03 mai 2022
Comment tu t’es transformé en érable champêtre
Tu arrivais contre le vent le chevreuil ne t’a pas senti (une chevrette avec son faon)
Lorsqu’elle t’a vu il était trop tard le faon se risquait trop loin pour qu’elle puisse le récupérer tout de suite et bondir avec lui dans le monde des chevreuils
Tu ne bouges plus elle te fixe dresse les oreilles tu ne bouges plus elle ne bouge plus
Son réflexe de détaler mélangé avec l’idée de récupérer le faon l’immobilise
Elle te fixe et guette le moindre de tes mouvements un battement de paupières une respiration et son faon pas très loin mais trop loin d’elle
Elle te jauge elle s’inquiète mais ne fuit pas elle te fixe toujours tu n’as pas bougé d’un cil
Elle cherche à t’impressionner par toute une série de bruits comiques elle souffle chuinte jappe elle veut t’intimider tu ne bouges toujours pas
Tu sais très bien faire ça ne pas bouger pendant longtemps
Et au-delà d’un certain temps elle va t’oublier
Car pour elle une créature qui ne bouge pas pendant longtemps disparaît tout simplement de la circulation
La chevrette t’a oublié parce que tu ne bouges plus et comme tu es arrivé contre le vent elle ne te sent pas tu n’es plus pour elle
Tu n’es plus pour elle qu’un détail de la forêt peut-être cet érable champêtre sous lequel tu ne bouges plus et que pour cette chevrette tu es devenu
L’érable champêtre n’est pas un arbre qui se donne en spectacle il a peu d’ambition comme toi si ce n’est celle de vivre et d’éviter les ennuis
Te transformer en érable champêtre tu aurais bien aimé y arriver plus tôt dans les premières périodes pénibles ou stupides de ta vie
Devant la haute porte fermée de l’école primaire Sainte-Jeanne d’Arc qui faillit si souvent devenir la grande porte de la fugue : disparu le gamin en retard à sa place un érable champêtre
Au-dessus du gouffre du cahier de calcul où les baignoires débordent où les trains n’arrivent jamais à l’heure où s’additionnent les retenues : plus personne juste un érable champêtre
Au tableau poésie à réciter par cœur (qu’est-ce que le cœur et la poésie ont à voir là-dedans ?) : hop un érable champêtre
Dommage qu’il ait fallu attendre quarante-six ans mais ça valait le coup quand même ô vaillante et ingénieuse petite chevrette !
(Extrait de Poèmes du bois de chauffage, © éditions germes de barbarie, 2018). Un nouvelle édition vient de paraître chez le même éditeur en grand format relié.
Présentation du livre à la radio, à l'initiative du regretté Christian Lux :
Ici, podcast de l'émission.
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15:24 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : carnet, note, journal, autobiographie, blog littéraire de christian cottet-emard, animal sauvage, campagne, forêt, prairie, renard, chevrette, faon, nature, bois, promenade, érable champêtre, faune, flore, oyonnax, ain, viry, jura, poèmes du bois de chauffage, éditions germes de barbarie, récits, christian cottet-emard, bourbon, woodford reserve, labrot & graham, kentucky straight bourbon, igor stravinsky, ensemble inter contemporain, youtube
06 mai 2020
Carnet / Nachtmusik
Chez moi, nuitamment.
(En écoutant la Nachtmusik de la septième symphonie de Gustav Mahler)
Après le bref orage, clair de lune vaporeux ce soir. Les toits mouillés des maisons voisines luisent sous la clarté opalescente des moutonnements de nuages qui semblent agrandir à l’infini le ciel laiteux. Des voiles de vapeur parfumée à l’iris et au lilas montent des herbes trempées et se dispersent dans les haies froissées d’une aile d’oiseau au sommeil troublé.
La nuit légère d’un beau printemps ignore les inquiétudes et les tourments humains mais serait-elle aussi réelle si aucun regard conscient ne pouvait la contempler afin d’en concevoir des tableaux, des musiques, des poèmes ou de simples rêveries ?
***
Au cours de ma vie principalement organisée en privilégiant la sécurité, le calme et le retrait, il s’est passé plus de choses extraordinaires, inexplicables et inattendues que dans les récits de fiction les plus débridés. J’ai toujours ce constat à l’esprit lorsque je travaille à l’écriture romanesque et je me demande même pourquoi j’éprouve le besoin d’écrire des histoires dans lesquelles tout ou presque est inventé. La réalité autobiographique est tellement plus subtile et plus riche que ce laborieux bricolage narratif qu’est le roman, à moins qu’on ne parle du roman historique et des grandes fresques sociales que je ne pratique pas.
