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09 janvier 2022

Carnet / Vive la quille !

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Depuis quelque temps, je vois parfois des gens de ma connaissance m’aborder d’une mine contrite en me demandant si je ne suis pas trop angoissé de ce départ en retraite (amusant ce mot départ alors qu’il s’agit pour moi d’une entrée dans une période souhaitée de longue date et qu’en plus, cela fait déjà longtemps que je me suis mis en retrait d’à peu près tout). C’est tout juste s’ils ne me présentent pas des condoléances à titre préventif si j’ose dire ! 

Il est vrai que que j’ai quitté un état de citoyen fantôme pour me retrouver maintenant dans un état de non-citoyen si l’on en croit les déclarations d’un certain président d’une contrée pas marrante parsemée de panneaux Attention, école où il suffit de traverser la rue pour trouver du boulot mais heureusement, cela ne me prive pas pour l’instant de ma pension.

Il faut voir leur tête, à ceux qui se croient morts parce qu’ils ne travaillent plus, quand je leur réponds avec un sourire radieux (ce qui est rare de ma part) que je suis au comble du bonheur d’être enfin un retraité parce que le travail m’a si longtemps pourri la vie, de mon entrée dans la vie professionnelle jusqu’à cette déjà lointaine année 2007. 

Je n’ai que des mauvais souvenirs du travail, même si certains emplois m’ont été un peu moins désagréables que d’autres car de toute façon, travailler, j’y allais toujours à reculons. Je ne m’appesantirai pas sur les raisons personnelles de ce qui n’était peut-être qu’une phobie sociale de plus mais sur le contexte de mon entrée juvénile dans le monde surprenant bien que déplorable de ce travail que tout le monde déclare officiellement aimer mais auquel chacun est plus ou moins officieusement désireux d’échapper. Comment expliquer autrement le succès du Loto et de l’Euromillions ?

Sans parler de mes jobs de vacances (voyez comme l’absurde et le non-sens contaminent le langage dès qu’on parle de travail) mon premier vrai contact de longue durée avec le salariat fut marquée par l’accueil que me réservèrent dès le premier jour deux fanatiques de l’effrayant Bruno Bettelheim encore plus fous que les pensionnaires de l’institut médico-éducatif qui venait de m’embaucher. Ces deux fabricants de chômeurs commencèrent par s’asseoir sur les clauses les plus légales de mon contrat de travail en matière d’horaires et de congés sous l’œil indulgent et distrait du patron des lieux, un socialiste bon teint qui ne daigna lever une paupière que le jour où il découvrit que j’avais alerté le syndicat. À cette époque, les syndicats faisaient leur boulot, c’est-à-dire qu’ils faisaient encore peur, même aux socialistes.

C’est en quittant cette galère que je compris durant les années suivantes dans quel monde, travailleur débutant, j’avais déboulé, celui des années 80 du vingtième siècle en lesquelles je situe le début du cancer social qui s’attaqua à la société et qui arrive aujourd’hui, en ce début du 21ème siècle, en phase critique mais pas encore terminale. Il n’y eut pas grand-monde pour tirer la sonnette d’alarme à l’époque et l’on peut au moins reconnaître à Arlette Laguiller, même si l’on ne rêve pas du projet de société cauchemardesque qu’elle défendait, de l’avoir fait.

Les années 80 du siècle dernier furent le moment où les forces qui écrasent aujourd’hui nos libertés les plus élémentaires (avec le consentement massif de ceux qui sont toujours partants pour s’indigner des injustices dans les pays lointains mais qui ne pipent mot sur celles qui règlent désormais nos déplacements et nos relations sociales) se rassemblèrent pour s'attaquer aux acquis des vieilles démocraties. Ce sont ces forces qui gouvernent aujourd'hui.

Ce processus a commencé, comme toujours avec tous les totalitarismes, avec la contamination du langage courant et qui aboutit sans surprise à la nov-langue orwellienne. Les usines sont devenues des entreprises, les chômeurs des demandeurs d’emploi, les employés de ménage des techniciens de surface, les censeurs des lycées des conseillers principaux d’éducation (complétez vous-même la liste pour occuper vos soirées si vous êtes privé de sorties parce que vous n’êtes pas à jour de votre goutte-à-goutte soi-disant vaccinal). 

