22 mai 2015
Des pas dans la nuit
Un jour de bora bianca, ce vent redouté des vénitiens, il longeait la façade Renaissance de la Scuola di san Rocco avant d'entrer dans la basilique Santa Gloriosa dei Frari.
Il s’accorda quelques instants de compagnie avec Titien, Canova et Giovani Bellini lorsqu’il entendit quelques craquements dans l'obscurité où stagnaient de lourds effluves d'encens. Des notes d’orgue s'y mêlèrent bientôt, qui lui firent oublier l'Assomption du Titien.
En émergeant de l'ombre lourde de la basilique, il retrouva les ocres du quartier des Frari réconciliés avec le dernier soleil du jour. Le vent avait capitulé et abandonné dans sa déroute des souffles d'algues. L'air se radoucissait et invitait quelques touristes réfugiés dans des bars minuscules et délicieusement enfumés à retrouver le jeu de piste des itinéraires de visite balisés de flèches noires sur fond jaune, idéales pour se perdre mieux encore qu'on ne l'eût espéré. Une nuit, il avait déambulé dans ce quartier souvent désert où, enfilant une rue au hasard, il avait entendu monter de la pénombre une voix :
« Aqua ! » Une silhouette venait de l'avertir que la rue débouchait directement sur le canal et qu'entre les deux, on n'avait pas jugé utile d'installer une barrière.
Il vit alors l'ombre s'approcher. Elle appartenait à une jeune femme en imperméable qui le jaugea, amusée mais vigilante. « Attention au canal ! » Elle lui parlait en français. Il pensa qu’il devait avoir une tête de français. Elle l'accompagna le temps de lui indiquer un chemin plus sûr. Il l’observa furtivement. Elle était dans son élément. Ses escarpins surmontés d'un nœud papillon s'assuraient avec une grâce appliquée sur les dallages de pierre. Le rythme de son pas dans le silence nocturne créait cette même harmonie, ce même équilibre ténu qu'un ricercare des Gabrieli ou une canzon des Cavazzoni sur l'orgue Callido et sur l'orgue Piaggia de la basilique.
Ce pas, il l’entend encore s'éloigner, des années après, aussi nettement que ce soir-là où il dînait, dans une trattoria silencieuse, de lasagnes aux orties et de quelques poissons grillés agrémentés d'une tranche de polenta et de vin blanc.
Extrait de mon recueil L'Italie promise, © éditions Orage-Lagune-Express. Ce texte sera repris dans mon prochain recueil de nouvelles à paraître cette année.
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08 mai 2015
Mes promenades photos : Lisbonne Apparitions
Une Ginja de trop et la vision se trouble
Ai-je bien vu ?
La vision d'un instant éternel
La fenêtre qu'on referme comme les paupières
Pour ne plus voir
Contempler pour toujours
Ou surprendre un instant
Pour qui sera la flèche ?
Qu'importe
Du moment que l'eau chante
Et que le regard s'enchante
Photos © Christian Cottet-Emard
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05 mai 2015
Carnet / Du manque de temps et de lumière
Au moins le grand vent qui secoue les volets cette nuit est-il tiède et chargé des parfums de toutes les fleurs épanouies en quelques jours bien qu’au final, dans l’obscurité, la musique soit la même qu’en automne. La journée aussi, la lumière est automnale, y compris ce dernier soir où une frange fugace de lumière rasante a doré la montagne à peine cinq minutes.
Les perspectives de parution d’au moins deux de mes livres se rapprochent de nouveau après avoir marqué le pas. Il faudra bien ça pour me donner un peu d’allant. Le climat de ce pays a de quoi rendre neurasthénique. Heureusement qu’un petit séjour à Porto est prévu en juin.
Je dois fournir en urgence un texte pour une exposition. Le délai me paraît vraiment trop court. J’essaie quand même. Je suis installé depuis si longtemps dans la lenteur... Cela me rappelle une phrase qu’on me répétait sans cesse quand j’étais enfant puis adolescent : « Tu as bien le temps... » Quelle blague ! Je n’avais pourtant pas pour habitude, même dans mon plus jeune âge, de croire tout ce qu’on me disait, mais sur ce coup-là, Tu as bien le temps, j’avoue que je me suis bien fait avoir ! Sans doute cela m’arrangeait-il... Je ne peux m’en prendre qu’à moi.
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