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J’ai pu passer la majeure partie de ma vie sans me préoccuper de politique parce que les gens de ma génération n’ont connu (je parle de la France) que des régimes centristes dominés, pour résumer à la truelle, par la vieille bourgeoisie. De droite ou de gauche, ces gouvernants étaient à peu près interchangeables sur le fond. Quant à la forme, ce n’était que du théâtre électoral et l’on pouvait sans mal s’en désintéresser ainsi que j’eus la chance de pouvoir le faire durant mes jeunes années et celles de ma maturité.
Et voilà qu’aujourd’hui, à l’âge de la retraite officielle où j’arrive en bonne forme et où je devrais normalement continuer dans cette voie reposante de l’indifférence à la politique, je me prends à ne même plus supporter la figure et la voix de l’actuel président de la République ainsi que celles de ses valets les plus médiatisés depuis la deuxième phase de la crise sanitaire qui a dégénéré en crise politique. Mon aversion est telle que je suis obligé de couper le son et l’image, comme lorsque des images de sport passent sous mes yeux. C'est physique, viscéral. C’est la première fois que je ressens quelque chose de semblable à l'encontre d'élus, certes déjà guère légitimes en raison du pourcentage faramineux d'abstention lors de leur élection mais élus tout de même.
Le président actuel, hostile à l’idée de nation et donc mal disposé à l’égard de la composante traditionnelle de la population de son propre pays rétive au type de société multiculturelle et technocratique qu’il veut imposer, se verrait bien le patron d’une Europe dont chaque état membre deviendrait une sorte de province progressivement dépouillée de son identité nationale. Dans cette optique, le peu qui persisterait de cette identité ne serait toléré qu’au bénéfice du folklore local toujours bon pour le tourisme.
Par le biais de la gestion gouvernementale de la pandémie, nous avons désormais une vision assez nette du quotidien que nous prépare cette société du ou des « pass » , sanitaire, vaccinal, écologique ou autres, une société que l’on pourrait qualifier pour l’instant de post-démocratique, une sorte de transition vers un avatar moderne du despotisme éclairé menant à court terme à la dictature si rien ne vient entraver ce processus. Un pouvoir technocratique à peine élu, des nations réduites à des provinces, des dirigeants hors-sol servant uniquement de « facilitateurs » du commerce, bref, pour moi un cauchemar et une nausée dont je vois l’incarnation dans nos actuels gouvernants.
C’est en remuant ces idées noires qu’un épisode du tout début de mon adolescence m’est revenu. C’était l’époque des réfugiés chiliens en France. Ils fuyaient la dictature de leur pays et j’en avais parfois approché certains, des familles, parce que ma marraine et ses amis politiques essayaient de leur apporter de l’aide au quotidien. Elle était même aussi devenu la marraine d’un de leurs enfants.
Lors d’une des nombreuses discussions qui avaient lieu chez elle à Lyon avec ces personnes, un jour où j’étais présent, j’entendis une chilienne exprimer la nausée qui la submergeait chaque fois qu’elle voyait des images des chefs de la dictature chilienne dans la presse ou à la télévision. J’étais si jeune et forcément si ignorant que je ne comprenais pas qu’on puisse se mettre dans des états pareils à cause de la politique.
Je ne mets pas sur le même plan la dictature chilienne de cette époque et notre actuelle société post-démocratique (bien qu’elle soit à mon avis en dérive et en tentation totalitaire) mais après avoir entendu l’actuel président me traiter de non-citoyen qu’il veut emmerder, je comprends maintenant une part de ce que pouvait ressentir cette femme. Je comprends une partie de sa nausée.
N’importe quel scientifique vous dira que la Terre a très souvent changé de climat au cours de sa longue histoire et que sur cette durée, la révolution industrielle suivie de la mondialisation industrielle représentent moins qu’un battement de paupière. À l’échelle du temps de l’humanité, il est tout à fait logique que l’impact des activités humaines se mesure à l’aune des dégradations qu’elles provoquent dans l’environnement. Nous touchons ici à la définition et au paradoxe de la vie : toute créature dégrade son propre environnement parce qu’elle est obligée de le modifier pour y survivre.
