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04 septembre 2011

Paysage de petite montagne avec homme invisible

récit des lisières,éditions Orage-Lagune-Express,Christian Cottet-Emard,poésie,homme invisible,campagne,montagne,frêne,bois,La route de campagne loin de la ronde des frênes autour de toi on la devine mais personne depuis le talus ne peut soupçonner ta présence assis dans ce fauteuil en résine au milieu de la dalle de ciment coulée par ton père derrière la maison

Une charpente en bois devait s’élever au-dessus de cette dalle mais ton père n’a pas eu le temps de la construire et te voilà assis sous le grand ciel d’été à l’affût de quelques bribes d’un poème ou d’un récit qui aurait peut-être un sens qui serait peut-être lu par quelqu’un et qui pourrait peut-être s’élever dans les airs comme la charpente en bois

À la pelouse plein sud avec ses éclosions de parasols rouge cerise et bleu campanule tu préfères cette dalle de ciment qui s’avance sur le grand pré au nord côté chambre parce que tu as l’illusion que personne n’aurait l’idée de venir te débusquer ici au milieu des fleurs des foins mais ce n’est pas tout à fait une illusion

Qui en effet viendrait te chercher ici où l’on ne peut soupçonner ta présence depuis le talus mais où tu peux en revanche entendre chaque mot prononcé par les promeneurs du sommet du crêt jusqu’à la route comme dans un rêve le rêve de l’homme invisible

Ah mais cela ne colle pas tu ne peux vouloir être invisible et vouloir être lu oh pourquoi pas finalement c’est comme la charpente elle est là sans être là massive et pourtant invisible elle aussi

Dire qu’il suffisait d'écrire quelques poèmes qu’il suffisait de quelques frênes finalement ce n’était pas si compliqué de devenir l’homme invisible comme tu le croyais quand tu étais petit

 

© Éditions Orage-Lagune-Express 2011. Droits réservés.

Photo : le crêt, derrière chez moi.

20 mai 2011

Carnet des pivoines

Ces nuits, un vent doux fait onduler les frênes et encourage les pivoines à s’ouvrir.

Toujours du suspens avec les pivoines. Elles se méfient de la lune rousse, des Saints de glace et des ruses du vieil hiver épuisé en gardant leurs boutons hermétiquement clos jusqu’à la véritable installation des beaux jours. Elles risquent alors un pétale, pas un de plus, qui va rester ainsi déplié tout seul en éclaireur, parfois pendant plusieurs jours, puis se décident à s’épanouir, je dirais plutôt à se défroisser, lorsque le second printemps prend des airs d’été.pivoine,fleur,jardin,mai,printemps,été,campagne,nature,frêne,arbre,nuit,orage,brise,christian cottet-emard,blog littéraire,carnet,journal,note

Le vent tiède de ces nuits de mai a convaincu les pivoines de se lancer dans l’aventure. Le pétale éclaireur se confond  avec les autres et l’ensemble se déploie très vite comme une boule de papier crépon.

Les pivoines dont je parle sont celles qui m’ont accompagné pendant mon enfance. Une variété ancienne. Larges, blanches avec un liséré rouge en leur cœur au parfum sans pareil, elles sont toutes issues du même plan qui a prospéré au moins depuis les années 1950 dans le jardin de la maison construite par mon aïeul au début du vingtième siècle. La vente de cette propriété a été un tel crève-cœur pour moi que j’ai emporté des rhizomes du grand massif dans ma propre maison, achetée en 1992,  où les pivoines se sont parfaitement acclimatées. J’ai renouvelé l’opération lorsque j’ai vendu ma maison de ville pour acquérir, à la campagne, la propriété de famille où je vis désormais depuis plus de deux ans, le temps qu’il a fallu cette fois aux pivoines pour reformer un début de massif à une altitude supérieure et sous un climat plus rude.

Mes belles parfumées en sont à leur troisième déménagement. Je les contemple longuement car une fois fleuries, leur vie est courte. Les fleurs sont en effet si lourdes qu’elles fragilisent les tiges. Un coup de vent impétueux, un pluie trop lourde, un orage, et voilà les pivoines en déroute. Pour l’instant, la météo leur est favorable et je vais pouvoir entendre auprès d’elles les vieilles histoires qu’elles me racontaient déjà dans le jardin lorsque j’étais en culottes courtes. Elles vont aussi me parler de mes chers défunts comme elles seules peuvent le faire.

