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24 mai 2014

Carnet / Sous le ciel bas

Samedi dernier j’ai de nouveau écouté en concert privé (chez Olivier Leguay et dans son interprétation) les œuvres pour piano du compositeur américain Morton Feldman que j’avais découvertes il y a quelques semaines lors d’une soirée entre amis et mélomanes, notamment  Palais de Mari qui est revenu aujourd’hui me trotter dans la tête alors que je regardais mes frênes battre leur record de lenteur pour pousser leurs nouvelles feuilles.

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Cette année, toute la végétation est très en retard. Les lilas sont en train de passer et les pivoines encore en boutons contrairement aux iris en majesté pour me rappeler que nous sommes fin mai dans ce déprimant premier semestre.

Ce vendredi soir, après de violentes douleurs à la nuque heureusement enrayées par l'efferalgan (que deviendrais-je sans ce médicament ?) je suis sorti fumer un cigare dehors. La nuit permet d’oublier le ciel bas. Les derniers parfums des lilas mêlés aux stridulations des grillons redonnent un peu de baume au cœur dans cette interminable et affreuse grisaille jurassienne.

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Il me faudrait sans doute prendre des leçons d’énergie vitale auprès de poètes tels que Georges-Emmanuel Clancier. Le voir et l’entendre parler tranquillement et en apparence sereinement à cent ans de la force de la poésie sur le plateau de l’émission La Grande librairie que j’ai regardée ce soir sur mon ordinateur devrait m’encourager à remonter la pente ou, du moins, à m’en tenir avec plus de rigueur et de confiance en moi à mes propres chantiers littéraires.

Mais je ne suis pas certain qu’il soit judicieux, quand on est comme moi un homme gouverné par le doute, le scepticisme, la méfiance et le sentiment permanent de l’absurde, qu’il soit judicieux dis-je, de tenter de puiser exemple et forces auprès de tempéraments si différents du mien.

Peut-être au contraire faut-il que j’aie la force de remonter du puits obscur que je suis (re) devenu cette eau rare et fraîche qui semble couler en abondance et en surface chez des personnalités plus actives et sûres d’elles que moi mais dans l’élan desquelles je risquerais de me perdre en me faisant distancer.

Toujours le même problème : se connaître et en tirer les conséquences, identifier ses limites, les accepter et ne pas céder au nouveau conformisme ambiant qui fait croire à qui a envie de le croire qu’il n’existe pas de limites ou que nous pouvons indéfiniment et impunément repousser les nôtres alors qu’elles constituent l’essentiel de ce que nous sommes lors de notre inexplicable et bref passage en ce monde.

22 mai 2014

À l’américaine (nocturne urbain)

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Orange rouge vert dans les gouttes sur le pare-brise

 

Les cloches du samedi soir et les magasins où paient et sortent les derniers clients

 

Certains vont à la messe et te regardent sans crainte assis dans ton auto confortable emmitouflé dans ton manteau

 

Ils te prendraient presque pour un des leurs parce que tu stationnes sur un emplacement autorisé et que tu es vêtu très comme il faut et que tes cheveux sont coupés courts et que ta voiture propre inspire confiance

 

Tu présentes assez bien et ce n’est pas marqué sur ta figure que tu ne veux pas participer et que la seule chose intéressante pour toi c’est attendre regarder écrire

 

L’idée que le monde pourrait te quitter la voici

 

Elle arrive aux quatre décennies plus six années quand s’éloignent les petites lettres

 

Que cela t’encourage à laisser la poésie à d’autres pour dire simplement ta fatigue qui lasse le monde

 

Le moment vient peut-être d’écrire à l’américaine « je sors prendre un verre au soleil »

 

Ce n’est peut-être rien d’autre un poème

 

(Extrait de Poèmes de Preben Mhorn© Éditions Orage-Lagune-Express, 2007.

09 mai 2014

Marguerite Duras dans la vie matérielle

marguerite duras,la vie matérielle,écrire,blog littéraire de christian cottet-emard,marguerite duras dans la vie matérielle,article,presse,magazine des livres,mes collaborations presse,presse littéraire,essai,étude,littératureNe possédant plus que deux exemplaires du numéro de feu le Magazine des livres où se trouve un de mes articles sur Marguerite Duras et ne pouvant plus prêter cette publication sans risquer de démunir mes archives papier, je mets donc ce texte en ligne avec le fac-similé.

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 Cela doit remonter au collège ou au lycée. Duras à la télé en plein entretien avec Pierre Dumayet. L’image semble floue, non pas parce que le poste est mal réglé mais parce que l’écrivain et le journaliste s’enfument à la pipe et à la cigarette. Ils ont des voix de fumeurs, elle enrouée, lui enrhumé. Quelques années plus tard, carte de presse en poche, j’espère que le journalisme me rapprochera de la littérature. Qu’en dit-elle, Duras qui signe dans les grands journaux ? Tentatives de lecture et échec : ça résiste. Journalisme et littérature m’ont choisi comme champ de bataille et tirent la corde chacun de leur côté. En 1987, pendant que pour moi, ça tangue et ça craque, et qu’il faut s’appeler Duras pour être capable de faire cohabiter dans une même tête, dans un même corps, un écrivain et un journaliste, elle publie La Vie matérielle (P.O.L). Ce livre construit au magnétophone me donne la clef. Un barrage contre le Pacifique, d’abord, puis les autres, pas tous, mais j’hésite à employer ce pluriel car, finalement, comme beaucoup de grands écrivains, Duras écrit toujours le même livre. On le voit dans La Vie matérielle dont elle dit: « Il n’est pas un journal, il n’est pas du journalisme, il est dégagé de l’événement quotidien... J’ai hésité à le publier mais aucune formation livresque prévue ou en cours n’aurait pu contenir cette écriture flottante de “La vie matérielle”... »

