15 octobre 2014
Bienvenue chez les « sains »
Je ne sais pas quelle coup tordu politicien se cache derrière la polémique qui monte en puissance en Belgique à propos de la ministre de la santé qui, selon certains de ses détracteurs, ne serait pas la bonne personne à ce poste du fait de son obésité. Cette polémique est cependant révélatrice d’un danger qui nous menace tous, l’avènement sournois et progressif d’un totalitarisme mou d’autant plus redoutable qu’il avance masqué, sous couvert d’hygiénisme et de bien-être obligatoires.
Les signes annonciateurs ne manquent pas et s’expriment souvent à travers de petites phrases en apparence anodines que chacun d’entre nous, lorsqu’il affiche, exprime ou revendique une singularité, se prend en pleine figure, le pire étant que cela vient souvent de personnes parfois assez proches. J’ai déjà moi-même essuyé ce genre de réflexion qui peuvent paraître sans gravité mais qui sont, je le répète, révélatrices d’une inquiétante évolution de notre société.
En me voyant fumer mes cigares, une personne de ma connaissance m’a déclaré qu’en tant que contribuable, elle n’avait pas à payer pour les frais consécutifs aux soins qui me seraient prodigués si je me retrouvais atteint d’un cancer. En réponse, je lui ai demandé si elle estimait qu’en tant que contribuable, j’étais fondé à payer pour le sauvetage en hélicoptère de l’alpiniste scotché à une paroi rocheuse ou perdu sur un glacier, si j’étais fondé à payer pour la chirurgie en faveur du torero encorné (bien fait pour lui), si j’étais fondé à payer pour l’hospitalisation d’un auteur bobo parisien qui s’est cassé en s’amusant à sauter d’un toit à l’autre, si j’étais fondé à payer pour mon voisin qui s’est tondu un orteil au lieu de confier l'entretien de sa pelouse à un professionnel, etc, etc...
En tous cas, sous forme d’une petite anticipation, voici quelques aspects du monde que je vois émerger et dans lequel il ne va pas faire très bon vivre à mon avis.
Plutôt que de pondre un énième article théorique sur cette question, j’ai choisi de remettre en scène Effron Nuvem, l’anti-héros de mon roman Le Club des Pantouflards. Je l’avais tué à la fin de ce court roman mais on peut considérer qu’il existe quand même un petit doute sur sa mort. Admettons qu’il s’en soit sorti et qu’il continue désormais de vivre dans la société déjà pas drôle où je l’avais fait évoluer en 2006. Rien ne s’est amélioré depuis, bien au contraire.
Bienvenue dans le monde merveilleux d’Effron Nuvem (Fiction, pour l'instant...)
Effron Nuvem alterne de brèves périodes de travail et de longs mois de chômage. Il est régulièrement sommé par Pôle emploi de produire des preuves de sa recherche active de travail. À l’époque où il avait affaire à l’ANPE (Agence nationale pour l’emploi), celle-ci avait mandaté des officines privées pour contraindre Effron Nuvem à rendre compte de ces démarches à la fin de chaque semaine. Désormais, des contrôles impromptus sont effectués par des inspecteurs à son domicile, au cours desquels il doit pouvoir justifier sans délais de ses démarches.
À l’occasion de ces contrôles inopinés, on s’assure qu’il n’a pas fumé dans son appartement, quitte à vérifier auprès des voisins s’ils n’ont pas senti une odeur de tabac ou aperçu des mégots dans les poubelles. Au vu de son physique grassouillet et peu musclé, on l’inscrit d’office à un stage d’initiation à la cuisine diététique. Si Effron Nuvem avait su, il n’aurait pas laissé traîner le paquet de chips qu’il a grignoté la veille en regardant la télé. Alerté par les chips, un inspecteur déniche une canette de bière remplie de mégots. Nuvem affirme qu’il a fumé lors d’une promenade en forêt et qu’il a rapporté les mégots dans cette canette pour ne pas les jeter par terre. L’inspecteur ne le croit pas mais ne peut pas établir la preuve qu’il a fumé à son domicile. Il se contente donc de lui signifier un rappel à la loi et une injonction de se faire aider pour arrêter de fumer.
