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03 février 2021

Nocturne au vélomoteur

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Elles sont bien pâlottes cette nuit ces étoiles qui brillent par intermittence dans le ciel brouillé où se répercute l’écho sinistre du vrombissement d’un avion. Je vois ses feux clignoter très haut entre deux bandes d’espace encore dégagées. Parfois, ce grondement me tire de mon sommeil trop léger et je me retrouve dans la peau de l’enfant que j’étais à l’époque où j’habitais dans la ville provinciale des années soixante où la circulation automobile nocturne était presque inexistante.

En ce temps lointain qui était celui d’un autre monde, la fenêtre de ma chambre donnait sur une petite rue éclairée par un réverbère dont le halo filtrait à travers les persiennes. J’exigeais qu’elles fussent entrouvertes pour ne pas me sentir absorbé dans le noir complet.

À cette époque de mon très jeune âge, je ne dormais déjà que d’un œil. Il m’arrivait même de dormir les yeux ouverts, ce qui procura une nuit une belle frayeur à ma grand-mère venue discrètement vérifier si je ne m’étais pas découvert. Cela se produisait lorsque je me trouvais dans ce demi-sommeil qu’on appelle, je crois, la phase hypnagogique de l’endormissement.

Dans ces moments-là, le ronronnement lointain d’un vélomoteur m’arrivant aux oreilles que j’ai toujours eues extrêmement sensibles suffisait à ouvrir en moi un abîme de questions : comment quelqu’un pouvait-il avoir suffisamment d’audace pour rouler la nuit en vélomoteur ? Où se rendait-il à pareille heure ce motocycliste si téméraire ? Quelles ombres furtives balayait le faisceau de son phare perçant d’à peine quelques mètres l’énorme obscurité des routes de campagne encore si proches du centre ville chichement éclairé par de maigrichons lampadaires ? Quelle joie et quel tourment (mais la joie peut être aussi un tourment) jetaient-ils quelqu’un sur des routes inconnues et ténébreuses ?

 

Extrait de Prairie Journal (Carnets)

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26 décembre 2020

Carnet / Le toucan du tonton Louis

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Un des plaisirs de Noël : le cadeau tardif, toujours inespéré. Quel pouvait être mon âge ? En tous cas, je savais lire.

J’étais seul avec ma mère lorsqu’une voix inconnue m’interrompit dans mes coloriages et dans l’écoute d’un de mes disques préférés, Casse-noisette de Tchaïkovski. Je levai les yeux sur un vieux monsieur vêtu de noir qui me parut très grand, chenu, plutôt réservé. Il me tendit un large et lourd rectangle emballé d’un papier cadeau et dit à ma mère sans s’adresser directement à moi « voilà pour le jeune homme » . J’étais flatté qu’un vieux monsieur m’appelle jeune homme. Le papier cadeau libéra la couverture d’un beau livre intituléLes Animaux de la jungle. Ce devait être le lendemain de l’Épiphanie car j’avais eu un restant de brioche pour mon goûter.

Ma mère m’invita à dire merci et au revoir au tonton Louis. J’avais déjà entendu parler de lui dans les repas de famille mais encore aujourd’hui, le lien de parenté avec cet homme âgé est resté pour moi très flou. Je ne l’ai d’ailleurs jamais revu après cette visite qui est pourtant gravée dans ma mémoire à cause du livre Les animaux de la jungle, notamment après avoir découvert qu’il existait dans le monde un oiseau appelé le toucan, un oiseau flamboyant au bec orange vif et aux yeux goguenards. 

Ce livre aux illustrations somptueuses et aux textes imprimés en gros caractères m’apprit aussi qu’il existait une créature nommée iguane et que les indiens de la jungle surnommaient  ce lézard poulet des forêts, ce qui, en dehors du fait que ma mère m'appelait parfois poulet,modifia mon regard non seulement sur le poulet rôti dominical mais encore sur ce monde étrange dans lequel je débutais au son de la Danse de la fée-dragée.

Illustration toucan prise ici

 

07 décembre 2020

Carnet / VGE à Oyonnax

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Toute la rédaction de l’agence d’Oyonnax avait été mobilisée et chacun avait sa tâche. La mienne était de couvrir avec un collègue le dîner républicain qui avait lieu le soir de la visite présidentielle au hall des expositions (aujourd’hui Valexpo) et de rédiger des échos, c’est-à-dire des sortes de potins supposés divertissants mais surtout destinés à faire passer la pilule de ce genre d’actualité aussi digeste que le kloug de Monsieur Preskovic dans le film que vous savez.   

 

Le dîner républicain regroupait des élus et des brochettes de notables auxquels un menu assez rustique était servi. Le repas était ponctué de leurs interventions et bien sûr de celles du principal invité dont il était de bon ton de boire les paroles entre la poire et le fromage, en l’occurrence une barre de comté qu’on lui laissait à peine le temps de mastiquer (c’est l’image qui m’est restée allez savoir pourquoi...).

 

J’avais un peu plus de vingt ans et pour moi qui ne votais même pas à cette époque, ce genre de soirée me faisait bâiller d’ennui, certes intérieurement mais énormément bâiller. Dans ces cas-là, muni de mon discret magnétophone Sony, je me mussais dans un coin et je laissais la machine écouter à ma place, un réflexe de survie intellectuelle dont je dus abuser quand je devins, au fil des années, coutumier de ces micro-sommeils aussi gênants pour moi que pour mes interlocuteurs lorsque je devais interviewer des personnalités politiques ou m’entretenir avec elles.

 

À l’agence le lendemain du dîner républicain, j’utilisai ce qui pouvait l’être des bandes enregistrées et l’idée me prit d’ajouter à mes échos un petit billet personnel que je jugeai conforme aux recommandations de mes chefs toujours soucieux de coller à la locale, comme ils disaient.

 

Je ne trouvai donc rien de mieux que d’écrire une vanne établissant un rapport fumeux entre l’activité locale de pose des similis, ces brillants de pacotille intégrés aux ornements de coiffure et autres articles de la production oyonnaxienne et la fameuse affaire des diamants de Bokassa.

 

Lorsque mon chef d’agence eut la bonne idée de lire ma copie, ses longs cheveux et sa barbe semblèrent traversés par un courant électrique dont l’intensité produisit un sonore Mais t’es fou !!!

 

Je ne dirais pas qu’il avait complètement tort mais en ces années 80, curieux mélange de grisaille et de paillettes, des fous, le métier en regorgeait, et il me fallut pas loin d’une décennie pour le quitter. Comme l’avait bien noté mon amie Marie-Ella Stellfeld en me tirant le portrait dans son roman Plastic instinct, j’allais encore promener mon look triste de jeune curé (l’uniforme du journaleux de ces années-là) dans bien des galères de la locale, cette province de papier où tout le monde est président de quelque chose.

 

Sur ce souvenir, bonne nuit, ou plutôt : « au revoir » .