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11 novembre 2020

Carnet / Ceux à qui on a tout pris.

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En cette époque à tous égards régressive, je me désole de constater qu’on recommence à n’évoquer le souvenir de la guerre de 14-18, à travers les commémorations de l’armistice du 11 novembre, que sous l’angle de l’héroïsme.

J’y vois une paresse intellectuelle gravement dommageable à la compréhension, pour les jeunes générations, des mécanismes à l’œuvre dans le déroulement de la première guerre mondiale.

Tout événement extrême met des individus en situation de se comporter en héros mais dans le cas spécifique de la première guerre mondiale, l’héroïsme est l’arbre qui cache la forêt.

Les gens de ma génération, la première du vingtième siècle à ne pas avoir connu directement la guerre, ont eu la chance de bénéficier d’un enseignement plus distancié concernant 14-18, c’est-à-dire un enseignement dans lequel, peu à peu, l’Histoire prenait le pas sur la propagande en évitant de se focaliser sur l’héroïsme qui fait écran à l’analyse des faits.

La réalité de ces faits est cruelle et dérangeante, en contradiction avec l’héroïsme : la première guerre mondiale fut une guerre menée contre les peuples par leurs dirigeants, leurs industriels et leurs commandements militaires et ceux qui en payèrent le prix le plus exorbitant furent notamment les jeunes et les pauvres.

C’est de cela qu’il faut se souvenir et rappeler avant tout aux jeunes générations. Il y eut certes des héros mais il y eut surtout, par millions, des jeunes et des pauvres à qui on a tout pris.

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Détails de tombes de jeunes soldats de la première guerre mondiale dans un cimetière de village (photos Christian Cottet-Emard)

 

06 octobre 2020

Manège

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Un petit avion rouge t’emmenait aux cimes de sept platanes dans l’odeur des berlingots et des frites

Il n’en reste aujourd’hui que trois près de l’église cernée par un parking payant

Ici on gagne à tous les coups tonnait la voix du forain

 

Les autos qui tournaient en rond ont été remplacées par des vraies qui ne vont guère plus loin

 

et le pompon ne donne plus droit à un tour gratuit

Mais il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants

 

Extrait de mon recueil Estime-toi heureux © Éditions Orage-Lagune-Express


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on trouve une variante de ce texte dans mon recueil Poèmes du bois de chauffage, dans la quatrième section (La lune du matin et autres récits de l'homme invisible) page 197.

 

28 septembre 2020

Carnet / Train du soir

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Aucune autre œuvre picturale que la série de tableaux de Paul Delvaux consacrée aux gares et aux trains n’a le pouvoir de me renvoyer directement dans mon enfance.

Le grand jardin de la maison du boulevard Dupuy à Oyonnax donnait directement sur la voie ferrée et c’est exactement l’atmosphère immortalisée dans ces toiles que m’offrait, derrière le grand mur de clôture recouvert de tuiles rouges escaladé en secret, cette petite gare où je vis manœuvrer les dernières locomotives à vapeur et, un peu plus longtemps, les autorails Picasso rouge et crème avec leur fameuse tourelle.

À l’époque, je trouvais déjà mystérieux ce ballet de machines surgies d’horizons inconnus et y retournant sans cesse. Plus de cinquante ans après, ce sentiment d’étrangeté demeure, comme si toute la frénésie de mouvement du monde n’était qu’un rêve figé pour cette éternité que nous confondons avec le simple temps de notre vie.

Journal tome 2 © Éditions Orage Lagune Express 2020.