Dans la même dynamique, le chantage permanent au licenciement au moindre coup de fatigue, au moindre problème personnel, à la moindre erreur, s’est érigé en mode de management, quitte à provoquer des dépressions et des suicides commentés dans la presse et dans l’opinion publique déjà tout aussi molles que celles d’aujourd’hui comme de simples dégâts collatéraux ou pire encore comme d’inévitables (et donc admis) dommages de guerre puisque le travail est lui-même devenu une guerre et l’entreprise un champ de bataille.

Notons au passage que l’un des premiers sens du mot entreprise est expédition militaire. Si tu n’es pas content, il y en a trente qui attendent derrière la porte était la chanson de cette époque. Aujourd’hui, c’est un refrain, un mantra. Comme on a fait de nos amis des concurrents, on en fait en plus aujourd’hui des ennemis politiques pour Raison de Santé-Raison d'État. Même le cercle familial que n’aiment pas nos dirigeants actuels, commence à pâtir de la division, de la discorde, de la zizanie élevée en principe de gouvernance par Micron Premier et ses sbires aussi hors-sol que toxiques. 

Vinrent alors très vite les grands plans dits sociaux, avec leurs vagues successives de licenciements qu’on finit par appeler des dégraissages. Les entreprises avaient besoin de dégraisser, signifiant ainsi que leur personnel, ce mot pourtant préférable à la sordide appellation de ressource humaine (est-ce que j’ai une gueule de ressource humaine?) n’était que de la mauvaise graisse, référence à un terme diététique pour montrer que l’entreprise est un organisme sain qui doit absolument se débarrasser de sa graisse. Graisse, ressource humaine, voilà désormais les noms et adjectifs qu’on réserve au personnel (aux personnes) c’est-à-dire vous et moi. La ressource humaine fait aussi référence, par sa connotation à la masse, au minerai, à la matière première qu’il devient donc tout à fait logique de gérer et de traiter comme telle alors que c’est à des êtres humains qu’on a affaire. 

Comment dès lors s’étonner qu’on en soit là où nous en sommes aujourd’hui sous Micron Premier, président-sémaphore brassant l’air vicié de la zone grise de l’en même temps qui gère des populations comme des flux financiers au lieu de présider une nation et son peuple ?

Dans cette débandade de la démocratie, le seul objet d’étonnement pour un naïf comme moi réside dans ce qui reste des emportements vertueux de la gauche qui a certes perdu toute existence électorale à force de trahisons et de reniements (notamment sur la défense des classes sociales défavorisées et le combat contre l’offensive de l’islam) mais dont on pouvait peut-être attendre des deux générations de boomers présumés contestataires qui la composent au moins un sursaut face à la confiscation des libertés fondamentales. Que nenni ! Bernique ! Des clous! 

Tout ce qui reste de cette gauche en épluchures pour Le Monde-Télérama-Libération, ce sont quelques July-Joffrin qui font la gueule à la télé chez Pascal Praud comme si on les réveillait d’un dodo sans rototo chaque fois qu’on leur demande s’ils trouvent normal ce qui se passe dans notre pays. À force d’avoir hurlé à l’État policier quand ils étaient plus jeunes chaque fois qu’on installait une caméra de vidéo-surveillance, ils ont perdu la voix, à force d’avoir chouiné pour les damnés de la Terre à l’autre bout du monde, ils ont perdu la vue et maintenant qu’ils ont un pied dans la tombe, ils se prosternent devant Micron Premier parce qu’au fond, eux (et toute cette gauche avec) c’est ça qu’ils aiment et qu’ils veulent : se prosterner.

Je vous l’accorde, j’ai un peu digressé. Bref, tout ça pour dire que je suis content d’être à la retraite et de vivre à la campagne, loin de toute cette merde micronesque.

