23 avril 2015
Carnet / De la Fritillaire pintade, de la danse, des destinataires de l’œuvre écrite, des courbatures du corps et des courbatures de l’âme.
Cela faisait plusieurs années que je n’étais pas retourné à mon ancien rendez-vous d’avril avec la belle Fritillaire pintade. Il est vrai que la nature me parle moins depuis de nombreux mois, ce que je déplore. Mais j’ai tout de même été heureux de la retrouver, elle et ses sœurs, le temps d’une promenade, toujours à la même place dans leur petit vallon secret où les roseaux craquent sous les pas, à côté des jonquilles et des renoncules.
Samedi dernier au premier concert Chromatica, j’ai revu la danseuse Mylène Fonitcheff qui avait participé au festival l’an dernier. Je ne connais rien à la danse mais j’avais été très impressionné par l’élégance et la puissance expressive de son langage chorégraphique. J’ai appris qu’elle allait intervenir avec le claveciniste, organiste, et (sans doute pour l’occasion pianiste) Olivier Leguay dans le cadre d’une soirée consacrée au compositeur américain Morton Feldman pas trop loin de chez moi cet été.
La première question que doit se poser aujourd’hui l’écrivain, notamment le débutant : à qui s’adresse-t-on ? Au lectorat le plus nombreux possible pour faire de l’argent ? Et si le but n’est pas commercial : à quel lectorat en particulier ? Aux proches et aux amis ? Seulement aux amis ? À une élite ? À d’anciennes conquêtes amoureuses qui, de loin, gardent peut-être un œil sur ce qu’on écrit ?
Cette question est aujourd’hui primordiale dans le nouveau contexte éditorial où tous les repères, tous les usages, toutes les habitudes de lecture et de publications et toutes les échelles de valeur ont changé en moins d’une décennie. Le modèle de la relation entre l’auteur l’éditeur et le public qui a prévalu jusqu’à la fin des années 80 du 20ème siècle est presque entièrement révolu. Ne pas tenir compte de cette évolution consiste, pour un auteur, à s’enfermer dans une attitude folklorique et périmée, comme un animal en voie de disparition qui s’empaillerait lui-même.
J’ai retourné le jardin à la bêche en plein soleil sans le moindre plaisir excepté celui de rendre service. Résultat, une méchante suée, le coup de froid qui arrive juste après et les courbatures. Je devrais au moins me réjouir du travail accompli mais chez moi, cette attitude ne fonctionne pas.
La plupart des gens que je connais m’affirment que lorsqu’ils ont beaucoup et rudement travaillé pour aboutir à un résultat, ils l’apprécient d’autant plus. Pour moi, c’est tout à fait l’inverse : plus je me bats pour obtenir quelque chose, moins je l’apprécie en cas de réussite.
La vision du jardin retourné à la force de mes bras ne m’inspire rien, aucun sentiment de gratification, seulement le souvenir de l’obsession de prendre une douche dès que je commence à transpirer en fournissant un effort.
C’est cette disposition d’esprit qui m’a fait considérer toutes les étapes de ma vie professionnelle comme une succession de corvées et surtout comme des années de vie irrémédiablement gaspillées. Quant à l’argent produit par ces activités non choisies, je le vois comme le piètre dédommagement d’un préjudice et je ne tire de satisfaction et de fierté que de mes gains aux jeux de hasard.
23:38 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : fleur, printemps, avril, fritillaire pintade, fritillaires, nature, danse, mylène fonitcheff, festival chromatica, musique, concert, roseaux, jonquilles, renoncules, littérature, écrivain, auteur, édition, jardin, terre, bêche, effort, réussite, gain, argent, blog littéraire de christian cottet-emard, carnet, note, journal, écriture de soi, autobiographie, prairie journal, jeux de hasard
16 avril 2015
Carnet / Du pied gauche
Mardi j’ai profité du radieux soleil matinal pour photographier le réveil du grand orne juste derrière la maison. Ses bourgeons d’un vert tendre contrastent avec les sombres fleurs de frêne. Les deux arbres sont de la même famille, m’indique mon guide Delachaux et Niestlé (orne : fraxinus ornus, et frêne élevé : fraxinus excelsior).
Puisque j’avais rendez-vous au salon de Thérèse à Oyonnax pour me faire couper les cheveux, je ne suis pas remonté tout de suite dans ma campagne. Avant midi, ayant la flemme de me faire à manger, j’ai voulu commander un sandwich au poisson pané au McDrive. «Nous n’en avons pas, désolé Monsieur » m’a répondu une petite voix dans la borne qui enregistre les commandes. Du coup, j’en ai même oublié de prendre au moins quelques frites et je me suis retrouvé chez moi à me confectionner un sandwich avec quelque chose d’encore pire qu’une tranche de poisson pané.
Assez somnolent car levé du pied gauche, je me suis dopé aux capsules Nespresso et j’ai grillé quelques cigares secs en relisant des poèmes de Une heure de jour en moins de Jim Harrison (Flammarion). Lors de ma première lecture de ce recueil, j’avais souligné : « La rivière est pour moi l’extrême inverse du monde des chiffres » .