marguerite duras,la vie matérielle,écrire,blog littéraire de christian cottet-emard,marguerite duras dans la vie matérielle,article,presse,magazine des livres,mes collaborations presse,presse littéraire,essai,étude,littératureDuras ? D’emblée, elle m’a déplu, fait peur, profondément dérangé. J’ai tout de suite su, dès les premières lignes, que je ne pourrais pas lui échapper. L’un des plus grands écrivains du vingtième siècle, Marguerite Duras ? Oui, y compris dans ce que le personnage a pu avoir de plus horripilant, mais quelle importance, lorsqu’on s’appelle Marguerite Duras, d’être la meilleure, la plus lue, la plus adulée ou la plus détestée ? Pour un écrivain de cette stature, l’enjeu est d’un intérêt bien supérieur, bien plus simple et tellement plus complexe : réussir à vivre. Improbable projet à l’instar d’un Fernando Pessoa qui écrit dans son poème « Bureau de tabac » : « Je ne peux vouloir être rien » et ce troublant écho dans C’est tout (P.O.L), le dernier livre de Duras : « Je ne peux me résoudre à être rien ». Cela tient d’une sorte de sauvagerie, ainsi qu’elle le constate dans Écrire (Gallimard) : « Ça rend sauvage l’écriture. On rejoint une sauvagerie d’avant la vie. Et on la reconnaît toujours, c’est celle des forêts, celle ancienne comme le temps. Celle de la peur de tout, distincte et inséparable de la vie même. »

Écrire, faire les courses, écrire, ranger, écrire, déranger, écrire, être une femme, écrire, se promener, écrire, trouver des maisons, écrire, ramasser des bois flottés, écrire, aimer, écrire, boire, écrire, se soigner, écrire, être malade, écrire, vieillir, écrire, mourir.

Les écrivains mâles se donnent l’air de ne rien faire d’autre qu’écrire. Ils ont rarement l’idée, comme Duras, de se faire photographier dans leur cuisine, derrière la table de formica, entre le liquide pour la vaisselle et le fait-tout et ils semblent toujours vouloir suggérer qu’ils arrivent à tenir le quotidien à distance, à maîtriser la situation, exactement l’attitude inverse de Duras pour qui l’écriture englobe tout, de la littérature à la liste des courses fixée au mur.
Marguerite Duras est un écrivain de la vie matérielle. Ainsi intitule-t-elle le recueil des quarante-huit textes dont, précise-t-elle : « Aucun ne reflète ce que je pense en général du sujet abordé parce que je ne pense rien, en général, de rien, sauf de l’injustice sociale. » Nous voilà renseigné sur une dimension essentielle de l’œuvre. Duras ne se soucie guère de l’artisanat de littérature et encore moins de bien écrire. Son fameux style qui intimide encore et qui dérange toujours, elle ne l’a pas forgé, « travaillé » pour s’y laisser enfermer mais elle l’a laissé se façonner, s’éroder sous l’action des événements, des intuitions, des sensations. Là réside son engagement. L’écriture de Duras ne s’occupe pas de hiérarchie, de classification, de jugement et elle se dérobe à chaque genre littéraire au moment où elle laisse une parole s’organiser en roman, en reportage, en scénario, en théâtre.

C’est dans sa pratique du journalisme que ce que l’on pourrait appeler sa méthode d’imprégnation (plus une attitude qu’une méthode, du reste) se révèle avec le plus d’acuité : « Il faudrait écrire pour un journal comme on marche dans la rue, note-t-elle. On marche, on écrit, on traverse la ville, elle est traversée, elle cesse, la marche continue, de même on traverse le temps, une date, une journée, et puis elle est traversée, cesse. »

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Quel journal publierait aujourd’hui des articles nés d’une telle manière ? La simple lecture des « piges » de Duras pour la presse permet de mesurer le mal qui ronge aujourd’hui le journalisme contre lequel le « calibrage » obsessionnel des textes réussit chaque jour un peu plus là où la censure a toujours échoué. Il n’est désormais pas excessif de constater un glissement de ce phénomène en direction de la littérature et notamment du roman avec le rouleau compresseur du livre d’élevage, texte éminemment « calibré » où le lecteur ne trouve plus que ce qu’il a décidé d’y trouver, ce qui est évidemment le contraire de la littérature qui ne vit quant à elle que d’associations, rebonds, digressions, analogies, comparaisons... Reposons donc la question avec une légère variante : quel éditeur publierait aujourd’hui Marguerite Duras ?

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Infréquentable, incontrôlable, elle n’aime rien tant que détricoter ses intrigues romanesques, composer des variations sur le thème de l’autobiographie dans lesquelles tout est vrai, mais dans le désordre ou plutôt dans un ordre différent. À l’époque où les plateaux de télévision accueillaient encore la parole des écrivains et non leurs pathétiques corvées de promotion dans des émissions de variété pour patates de canapé, Duras tenait tout un entretien malgré sa gorge ravagée et son épuisement de rescapée.

Dire jusqu’au bout sans faire joli (plus rien à vendre depuis longtemps) mais surtout, continuer à dire tant que c’est possible, tant que la voix le peut avant le dernier livre, C’est tout, et la dernière ligne, terrible : « Je n’ai plus de bouche, plus de visage. »

À lire :
Écrire, de Marguerite Duras, Folio.
La Vie matérielle, Folio.