PS : un petit mot pour les jeunes : il y a le feu au lac. Certains vieux (pas tous, je parle de certains vieux vampires qui sont à la manœuvre aussi bien dans la population que dans les sphères de l'État) vous préparent un monde irrespirable qui vous prendra tout. C'est une nouvelle forme de guerre. Ce sont toujours les jeunes qui paient la guerre des vieux. Méfiez-vous du mauvais vent qui souffle en ce moment, allez voter et si cela ne suffit pas, faites entendre votre voix.

 

13 décembre 2018

Carnet / Le jaune lui va si mal

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Ce n'est même plus désormais une question idéologique. Ce président est un technocrate, de surcroît trop jeune pour gouverner, qui ne sait pas ce qu'est un pays et qui de ce fait est dangereux. Il devrait admettre qu'il n'a pas la stature et organiser des élections anticipées, ce qui lui permettrait une sortie honorable, d'autant que si la crise ne se calme pas, ses derniers soutiens le lâcheront.

Cet effritement de la légitimité présidentielle est inquiétant car de nombreuses factions politiques, ethniques et religieuses sont en embuscade pour semer le chaos.

Le principal mérite des gilets jaunes est d’avoir révélé l’extrême fragilité de cette légitimité. Ils ont réussi à démontrer qu’ils étaient face à un président hors-sol, incapable de comprendre la nature profonde d’une nation qui ne peut être dirigée comme une entreprise, gestionnaire falot de l’entité financière européenne et liquidateur d’une identité nationale abandonnée à l’immigration non maîtrisée et au multiculturalisme.

Mais au-delà de cette réussite protestataire des gilets jaunes se pose la question de l’avenir de leur mouvement. Sa principale faiblesse est le caractère hétéroclite de ses membres et de leurs revendications parfois contradictoires.

La contestation des gilets jaunes est certes à prendre plus au sérieux que celle, pathétique et défunte des bobos de nuit debout, mais on peut craindre qu’à terme, ces mouvances allergiques à toute forme de structuration officielle ne soient  que des auberges espagnoles du mécontentement ouvertes contre leur gré à tous les vents de l’émeute et de la sédition voulues par les extrémistes de tous bords.

Les démocraties occidentales, aussi imparfaites soient-elles, se gouvernent au centre par contrat social mais on voit bien depuis les errances de l’Union Européenne que leurs dirigeants ne peuvent maintenir ce contrat que dans le cadre d’un retour à la souveraineté nationale. Si cette volonté s’exprime massivement au prochain scrutin européen, le président hors-sol venu du monde de la banque pourra préparer, le temps de la fin de son mandat, son retour aux affaires... financières, les seules qu’il connaisse.

 

21 juin 2014

Lettre aux otages

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Mais je ne veux surtout pas vous faire la morale. Je serais mal placé pour le faire car moi aussi, comme vous, j’emploie parfois de manière impropre le mot otage, par exemple lorsque le Tour de France, comme cela se produit pour la deuxième fois dans ma commune, m’interdit de sortir de chez moi pendant une journée. Cet événement qui, vous l’aurez deviné, n’en est pas un pour moi, perturbe mes habitudes et ma liberté de circuler. Il arrive fréquemment que d’autres courses cyclistes locales confisquent quelques temps l’espace public et produisent les mêmes effets déplaisants sur ma liberté de me déplacer. J’en conçois à chaque fois une violente colère au point de me sentir pris en otage tout en sachant très bien qu’il n’en est rien pour la simple et bonne raison que je n’ai pas le canon d’une arme à feu sur la tempe avec je ne sais quel drapeau déployé derrière moi. Il serait sans doute intéressant de demander à celles et ceux à qui c’est arrivé leur avis sur ce glissement sémantique permettant désormais au mot otage de désigner des personnes aux habitudes et aux déplacements contrariés par un mouvement de grève, fût-il « impopulaire » ou « corporatiste » ainsi qu’on qualifie aujourd’hui systématiquement cette forme d’action sociale qui, doit-on hélas encore le répéter, n’est confortable ni pour les usagers ni pour les grévistes.

