06 juin 2020
Carnet / Dans un pli du temps
À cette heure fébrile de la nuit, lorsque le jour me manque le plus, en particulier en ces temps encore incertains où je me demande quand il sera possible de recommencer à se promener normalement dans les grandes villes d’Europe que je préfère, Lisbonne, Porto, Venise, Lyon, Rome, Florence, et dans celles que je souhaite découvrir, Madrid, Cagliari, Séville, je repense à un de ces moments vagues, difficiles à décrire, qu’on nomme parfois des instants de grâce et que j’ai quant à moi coutume d’appeler des moments à poèmes.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’épisodes pendant lesquels un poème se fixe sur une page de carnet mais plutôt de variations dans le rythme du temps, comme si celui-ci, en s’écoulant, formait une onde ou un pli propices pour la conscience à de plus fines perceptions qu’à l’ordinaire.
Je crois que nous partageons tous ce genre d’expérience mais que nous sommes moins nombreux à tenter de les transcrire dans un langage ou une dans une forme qui nous conviennent. Parfois, à la faveur d’un détail ténu, par exemple d’une infime oscillation dans l’équilibre entre une personne et sa posture, il est possible de détecter chez les autres un tel événement. On peut parler d’épiphanies même si le terme peut sembler excessif au regard de l’apparente banalité de l’épisode vécu.
Le moment à poème qui me revient maintenant à l’esprit est survenu à Lisbonne près du quartier du Rossio voici quelques années.
Non loin de l’hôtel Avenida Palace, peu avant dix-huit heures, je prenais l’apéritif, Praça dos Restauradores, à la terrasse d’un de ces établissements dont nous n’avons hélas pas l’équivalent en France et qui sont un heureux et fort convivial mélange de café, restaurant, pâtisserie et salon de thé où l’on peut manger salé ou sucré à n’importe quelle heure du jour ou du soir. On y trouve une agréable variété de petite restauration pas chère à consommer sur place ou à emporter. Les plats garnis sont de la cuisine maison, en particulier la soupe dont un bol vous est servi pour une somme dérisoire.
Ces endroits sont fréquentés par une clientèle très variée elle aussi, qu’il s’agisse d’habitués, de touristes en pause café, de routards en pause sandwich, de lycéens et d’étudiants en pause sucrée, de dames à l’heure du thé, d’anglais en pause porto ou, comme moi, de français en pause vinho tinto.
Je faisais durer mon verre en ces instants où l’on comprend ce qu’est l’âme atlantique lorsque mon regard s’arrêta je ne sais pourquoi sur un homme entre deux âge qui occupait seul un petit guéridon. Il fumait un de ces cigares bon marché qu’on reconnaît à l’odeur un peu âcre, un cigare sec qu’il n’est point besoin de conserver en humidor. Le serveur venait de lui apporter une Sagres et un de ces sandwichs généreux composés de toutes sortes de charcuteries comme en trouve au Portugal.
Cet homme assez massif à la tenue et au maintien des plus ordinaires avait quelque chose d’un ironique et secret triomphe dans les yeux. Avait-il remporté une immense ou une minuscule victoire ? Se laissait-il tout simplement bercer par la douceur du début de soirée ? Venait-il de décider une bonne fois pour toutes de ne vivre que le moment présent ? Avait-il surmonté un vieux tourment ? S’était-il enfin rendu à la conclusion que tout est tragique mais que rien n’est sérieux ?
Tout cela se concentrait dans le regard qu’il portait au loin sur je ne sais quelle distraction qu’offrait la place animée et paisible mais ce n’était peut-être rien d’autre que son expression habituelle. Rien d’autre que l’un de ces rares instants modestes et précieux où l’on se sent provisoirement invulnérable parce que dans l’air doux d’une terrasse de Lisbonne, un serveur en veste blanche vient de servir l’apéritif.
Extrait de mes carnets de voyage
© Éditions Orage Lagune Express. Tous droits réservés.
Photo Ch. Cottet-Emard
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28 mai 2020
Vient de paraître
Dans la revue Instinct nomade fondée et dirigée par Bernard Deson, (éditions Germes de barbarie) dont le cinquième numéro qui vient de sortir en ce printemps 2020 est consacré à Fernando Pessoa, on peut lire mon carnet de lecture et de voyage intitulé « Lisbonne, Pessoa et ses ombres » mais aussi ma chronique habituelle avec un texte sur le thème « Poésie et spiritualité » , mon point de vue sur l'affaire Matzneff et quelques considérations sur l'accord entre alcool et cigare.
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23 mai 2020
Lisbonne, Pessoa et ses ombres
Un très court extrait (le début) de mon carnet de lecture et de voyage Lisbonne, Pessoa et ses ombres. Ce texte (pages 19 à 27) est ma contribution au cinquième numéro de la revue Instinct nomade qui vient de paraître et qui est consacré à Fernando Pessoa.
J’ai longtemps vécu sans l’idée de découvrir Lisbonne. Trop loin et presque trop exotique pour moi comme voyage ! Et puis j’ai lu Pessoa, fantôme de Lisbonne déjà de son vivant. Je voulais guetter ce spectre de papier, marcher derrière son ombre ou plutôt ses ombres frôlant désormais tous les murs de la capitale portugaise, attraper le tram de la ligne 28 comme tous les touristes et enfin, par nécessité dirais-je, chercher où souffle encore l’esprit de l’Occident en ces temps angoissants où l’on veut lui faire la guerre pour ce qu’il a de plus beau et de plus noble. Et si le réveil de l’Occident aliéné pouvait encore venir du Portugal, ce pays pourtant devenu le confetti de son propre empire où une ligne directe relie l’immense et malchanceux Luis Vaz de Camões à l’insaisissable Fernando António Nogueira Pessoa, les deux héros posthumes du panthéon littéraire portugais dont les gloires tardives croisent désormais toutes voiles dehors telles deux caravelles sur l’océan du temps ?
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