J’aime les pivoines pour leurs paradoxes. Vivaces et fragiles, rustiques et sophistiquées, résistantes et inadaptées, capricieuses et vaillantes. Finalement, j’ai toujours vécu avec elles malgré mes déménagements Dieu merci peu nombreux et peu lointains. Je mesure en ces nuits de douce brise ma chance de pouvoir vivre encore auprès d’elles, sous les grands frênes, dans un vaste espace de verdure et dans des heures lentes, le seul luxe qui compte pour moi.

28 janvier 2011

Carnet d'hiver

Perdre le goût et ne pas pouvoir profiter d’un cigare, voilà ce qui m’embête le plus lorsque je suis enrhumé. J’ai commencé par rester au chaud en avalant de l’aspirine pour que le problème se règle au plus vite, mais l’autre jour, comme la situation s’enlisait, j’ai marché jusqu’à la supérette du village en respirant à pleins poumons l’air glacial du crépuscule. Au moins, n’ai-je pas été tenté par le jaunâtre bureau de tabac qu’on dirait sorti des années cinquante, non pas parce que, n’y trouvant évidemment aucun cigare digne de ce nom, je me contente parfois, en dépannage, de Gauloises voire de Gitanes maïs, mais parce que je ne ressens même pas le goût de ces cibiches dans l’état où je suis. Même les volutes charbonnières d’un Toscane ne me feraient pas plus d’effet que de gober un altostratus. Au retour, sous la dernière ampoule d’éclairage public qui marque l’entrée dans mes broussailles, j’ai cru à une petite amélioration qu’un Woodford Reserve a confirmée. C’était donc un rhume à combattre à la bise et au bourbon. Comment s’y prend le chat pour soigner le sien, lui qui vit toujours dehors ?carnet,journal,chat,rhume,bois,affouage,blog littéraire de christian cottet-emard,campagne,hiver,william walton,william alwyn

Cette question me fait penser que je n’ai pas vu Sa Majesté ces dernières heures. J’ai beau savoir qu’il y a ces temps de la bagarre dans l’air avec ses rivaux, notamment avec le principal, un autre spécimen semi-sauvage tout aussi costaud qui tente régulièrement sa chance pour s’approprier le territoire, je suis toujours un peu inquiet car les deux ennemis ne plaisantent pas. Lorsqu’ils ont épuisé tout le théâtre de l’intimidation en se parlant japonais (ceux qui connaissent les chats comprendront), ils se sautent à la gorge et ne se lâchent qu’après de longues minutes en grondant après s’être infligés de terribles blessures. Je vois alors rappliquer sa Majesté dans un état d’épuisement qui le conduit, après des absences de durée variable, à se refaire une santé par le sommeil et la gamelle. Sa Majesté met en moyenne une semaine à cicatriser, voire plusieurs si les blessures sont encore plus graves, ainsi que cela s’est produit à trois reprises depuis que nous avons fait connaissance. La première fois, il avait une entaille béante sur le flanc, si large qu’elle a sans doute été provoquée par un animal plus gros : chien, renard ? La deuxième fois, il avait un trou rond parfaitement régulier sous la gorge. On lui avait sûrement tiré dessus. La troisième fois, il s’agissait d’une blessure plus classique provoquée par un autre chat mais particulièrement profonde. Parfois, je me dis que je suis indirectement responsable de l’âpreté de ces combats territoriaux puisque c’est moi qui ai augmenté la valeur du territoire en servant de la nourriture et en disposant, en vue des plus rudes épisodes de l’hiver, une niche en tissu matelassé dans le hall extérieur de la maison. Faut-il se mêler des affaires de la nature si l’on n’y est pas forcé ? Éternelle question...

Hier après-midi, corvée de bois. Je puise encore dans les quantités entreposées dehors par mon père (décédé en 2003) qui pratiquait l’affouage. Certaines bûches à tronçonner en trois doivent dater de 2000 et sont intactes. En les regardant donner leur bonne chaleur, j’ai une pensée pour mon père qui a construit une grande partie de la maison où j’habite. Il y a ceux qui sèment et ceux qui récoltent...

Pour me distraire de cette pensée culpabilisante, j'ai écouté tard dans la nuit la Sinfonia concertante (version 1927) de William Walton (1902-1983) et des œuvres orchestrales de William Alwyn (1905-1985), entre autres, Cinq préludes de 1927, Overture to a Masque (1940) et le concerto grosso n°1 (1943).

Photo : Sa Majesté surveille son territoire par tous les temps.