Il est désespérant et inquiétant de devoir rappeler de si solides évidences mais il y a une raison à cette entreprise d’effacement de la mémoire et de perversion de la langue française orchestrée par des gens qui ne sont pas vos amis, contrairement à ce qu’ils prétendent toujours avec emphase au nom du Peuple, de la Démocratie, de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité. Ces gens qui sont donc vos ennemis (n’ayons pas peur des mots même s’il n’est pas agréable d’avoir des ennemis) n’ont aucun souci égalitaire ou fraternel. Quant à la seule liberté à laquelle ils aspirent c’est celle d’entreprendre avec la condition expresse que le peuple, tout le peuple, vous et moi, y travaille avec eux mais surtout pour eux au plus bas prix possible. Cela, vous le savez bien. N’y aurait-il pas ici matière à vous sentir otages ? Non, vous ne le pensez pas, et là encore, il y a une raison pour que vous vous refusiez de le penser.

C’est que vous vous croyez du bon côté, du côté de celles et ceux qui ont encore un emploi, qui bouclent encore les fins de mois même si c’est de plus en plus dur, du côté de celles et ceux qui achètent encore des voitures (certes pas bien grosses et souvent d’occasion), du côté de celles et ceux qui ont encore un petit ou moyen grade, un petit ou moyen indice, une petite ou moyenne responsabilité et même une petite ou moyenne entreprise. Vous vous croyez donc suffisamment du bon côté, du côté de celles et ceux qui sont encore dans la course (et non pas, du moins pas encore, du mauvais côté, du côté où tant d’autres tombent chaque jour en silence et pourtant sous vos yeux comme sur un champ de bataille où l’on finit par ne plus voir qu’une chose : « je n’ai pas encore été touché, je suis encore debout, je vais y arriver, tant pis pour les autres, pour ceux qui flanchent, c’est de leur faute, ils n’avaient qu’à être meilleurs, plus forts, plus rapides, plus performants, plus motivés, plus disponibles, plus, plus, plus...). Eh bien ce n’est pas cela « être du bon côté » . C’est ce que vous vivez et à quoi vous vous adaptez en finissant même par vous persuader vous-mêmes que cela vous plaît, que cela vous épanouit, que cela vous stimule et peut même vous enrichir, mais non, vous vous trompez, vos ennemis vous trompent avec beaucoup de finesse en vous faisant croire, du haut de leurs tours d’acier et de verre, au fond de leur fauteuils moelleux, que vous êtes avec eux du bon côté, du côté des gagnants, même si c’est aux étages inférieurs et que même à votre petit niveau vous partagez les mêmes buts, comme dans une équipe sportive, tous unis et solidaires dans un noble challenge ! Foutaise ! Baratin ! Arnaque! Propagande ! Vous n’êtes pas idiots, vous savez bien au fond de votre âme qu’il n’en est rien, que c’est une illusion, un leurre, un mirage, mais vous voulez encore y croire car sinon vous craignez de ne plus vous aimer en vous regardant dans le miroir.

Pourtant, désolé de vous le répéter, vous n’êtes pas du bon côté. Je vais vous dire qui est du bon côté : celles et ceux qui peuvent solder du jour au lendemain leurs comptes en banque en dollars et partir très vite et très loin si tout va décidément trop mal. Ce n’est pas votre cas ? Alors, vous n’êtes pas du bon côté, et là, pour le coup, oui, d’une certaine manière, vous pouvez vous considérer à juste titre comme des otages.

S’il vous plaît, ne vous trompez pas d’ennemi. L’ennemi, votre véritable ennemi, c’est aussi l’ennemi des mots, celui, sans visage et pourtant bien réel, bien vivant, bien incarné, qui truque le sens des mots et qui s’ingénie avec beaucoup d’adresse à les faire glisser de leur sens propre à leur sens figuré. Exemple du mot « otage » employé au sens propre : « Les terroristes prennent les gens en otages » . Exemple du mot otage employé au sens figuré : « Les grévistes prennent les usagers en otages. » C’est efficace et facile à faire mais un peu de bons sens et un petit temps de réflexion suffisent à éventer ce vilain tour de passe-passe. On ne peut être otage que de quelque chose d’hostile, d’illégal, pas d’une grève qui est une action pacifique et légale. Une grève peut certes vous embêter et vous stresser dans vos déplacements déjà pas faciles et dans vos vies compliquées et fatigantes, nul ne le conteste.