Estimant que Nuvem affiche une attitude négative et réprobatrice, l’inspecteur décide d’accentuer les contrôles. Il découvre qu’Effron Nuvem n’est pas en possession de documents désormais obligatoires en complément de ses attestations d’assurance. La loi oblige en effet désormais chaque citoyen à détenir au moins une licence du club sportif de son choix. Tout manquement à cette obligation de pratiquer un sport peut entraîner la suppression de l’assurance maladie et la radiation d’office des registres des mutuelles complémentaires. Fin du contrôle.
Dans son rapport, l’inspecteur préconisera pour Effron Nuvem un stage de remotivation à la recherche d’emploi, un stage d’initiation à la cuisine diététique, une remise à niveau dans une discipline sportive de son choix avec obligation de devenir licencié de l’association ou du club concernés.
À titre facultatif en attendant les prochaines disposition légales, Effron Nuvem se verra proposer un accompagnement psychologique à l’arrêt de la cigarette, une adhésion gratuite d’un mois à un centre de remise en forme et l’attribution d’un vélo en location vente avec option d’achat pour des déplacements professionnels et des loisirs non polluants. Bien que ces dernières offres financées par la collectivité soient facultatives, il sera fortement conseillé à Effron Nuvem de les accepter pour témoigner de sa volonté positive d’intégration harmonieuse à la société et de son aspiration sincère et enthousiaste à la citoyenneté.
(À suivre... Hélas !)
02:04 Publié dans NOUVELLES DU FRONT | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : obésité, santé, hygiénisme, totalitarisme, fascisme mou, bien-être obligatoire, injonction, obligation, sport, sport obligatoire, club des pantouflards, effron nuvem, christian cottet-emard, éditions nykta, polar, collection petite nuit, emploi, travail, contrôle, stage, recherche d'emploi, remotivation, motivation, diététique, nourriture, tabac, cigarette, cigare, club sportif, licence, association sportive, cyclisme, vélo, société, citoyenneté, blog littéraire de christian cottet-emard, anticipation, fiction, polémique
20 janvier 2014
Carnet : du sucre, du tabac et de l’écriture.
Puisque les gens qui me font l’amitié de me lire me reprochent souvent de publier des livres trop minces, je finis en ce moment de composer un gros recueil de nouvelles thématiques dont la plupart sont prêtes à l’envoi. Le travail qui reste relève de l’élagage et de la disposition des textes en vue d’obtenir un ensemble cohérent et bien rythmé, ce qui constitue pour moi la tâche la plus compliquée, bien plus difficile et fastidieuse que la rédaction en elle-même.
À cette étape délicate, il se passe toujours le même phénomène étrange qui affecte mon corps et mon esprit. En premier lieu des phases d’excitation et de découragement très rapprochées les unes des autres et un besoin permanent de sucre et de tabac. Cette fois, c’est encore plus marqué que d’habitude et je suis étonné que les doses de sucre que j’absorbe au quotidien n’aient pas entravé ma réussite d’être passé à la fin du printemps dernier en quelques semaines d’un poids de 86 kilos (mon poids depuis une vingtaine d’années) à 76 kilos (75 dans les meilleurs jours de l’été) sans faire de régime particulier mais en veillant à réduire les quantités de nourriture.
L’envie de gueuletons et d’excès est cependant toujours là. Je connais bien un autre moyen naturel de maigrir mais je ne peux en parler ici. Quant au tabac, c’est de pire en pire avec une faible consolation : comme je ne fume que des cigares, je n’en arrive pas encore aux records de consommation des fumeurs de cigarettes.
Tout cela est bizarre et prouve que nous ne décidons pas de grand-chose, que nous ne maîtrisons rien et que nous ne sommes que les spectateurs le plus souvent passifs et sans cesse dépassés de nos propres existences.
Photo de sucre prise ici.
