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08 mai 2022

Carnet / L’abstraction des bords de mer

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Dès que je me promène en bord de mer, j’entre dans l’abstraction, en opposition à la vie dans ma région natale et dans ma campagne où règne le concret. Les vacances qui sont une idée abstraite y sont bien sûr pour beaucoup.
 
J’ai vu la mer pour la première fois au milieu des années soixante, l’époque de mon enfance. C’était la mer du nord. J’étais à l’arrière de l’Opel blanche crème de mon parrain. Nous roulions doucement dans les rues d’Ostende lorsque la mer apparut soudain entre deux immeubles.
 
Je m’en souviens comme si j’y étais encore mais je suis incapable de me rappeler précisément l’année et le jour où, très jeune homme, je vis apparaître la Méditerranée. Le souvenir de ma première vision de l’océan est plus précisément daté parce que j’y faisais du camping dans les Landes, ce qui ramène certes au concret mais celui-ci s’efface dès que je flâne sur la plage. Cependant, la véritable abstraction qu’est à mes yeux le paysage maritime est l’horizon méditerranéen.
 
J’ai mis très longtemps à mettre ces pauvres mots sur cette idée qui est aussi une sensation, pour moi un évènement qui s’est produit en entrant acheter du raisin à l’étal d’un petit magasin  de la ville d’Alghero en Sardaigne, un îlot d’ombre précaire dans l’immense lumière bleue du matin.
 
Cette matinée n’était pas un jour de rêve puisqu’elle était bien réelle mais un jour rêvé pour l’abstraction d’une journée où ces gros raisins de couleur parme qu’on trouve en été en Sardaigne se suspendaient en sphères scarieuses dans l’espace ombreux de l’échoppe telles des planètes dans le cosmos.
 
Ainsi naissent des tableaux dans le rêve éveillé des peintres ou quelques lignes lorsqu’on n’est pas capable de peindre et que la jolie marchande de fruits et légumes sourit parce qu’elle croit lire dans les pensées.
 
 
Extrait de mes Carnets d'Italie, © Éditions Orage-Lagune-Express.
Photo : Alghero (Sardaigne) photo Christian Cottet-Emard.
 

11 janvier 2011

La jeune fille aux sandales de sable (extrait).

écumesable.JPGEn vain la mer fait le voyage
Du fond de l'horizon pour baiser tes pieds sages.
Tu les retires
Toujours à temps.

- Léon-Paul Fargue -

La jeune fille posa le pied sur le quai désert. Elle était chaussée de tennis à la toile défraîchie par le voyage. Dans un nuage des montagnes, l'autorail s'était enveloppé d'une pellicule de gouttelettes. Maintenant qu'il ronronnait à l'arrêt sous le soleil de la plaine, quelques irisations perlaient encore à la surface de ses tôles et de ses vitres grasses. Unique passagère à descendre dans cette gare, la jeune fille tira sa valise souple à roulettes à l'ombre d'un cèdre où elle avait repéré un banc en ciment ébréché. Elle repensa aux jardins piquetés de Perce-neige qu'elle avait quittés pour ce pays où mûrissaient des citrons. Cette pensée lui vint à la vue d'un lampadaire encore inexplicablement allumé dont le verre avait la forme d'un citron mais dont la lumière inutile évoquait la blancheur scarieuse des globes de Perce-neige.

Les dernières brumes du petit matin s'effilochaient dans la chaleur qui s'annonçait. La jeune fille jeta un rapide regard autour d'elle, délassa ses tennis et étendit ses pieds moites dans un rayon de soleil. Lorsqu'ils furent secs et lisses, elle se rechaussa à regret, se leva et tira sa valise à roulettes. Elle traversa les voies puis marcha un moment dans des rues encore vides. persiennes.jpgDu haut d'un mur délabré, un chat la regarda passer en clignant des yeux. D'un pas régulier, elle effleurait la poussière sans prêter attention à son ombre le long des dignes façades rayées de persiennes. Parfois, les roulettes de la valise se bloquaient en crissant sur du sable. Bientôt, les murs des maisons perdirent de leur superbe et l'ombre de la jeune fille s'étira contre une haute palissade de bois clair. Une porte branlante apparut ornée d'un heurtoir en forme d'hippocampe. La jeune fille frappa, ouvrit la porte et cela provoqua un courant d'air tiède qui déposa une fleur de sel sur ses lèvres. Dès que la porte fut refermée, une brise à peine plus fraîche l'enveloppa doucement. Immobile, elle frissonna devant l'océan qui respirait comme un gros chat endormi puis tira de nouveau sa valise sur un chemin de caillebotis. caillebotis.jpgElle s'arrêta pour enlever ses tennis dont elle lia les lacets pour les suspendre autour de son cou. La brise marine vint apaiser ses pieds nus sur les lamelles de bois.

Un africain chargé d'étoffes et de bimbeloterie s'écarta devant elle et lui conseilla de prendre garde aux clous qui pouvaient dépasser car, insista-t-il, « il ne pouvait être question de blesser et d'abîmer des pieds aussi fins et délicats, d'authentiques petits pieds pour ainsi dire aristocratiques et qu'avec les présentes espadrilles justement aujourd'hui en magasin, le magasin étant moi-même ici présent devant toi, tu pourrais faire cadeau approprié à l'indicible beauté de tes pieds (et pour pas cher) d'autre chose que de simples sandales de sable. »

Heures, minutes, et secondes se dissolvaient dans le temps spécifique des dunes. L'africain, le chat qui clignait des yeux, l'autorail irisé, le voyage, tout était reparti au large de cet autre océan qu'est le temps. Quant à la jeune fille, elle marchait dans l'écume et, bien qu'elle ressentît une joie tranquille, elle ne s'étonnait en rien de sa propre splendeur ni de celle du paysage maritime. Elle pensa juste, en regardant ses pieds, qu'à chaque flux et reflux, l'océan s'amusait à lui retirer ses sandales de sable.

© Éditions Orage-Lagune-Express 2011.

12 décembre 2006

Sur une plage des Landes

medium_cailloux_Landes.jpg

Tu as longtemps cru que la poésie était un diamant à extraire de la boue

Qu’il fallait s’acharner à le trouver puis à le tailler jusqu’à la perfection qui n’est pourtant pas du monde des humains

Mais non le diamant naît des catastrophes et les provoque

Vois plutôt sur la plage des Landes ce petit joyau vert poli qui fut un éclat de verre

La même vague millénaire le dépose aujourd’hui tout lisse et lumineux à tes pieds

Sans doute un fragment de canette de bière

Combien de décennies entre celle ou celui qui goûta la mousse de cette bière sous les parasols d’un petit bistrot et toi qui te promènes dans l’écume de mer ?

Tu n’as qu’à te baisser pour t’offrir ce bijou d’océan

Car personne ne jugera utile d’exploiter de tricher de blesser ou de tuer pour le garder dans la main

Joyau de sable retournant doucement au sable après s’être offert au hasard de ton pas comme toute poésie qui n’est et ne saurait être diamant


(Copyright : Orage-Lagune-Express, 2006)