Pour l’humain, toute la question est de savoir comment gérer la modification pour qu’elle n’aboutisse pas trop vite à la destruction partielle qui peut bien sûr entraîner la disparition totale. En plus simple, comment ne pas scier la branche sur laquelle on est assis.
La question m’apparaît tous les jours à la vue de mes frênes attaqués par le lierre. Lorsque ce processus vieux d’une trentaine d’années arrivera à son apogée, les frênes finiront par s’effondrer et mourir. Le lierre qui se sera nourri d’eux survivra quelques semaines agrippé à leurs troncs couchés sur le sol et il mourra à son tour.
L’humanité se montre certes capable de modifier et de dégrader rapidement son environnement au point de perturber les grands équilibres naturels mais elle n’est et ne restera pourtant qu’un acteur très secondaire au sein de ce processus auquel participe la moindre bactérie.
Penser que quelques pays occidentaux développés et perclus d’écologie punitive doivent et puissent « sauver la planète » selon l’une des expressions les plus stupides qui soient et répétées comme un mantra (alors qu’on demande beaucoup moins aux géants de l’Asie et rien du tout aux monarchies du pétrole, notons-le au passage), penser, disais-je, que l’Occident développé soit capable de se mettre en travers d’une évolution climatique de plus relève d’un sentiment de puissance qui se situe entre les deux extrêmes de l’hubris et de la pensée colibri. Dans les deux cas, c’est d’une prétention et d’un orgueil pathétiques.
Aujourd’hui encore, j’ai reçu des pétitions à signer sur le climat dont une pour que le climat soit plus à l’ordre du jour de la campagne présidentielle en France (il est vrai que le climat est ici très dégradé mais à l’évidence, nous ne parlons pas du même vous et moi). Des paquets de pétitions, j’en reçois aussi sur les droits de l’homme et nombre de sujets certes préoccupants mais d’ordre suffisamment général pour que cela évite à beaucoup de se pencher sur les problèmes qu’ils ont sous le nez. La bonne conscience aime bien la bonne distance !
Dans ce concert des bons sentiments claironné par le grand orchestre des indignés sélectifs, certaines musiques sont inaudibles. Pour éviter de m’enliser dans la métaphore, je vais dire les choses plus brutalement : les amis et connaissances qui me bombardent de ces pétitions ne m’envoient rien à signer sur ce que pourrait leur inspirer, vu leur attachement à la liberté, à la tolérance et, pendant qu’on y est, à la planète, au climat, à la paix dans le monde et à la défense des fromages au lait cru, la relégation d’une partie de la population de leur propre pays à un statut de citoyens de seconde zone.
Pourtant, dans ce cas précis, la mobilisation des consciences serait assez facile et le résultat rapide à portée de mains, celles qui votent par exemple. Mais la plupart de ces gens me le disent eux-mêmes quand nous arrivons encore à nous parler malgré la zizanie que ce sinistre gouvernement a semé jusque chez les amis et les familles : ils n’iront pas voter. Pensez donc, ils ont plus urgent à faire: sauver le climat et la planète ! D’ailleurs, c’est plutôt l’humanité qui a besoin d’être sauvée, pas la planète et ses climats.
Elle n’a rien demandé, la planète, et elle vivra encore les quatre ou cinq milliards d’années qui lui restent en se fichant comme d’une guigne de l’éventuel remplacement des humains par des espèces de pieuvres ayant fini par résoudre l’actuel problème d’évolution qui les bloque encore dans l’océan.
Voilà une perspective peu réjouissante mais elle ne s’inscrit pas encore dans notre parenthèse temporelle. D’ici là, nous avons encore le temps de nous inquiéter pour nos enfants, nos petits-enfants et, si nous avons de la chance, nos arrière-petits enfants. Après, cela devient abstrait, avouons-le. Telle est notre limite.
Alors, chers amis pétitionnaires du climat, de la planète, de la paix dans le monde et des droits de l’homme en général (mais hélas pas trop de l’homme occidental), je recommencerai peut-être à m’intéresser à vos grandes causes et peut-être à signer vos pétitions le jour où, de votre côté, vous aurez daigné jeter un œil et dire un mot, même un seul, sur cette autre cause qui semble échapper à votre vigilance sélective, celle des entraves récentes et progressives à nos libertés quotidiennes les plus élémentaires et qui viendra un jour ou l’autre frapper à votre porte quelle que soit l’épaisseur de silence et de consentement au pire dont vous l’avez capitonnée.