02:37 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sucre, tabac, cigare, écriture, addiction, dépendance, compensation, frustration, littérature, nouvelle, perte de poids, surcharge pondérale, régime, nourriture, cigarette, blog littéraire de christian cottet-emard, maigrir, ligne, poids, balance, kilos, taille, poignées d'amour, bedaine, brioche, embonpoint, gras, gueuleton, glouton, gourmand, friandise, havane, cuaba
21 janvier 2013
Carnet / La crise ? Quelle crise ?
Pendant que les mésanges picorent derrière la fenêtre (c'est aussi la crise pour elles lorsque la neige et le gel recouvrent leur nourriture habituelle), bribes de cette info radoteuse que radio et télé servent en soupe chaque jour réchauffée.
Le mot « crise » revient sans cesse dans cette logorrhée. La crise, quelle crise ? Une crise ça s’annonce, ça commence, ça connaît un pic, ça se calme et ça s’arrête. C’est ce qui se passait lorsque, dans mon enfance, je souffrais de crises d’eczéma. Pour les gens de ma génération qui entendent parler de La Crise depuis le premier choc pétrolier sur les économies occidentales au début des années 1970, c’est-à-dire depuis leur adolescence, il est aujourd’hui logique de poser la question : quelle crise ? En réalité, ce dont on nous rebat les oreilles depuis si longtemps n’est pas une crise mais autre chose que personne ne sait nommer. Alors nous disons la crise, « c’est la crise » , en nous souhaitant le bonjour ou en interrompant un bavardage avec un voisin pour retourner vaquer à nos occupations. Cette chose que le commun des mortels ne sait pas nommer et qu’il appelle « crise » par convention, les savants, les scientifiques, les intellectuels pourraient nous aider à la nommer. Où sont passés les intellectuels qui pourraient nous aider à nommer la crise ? Ils pourraient venir à la radio et à la télévision s’acquitter de cette mission. Mais peut-être n’ont-ils pas envie de se faire interrompre par un animateur ou un présentateur au doigt levé chaque fois qu’ils parlent plus de dix secondes ? Essayer de nommer la crise n’est déjà pas facile, encore faut-il en avoir le temps. De plus, pardon de me risquer à cette vilaine remarque élitiste, encore faut-il que le plateau et le studio soient bien fréquentés. Je me souviens d’une émission de télé au cours de laquelle l’écrivain Salman Rushdie s’est fait grossièrement interrompre puis insulter par un acteur délinquant. Du coup, Salman Rushdie a déclaré à l’époque ne plus vouloir remettre les pieds sur un plateau de télévision en France, ce qu’on peut aisément comprendre. Heureusement, il a fait au moins une exception pour François Busnel et sa Grande librairie. Qu’il essaye aussi chez Frédéric Taddeï (Ce soir ou jamais) ou chez Philippe Lefait (Des mots de minuit). Voilà au moins trois émissions où quelqu’un peut terminer une phrase. Hélas, ces programmes rescapés des derniers fastes du système EPM (*) sont diffusés à des heures tardives pendant lesquelles notre vigilance est inversement proportionnelle à notre désir d’écouter des intellectuels tenter de nommer la crise. Finalement, dans les grands médias, il ne reste ni temps ni espace à accorder à des savants et des intellectuels qui pourraient débattre pour définir cette crise qui n’en est pas une. Alors, comment venir à bout de quelque chose que nous ne savons même pas encore nommer ?
(*) Le système EPM (Et Puis Merde) consiste à diffuser des programmes de haut niveau sans se préoccuper de leur faible audience. Je ne sais plus si quelqu’un se souvient encore de cette dénomination ironique qui avait cours dans les médias il y a une trentaine d’année.
02:20 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : crise, carnet, information, presse, radio, télévision, médias, radotage, intellectuel, savant, salman rushdie, françois busnel, la grande librairie, frédéric taddeï, ce soir ou jamais, philippe lefait, des mots de minuit, blog littéraire de christian cottet-emard, mésange, oiseau, passereau, hiver, neige, gel, froidure, nourriture