***
Puisqu’on ne peut guère parcourir les chemins, on peut toujours voyager dans le temps, surtout dans le passé. Le véhicule est des plus simples, l’album des premières photos. Quelques pages tournées suffisent pour tisonner l’étonnement d’avoir été un bébé, un bambin puis, très vite, un gamin réservé et ombrageux.
On sort de l’enfance comme le loup du bois.
02:57 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, écriture autobiographique, blog littéraire de christian cottet-emard, musique, nachtmusik, gustav mahler, septième symphonie, chant de la nuit, orage, lune, toits, iris, lilas, regard, brume, nuit, christian cottet-emard, enfance, forêt, bois, loup, roman, fiction, écriture, littérature, album photo d'enfance, voyage dans le temps, confinement
21 janvier 2020
Carnet / Autour de la maison et dans la forêt
Pas de lune ce soir. J’ai surpris le renard à moins de dix mètres devant chez moi pendant que je prenais l’air après une bonne rasade de Woodford Reserve. Il se déplaçait rapidement, comme souvent lorsqu’il s’aventure près des maisons. Évidemment, il a fait demi-tour dès qu’il m’a vu. Comme je le comprends ! La rencontre avec un animal sauvage inoffensif m’inspire toujours joie et bien-être. C’est ce que j’avais tenté d’exprimer dans un poème ou plutôt un récit intégré dans mon recueil Poèmes du bois de chauffage. Il s’agissait dans ce texte d’une chevrette avec son faon, assez loin dans les bois au-dessus du chemin de la guerre avant de rejoindre la route du lac Genin :
Comment tu t’es transformé en érable champêtre
Tu arrivais contre le vent le chevreuil ne t’a pas senti (une chevrette avec son faon)
Lorsqu’elle t’a vu il était trop tard le faon se risquait trop loin pour qu’elle puisse le récupérer tout de suite et bondir avec lui dans le monde des chevreuils
Tu ne bouges plus elle te fixe dresse les oreilles tu ne bouges plus elle ne bouge plus
Son réflexe de détaler mélangé avec l’idée de récupérer le faon l’immobilise
Elle te fixe et guette le moindre de tes mouvements un battement de paupières une respiration et son faon pas très loin mais trop loin d’elle
Elle te jauge elle s’inquiète mais ne fuit pas elle te fixe toujours tu n’as pas bougé d’un cil
Elle cherche à t’impressionner par toute une série de bruits comiques elle souffle chuinte jappe elle veut t’intimider tu ne bouges toujours pas
Tu sais très bien faire ça ne pas bouger pendant longtemps
Et au-delà d’un certain temps elle va t’oublier
Car pour elle une créature qui ne bouge pas pendant longtemps disparaît tout simplement de la circulation
La chevrette t’a oublié parce que tu ne bouges plus et comme tu es arrivé contre le vent elle ne te sent pas tu n’es plus pour elle
Tu n’es plus pour elle qu’un détail de la forêt peut-être cet érable champêtre sous lequel tu ne bouges plus et que pour cette chevrette tu es devenu
L’érable champêtre n’est pas un arbre qui se donne en spectacle il a peu d’ambition comme toi si ce n’est celle de vivre et d’éviter les ennuis
Te transformer en érable champêtre tu aurais bien aimé y arriver plus tôt dans les premières périodes pénibles ou stupides de ta vie
Devant la haute porte fermée de l’école primaire Sainte-Jeanne d’Arc qui faillit si souvent devenir la grande porte de la fugue : disparu le gamin en retard à sa place un érable champêtre
Au-dessus du gouffre du cahier de calcul où les baignoires débordent où les trains n’arrivent jamais à l’heure où s’additionnent les retenues : plus personne juste un érable champêtre
Au tableau poésie à réciter par cœur (qu’est-ce que le cœur et la poésie ont à voir là-dedans ?) : hop un érable champêtre
Dommage qu’il ait fallu attendre quarante-six ans mais ça valait le coup quand même ô vaillante et ingénieuse petite chevrette !
(Extrait de Poèmes du bois de chauffage, © éditions germes de barbarie, 2018)
02:18 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, autobiographie, blog littéraire de christian cottet-emard, animal sauvage, campagne, forêt, prairie, renard, chevrette, faon, nature, bois, promenade, érable champêtre, faune, flore, oyonnax, ain, viry, jura, poèmes du bois de chauffage, éditions germes de barbarie, récits, christian cottet-emard, bourbon, woodford reserve, labrot & graham, kentucky straight bourbon, igor stravinsky, ensemble inter contemporain, youtube