... mais j’ai participé samedi, comme il y a deux semaines, à la manifestation contre le passe vaccinal à Oyonnax, oh, surtout pour dire de ne pas être resté les bras croisés à critiquer.
Deux cents personnes au premier cortège, ce qui n’est pas si mal pour une bourgade comme Oyonnax, irrémédiablement comateuse sur les plans politiques et culturels, et ce samedi, une centaine au second rendez-vous, sans doute en raison du début des vacances mais aussi parce que des gens ont préféré se joindre aux convois de la liberté.
On peut penser aussi que la très incertaine perspective d’une prochaine suspension du passe de la honte (mais seule vaut sa suppression définitive) a pu contribuer à affaiblir la motivation des opposants les plus tièdes. Même si c’était le cas, baisser la garde serait une lourde erreur car la parole de ce gouvernement n’a pas plus de valeur réelle que l’argent qu’elle fait sortir du chapeau du diable, la planche à billets. Ils sont drogués aux « pass » , le pluriel est de rigueur parce qu’on a compris que ce qu’ils veulent n’est rien d’autre que la société de tous les « pass » possibles et imaginables pour tous, pour tout et partout.
Sur le terrain des cortèges et des rassemblements, même au fond des provinces comme les nôtres, les prises de parole donnent un bol d’air, celles du Comité des professionnels suspendus, celles des parents scandalisés par le sort fait aux enfants et aux jeunes (les grands oubliés de la folie furieuse gouvernementale), celles des citoyens pas forcément engagés sous une quelconque bannière mais qui constatent tout simplement que plus rien n’est désormais normal et décent dans ce pays comme ailleurs en Europe et celles d’un jeune de quinze ans, déjà bon orateur, qui a résumé en peu de temps ce que tant de journalistes et de commentateurs appointés ne sont plus capables de dire dans notre presse et dans nos médias subventionnés.
Bien évidemment dans cette petite manif, tout s’est passé dans le calme car personne n’a envie de tomber dans le piège du désordre. Au centre d’Oyonnax, un œuf lancé sur le cortège depuis un balcon a atteint son but, je me plais tout de même à le préciser, non pas parce que c’est dramatique mais parce que cela montre ce que certains ont dans la tête : un certain désordre.
Et puisqu’on parle tant de désordre à propos de l’opposition au passe de la honte, répétons la question autant qu’il le faudra : qui a mis le pays en morceaux depuis cinq ans et plus encore depuis l’obligation vaccinale déguisée ? Qui a créé le désordre ? Réponse : celui qui reviendra pour cinq autres années grâce à l’abstention et à la vieille gauche dont les rescapés, par les sortilèges de l’âge, de l’embourgeoisement et de la trouille, sont devenus les fachos d’aujourd’hui.
Mieux vaut s’en souvenir dès le premier tour de l’élection présidentielle : n’importe qui contre Ubu roitelet et sa jumelle au rictus qu’aucun photoshop n’arrivera à transformer en sourire. Ce serait dangereux pour les libertés? Ah oui ? Lesquelles ? Il y a certes toujours moyen d’en enlever encore mais celles qui sont déjà passées à la trappe soi-disant provisoirement, c’est déjà bien essayé, non ? Et pas par des khmers rouges ou des chemises noires.
Toutes les manifestations sont pleines de gens sympathiques ainsi que je l’ai vu aussi à celles de l’été dernier à Bourg-en-Bresse mais je sais que beaucoup de ces opposants au passe de la honte ne voteront pas dans deux mois parce qu’ils estiment déjà qu’il n’auront pas d’autre choix. S’ils n’y vont pas, on en reprendra pour cinq ans avec un risque accru d’obligation vaccinale. Alors les manifs, c’est bien gentil et bien pratique pour se sentir tout propre sur soi mais inutile si l’on ne finit pas le travail au bon moment, quitte pour certains à voter en se bouchant le nez comme on l’a d’ailleurs fait si souvent depuis si longtemps sans s’être pour autant transformé en extrémiste. D’ailleurs, les extrémistes, ce sont eux qui sont actuellement au pouvoir.