J’écrivais récemment que ma maison était un peu à l’écart de la pollution lumineuse et je ne croyais pas si bien dire, notamment depuis lundi soir lorsque j’ai cru à une panne de l’éclairage public en constatant que la campagne et tout le village étaient plongés dans l’obscurité. En plus, j’étais en train de regarder L’Éclipse, le film de Michelangelo Antonioni, sur Arte !
C’est la chatte Linette qui m’a alerté. Au moindre événement inhabituel, elle vient s’assurer que chacun vaque normalement à ses occupations. Lorsque j’ai vu qu’elle commençait à venir rôder près de moi en me jetant des regards insistants, comme si elle testait mon attitude, je me suis levé de mon canapé et j’ai regardé par la fenêtre : le noir total dehors. Une rapide lecture des comptes rendus du conseil municipal en ligne sur le site internet de la commune m’a appris que l’éclairage public était désormais coupé dès 23h. Ce serait presque charmant en ces belles nuits étoilées mais je ne suis pas certain d’apprécier au long cours.
J’ignore qui a eu cette idée lumineuse. Il ne manque plus qu’une meute de loups vienne s’installer sur les hauteurs et le tableau sera complet. Petites consolations, un borgnaton encore allumé près de l’église et les lumières de la Suisse qui font un léger halo dans le ciel, au-dessus de la montagne...
Bon, comme on dit, demain il fera jour...
Et ce week-end, c'est deux jours de musique avec le Festival Chromatica, samedi et dimanche.
02:49 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : note, carnet, journal, écriture de soi, autobiographie, prairie journal, arbre, orne, frêne, campagne, fraxinus ornus, fraxinus excelsior, éditions delachaux et niestlé, guide des arbres et arbustes d'europe, archibald quartier, pierrette bauer-bovet, blog littéraire de christian cottet-emard, nespresso, mcdrive, jim harrison, flammarion, une heure de jour en moins, poèmes, sandwich, l'éclipse, michelangelo antonioni, cinéma, arte, télévision, chat, éclairage public, nuit, jour, christian cottet-emard, suisse, montagne, musique, concert, festival chromatica 2015, atelier jacki maréchal, oyonnax, ain, rhône-alpes, france, affiche bernard grasset, sergio laguado, guitare, olivier leguay, clavecin
12 avril 2015
Carnet / Des cris des étoiles, du cosmos piteux, des fleurs de frêne et de l’émulsion romanesque
Un peu à l’écart du village, ma maison est moins exposée à la pollution lumineuse, et certaines nuits de printemps, la voûte céleste semble plus basse et les étoiles plus proches et plus nettes. Cette vision réveille à chaque fois dans mon esprit une phrase de Vladimir Nabokov : « Toute la nuit, les étoiles ont crié de leurs voix enfantines » .
Je n’ai jamais pu analyser avec précision la nature ambiguë des sentiments et l’étrange vertige que m’inspire cette phrase, je sais juste qu’elle m’accompagne depuis une trentaine d’années et qu’elle remonte à la surface de ma conscience dès que je lève la tête en direction du cosmos pétillant.
Hier j’ai été frappé par une autre phrase de Nabokov dans son autobiographie Autres rivages (Folio) : « Comme le cosmos est petit (une poche de kangourou le contiendrait), comme il est dérisoire et piteux comparé à la conscience humaine, à un seul souvenir d’un individu et à son expression par des mots ! »
Citation de Nabokov aussitôt notée sur mon carnet bleu.
Étrange vertige encore une fois, qu’il m’est aussi arrivé d’éprouver au milieu des anémones pulsatilles si nombreuses derrière chez moi sur les versants du petit mont au-dessus de la maison. Pour moi, la correspondance entre les étoiles et les fleurs est évidente.
Cette année, la floraison des frênes a commencé plus tôt que l’an dernier et les fleurs sont plus grosses. Vues de loin, on ne dirait pas des fleurs mais des sphères noires irrégulières. Si on les observe de près, on se rend compte que ces fleurs sont violettes. C’est le bourgeon qui est noir et qu’on peut voir tout l’hiver totalement verrouillé. Sur un même rameau, les bourgeons n’éclosent pas tous en même temps. Ce début de floraison me laisse espérer que le feuillage des frênes sera plus en avance que l’année dernière où il avait fallu attendre jusqu’à presque début juin, ce qui n’aidait guère le moral à se maintenir.
Bourgeon et fleurs de frêne photographiés hier chez moi.
Petite rectification concernant la mention de mes lectures de John Irving dans mon carnet du 9 avril : Le monde selon Garp m’est tombé des mains, un recueil de nouvelles ne m’a laissé aucun souvenir, mais j’ai quand même lu, certes laborieusement, les 589 pages du roman À moi seul bien des personnages (éd. Points). Ce pavé m’avait si peu intéressé que j’avais oublié de le mentionner. Je parlais de la profusion qui me gêne le plus souvent dans le roman. Je pense qu’il ne s’agit pas vraiment de profusion dans À moi seul bien des personnages mais d’émulsion. Ça mousse et ça gonfle, ça ne nourrit pas, ça écœure.
Dessin : Frédéric Guénot. Ce dessin fait partie d'une série qui a illustré la parution de mon livre Le Grand variable, en feuilleton dans la revue littéraire Salmigondis dirigée par Emmanuelle et Roland Fuentès.
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