Vous vous doutez bien que vos ennemis ont tout intérêt à ce qu’il existe des grèves qui n’embêtent pas grand monde, des manifestations « bon enfant » , des cortèges « qui se dispersent dans l’ordre » ainsi que l’écrivent les journalistes, si l’on peut appeler cela écrire. Mais quand ce n’est pas le cas, lorsque les grèves ne sont pas « bon enfant » c’est-à-dire quand elles dérangent, vos ennemis ont intérêt à s’arranger pour introduire les mots du terrorisme comme le mot otage dans la langue pacifique de la grève.

C’est alors un jeu d’enfant d’installer dans ce qui reste de « temps de cerveau disponible » l’idée que la grève est une forme de terrorisme puisqu’elle « prend les gens en otages » ! Vous souffrez dans vos boulots, vous galérez dans les transports, vous voulez vite rentrer chez vous. Ce n’est pas la grève qui vous inflige ces tourments, ce sont ceux qui œuvrent en haut lieu en permanence à son déclenchement et non pas les grévistes !

Ne vous trompez pas d’ennemi car vous pourriez le regretter ainsi que l’Histoire du vingtième siècle l’a déjà prouvé, notamment lorsque, sous prétexte de crise financière, le droit de grève a disparu pour laisser place, dans un pays qui vous est sans cesse cité en exemple aujourd’hui, au droit des grandes entreprises industrielles de guerre d’employer des esclaves en toute légalité. Le vent ou plutôt la tempête de l’Histoire est certes passé, on dit que l’Histoire ne se répète pas mais ont sait aussi qu’elle bégaye parfois. Que feraient aujourd’hui les entreprises géantes si,  comme par le passé, on leur donnait légalement le droit d’interdire toute grève et d’employer des esclaves ? J’ai ma petite idée sur la réponse. À vous de réfléchir à la vôtre lorsqu’une grève vous met en colère, ce qui est bien compréhensible mais ne doit pas pour autant vous faire oublier que vos ennemis, les vrais preneurs d’otages, veillent toujours.

Je parlais tout à l’heure des ennemis des mots, des falsificateurs de la langue, car c’est toujours par là qu’ils commencent, par le truquage puis par la confiscation de la parole. Alors oui, dites-le, la grève vous emmerde ! Mais ne dites pas qu’elle vous prend en otage car ainsi, vous faites le jeu de vos ennemis et, plus grave encore, de ceux de vos enfants.

Christian Cottet-Emard 

 

P S : au début des années 80 du vingtième siècle, alors que se mettait en place le vaste mouvement de régression sociale qui continue de monter en puissance aujourd’hui,  je me souviens d’avoir regardé une émission politique à la télévision où l’invitée était Arlette Laguiller de Lutte Ouvrière. Je ne suis pas encarté dans ce parti ni dans aucun autre, je ne suis pas un militant, je ne suis pas un ouvrier ni même un travailleur au sens où la société l’entend, mais j’ai toujours en mémoire ce qu’Arlette Laguiller a répondu à des petits jeunes (un peu plus jeune que moi à l’époque — j’avais une vingtaine d’années) qui la taquinaient sur son ton solennel (le fameux « travailleurs, travailleuses » !) en se permettant même de lui déclarer qu’ils trouvaient son discours « un peu dépassé » en cette fin du vingtième siècle où les syndicats commençaient à se laisser enfermer dans le piège du « partenariat » alors que leur rôle est d’agir en contre-pouvoir, de manière musclée s’il le faut, pour entretenir le seul équilibre qui fonctionne dans l’organisation sociale : le rapport de force. Elle avait répondu calmement à ces jeunes naïfs qu’ils étaient bien mal barrés s’ils se berçaient de l’illusion d’une société capable de s’organiser autrement et qu’elle était prête à en reparler avec eux dix ou vingt ans plus tard... Au moins sur ce plan-là, la suite lui a hélas donné raison, sans doute au-delà de ce qu’elle voyait venir.