fis allusion à la formation aux métiers de la librairie que j’avais suivie de nombreuses années auparavant. Il enchaîna sur ce sujet, évoquant même des personnalités que nous connaissions tous deux, lorsqu’il interrompit la conversation en me coupant fort grossièrement la parole. Il m’indiqua du doigt trois personnes qui feuilletaient mes livres et déclara sur le ton de qui est habitué à se faire obéir, comme si je faisais partie de son personnel : « vous avez des clients. » L’âge vénérable de ce boutiquier me préserva de la tentation d’envoyer valdinguer son chapeau à l’autre bout du salon pour lui apprendre la politesse, ce qui eût certes été conforme à l’idée que je me fais des relations humaines lorsqu’on me prend à rebrousse-poil mais qui eût sans doute aussi ruiné les patients efforts de mon éditeur en faveur de la diffusion de la littérature.
Je ne peux m’empêcher de rapprocher cette anecdote d’une autre, impliquant le même genre de personnage dans un contexte en apparence différent. En apparence seulement.
L’été de mes seize ans, j’eus la chance de découvrir en compagnie de quelques camarades les joies d’un mois d’usine pour financer mes vacances. Parfois, les conducteurs de machines devaient procéder à quelques réglages, ce qui nous ménageait à nous, simples manœuvres, un temps de répit bref mais appréciable en ces longues heures exténuantes. Au cours d’une de ces pauses, le vieux fondateur de l’usine, en retraite depuis longtemps, vint faire son petit tour du propriétaire et nous repéra tout de suite en train de souffler en attendant la fin des réglages. Il nous ordonna de nous saisir des balais qui ne servaient qu’en fin de journée pour débarrasser le sol des débris de fabrication, ce qui était parfaitement inutile puisque nous allions reprendre la production et donc encombrer le sol de nouveaux débris quelques minutes après. Naturellement, dès qu’il eut le dos tourné, les régleurs nous firent poser les balais en rigolant et en nous disant de ne pas nous en faire : « ça lui rappelle ses bonnes années ! »
Quel rapport avec le premier épisode ? Eh bien là au moins, nous étions payés.
22:13 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : salon du livre, le club des pantouflards, polar, christian cottet-emard, signature, dédicace, lecture en public, chapeau, balais, promotion, internet, blog littéraire de christian cottet-emard, librairie, usine, entreprise, job de vacances, salaire, rétribution, paye, argent