28 mai 2015
Carnet / De l'insomnie et de la saudade
Après une partie de la matinée et de l’après-midi de ce mercredi à tondre mes prés autour de la maison, je reste un moment dehors dans la nuit. J’ai du mal à m’habituer à l’absence d’éclairage public dès 11h, même si cela fait pétiller les petits points de lumière froide des vers luisants et permet de profiter de beaux clairs de lune, encore que celui de ce soir soit plutôt blafard, sinistre. En plus, un des détecteurs de mouvement de la maison est en panne. Encore de l’entretien en perspective. La tonte m’a donné des courbatures mais cette besogne ne me pèse pas trop car je peux l’accomplir machinalement en pensant à autre chose, exactement comme passer l’aspirateur, étendre le linge et faire la vaisselle.
C’était la même chose dans le travail salarié que je ne supportais que lorsque j’avais des tâches simples, des horaires fixes et une routine, ce qui n’était hélas pas le cas dans certains métiers que j’ai été obligé d’exercer pour des raisons évidemment alimentaires. Que de temps irrémédiablement perdu dans ces galères professionnelles, ces activités ineptes, surtout lorsque j’étais journaliste. Et j’en dirais autant de mon passage dans l’éducation spécialisée et de ma formation au commerce de librairie, sans parler d’autres boulots pour lesquels on se lève le matin avec deux objectifs : le chèque et les congés.
Je fume un Don Tomas dans l’air froid que la bise du jour a laissé derrière elle alors que ces nuits de mai devraient être tièdes et parfumées. Les Don Tomas sont des cigares du Honduras. Certains modules peuvent soutenir la comparaison avec des havanes rustiques et constituent d’honnêtes cigares de tous les jours. Celui que je fume ce soir, un corona présenté en tube, est assez corsé mais manque de bouquet. Une saveur linéaire du début à la fin, aucune complexité mais un bon tirage. Il faudra un doigt de cognac pour rehausser tout ça.
J’ai reçu mon exemplaire d’auteur de la revue Patchwork dirigée par Anthony Dufraisse qui a publié mes notes sur Pierre Autin-Grenier dans lesquelles je mêle le récit de ma rencontre avec lui, des anecdotes et des évocations de ses livres, dont une critique de Friterie-bar Brunetti, un de mes préférés. Le tout forme un ensemble d’un peu plus de cinq pages que je trouvais un peu léger en l’envoyant à Anthony Dufraisse mais que je juge finalement cohérent en le relisant pas loin d’un an après.
Le séjour à Porto approche. Malgré ma peur de l’avion, je me réjouis de retrouver le Portugal. Je n’idéalise pas ce pays, ni aucun autre d’ailleurs, mais je me sens des affinités avec lui, y compris à cause de la saudade. À propos, il faut que je pense à me procurer Message de Pessoa lors de mes prochaines emplettes à Lyon.
Après Porto ce début juin, ce sera probablement Barcelone en septembre. L'insomnie m'est plus douce en pensant à ces futures promenades.
Photo 1 : clair de lune chez moi (Photo © Christian Cottet-Emard)
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22 mai 2015
Des pas dans la nuit
Un jour de bora bianca, ce vent redouté des vénitiens, il longeait la façade Renaissance de la Scuola di san Rocco avant d'entrer dans la basilique Santa Gloriosa dei Frari.
Il s’accorda quelques instants de compagnie avec Titien, Canova et Giovani Bellini lorsqu’il entendit quelques craquements dans l'obscurité où stagnaient de lourds effluves d'encens. Des notes d’orgue s'y mêlèrent bientôt, qui lui firent oublier l'Assomption du Titien.
En émergeant de l'ombre lourde de la basilique, il retrouva les ocres du quartier des Frari réconciliés avec le dernier soleil du jour. Le vent avait capitulé et abandonné dans sa déroute des souffles d'algues. L'air se radoucissait et invitait quelques touristes réfugiés dans des bars minuscules et délicieusement enfumés à retrouver le jeu de piste des itinéraires de visite balisés de flèches noires sur fond jaune, idéales pour se perdre mieux encore qu'on ne l'eût espéré. Une nuit, il avait déambulé dans ce quartier souvent désert où, enfilant une rue au hasard, il avait entendu monter de la pénombre une voix :
« Aqua ! » Une silhouette venait de l'avertir que la rue débouchait directement sur le canal et qu'entre les deux, on n'avait pas jugé utile d'installer une barrière.
Il vit alors l'ombre s'approcher. Elle appartenait à une jeune femme en imperméable qui le jaugea, amusée mais vigilante. « Attention au canal ! » Elle lui parlait en français. Il pensa qu’il devait avoir une tête de français. Elle l'accompagna le temps de lui indiquer un chemin plus sûr. Il l’observa furtivement. Elle était dans son élément. Ses escarpins surmontés d'un nœud papillon s'assuraient avec une grâce appliquée sur les dallages de pierre. Le rythme de son pas dans le silence nocturne créait cette même harmonie, ce même équilibre ténu qu'un ricercare des Gabrieli ou une canzon des Cavazzoni sur l'orgue Callido et sur l'orgue Piaggia de la basilique.
Ce pas, il l’entend encore s'éloigner, des années après, aussi nettement que ce soir-là où il dînait, dans une trattoria silencieuse, de lasagnes aux orties et de quelques poissons grillés agrémentés d'une tranche de polenta et de vin blanc.
Extrait de mon recueil L'Italie promise, © éditions Orage-Lagune-Express. Ce texte sera repris dans mon prochain recueil de nouvelles à paraître cette année.
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08 mai 2015
Mes promenades photos : Lisbonne Apparitions
Une Ginja de trop et la vision se trouble
Ai-je bien vu ?
La vision d'un instant éternel
La fenêtre qu'on referme comme les paupières
Pour ne plus voir
Contempler pour toujours
Ou surprendre un instant
Pour qui sera la flèche ?
Qu'importe
Du moment que l'eau chante
Et que le regard s'enchante
Photos © Christian Cottet-Emard
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