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13 juin 2021

« Le colocataire » d'après l'œuvre de Jean-Jacques Nuel « Une saison avec Dieu » au théâtre de Cluny

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Mardi 15 juin, à 20 heures 30, sera représentée pour la première fois au théâtre de Cluny LE COLOCATAIRE, l'adaptation par Philippe Borrini du récit de Jean-Jacques Nuel Une saison avec Dieu.
Le livre sera disponible dans le hall du théâtre avant et après la représentation.

Distribution : Philippe Borrini et Annabelle Rogelet, violoncelle, guitare et chant.

Mon article à propos de Une saison avec Dieu de Jean-Jacques Nuel.

 

 

18 décembre 2020

Carnet / Qui a peur de l’autobiographie ? (3)

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Lisbonne, 2013

(Extraits de mon essai sur l’autobiographie)

Première partie à lire ici.

Deuxième partie : là.

 

Qui ne s’est pas entendu dire un jour, notamment dans l’enfance et l’adolescence : on ne te demande pas ton avis, ce n’est pas ton cas personnel qui compte, tu ne vas pas raconter ta vie... Et qui n’a pas intégré au plus profond ces injonctions au point d’y souscrire en les reformulant sans y réfléchir vraiment : je ne cherche pas à parler en mon nom, mon avis n’a pas d’intérêt, ce n’est pas que je veuille raconter ma vie mais... Mais quoi au fait ?

 

Mettre notre individualité en veilleuse est la première et principale injonction que nous recevons du groupe dès le début de notre socialisation, et cela depuis la nuit des temps. C’est l’implacable loi tribale que l’évolution de chaque civilisation module selon ses besoins et ses croyances. Même en Occident, les notions d’individu et de vie privée relèvent de la modernité. Signer une œuvre et en revendiquer la propriété est une pratique récente (quelques siècles) dans l’histoire de la création artistique occidentale.

 

C’est ainsi que nous en arrivons à l’autobiographie, cette œuvre caractéristique de la modernité dont l’auteur est la matière et qu’il signe en tant qu’individu unique et irremplaçable tout comme son expérience. L’individu, la vie privée, la signature, l’être unique et irremplaçable sont les victoires de l’Occident y compris dans sa dimension religieuse chrétienne. Pour les croyants, Dieu voit et regarde chacun ; et chacun a une relation personnelle avec Dieu, ce qui est une idée cruciale, si j’ose dire, y compris pour l’agnostique qui écrit ces lignes, parce que l’auteur de l’autobiographie réalise qu’il est digne d’être lu, regardé, que ce soit sous le regard divin ou humain.

 

Voilà qui explique une partie des réticences exprimées de nos jours plus encore qu’en d’autres époques à l’encontre de l’autobiographie, ce péché contre l’humilité, ce défi au collectif. En effet, quoi de plus orgueilleux voire de plus arrogant que de prétendre créer et plus encore, dans une certaine mesure, se créer ! Comment une telle prétention, une telle impudence, ne pourraient-elles pas heurter de front tout système de pensée et toute culture hostiles à la notion d’individualité ? De ce point de vue, l’autobiographie a eu et a toujours beaucoup d’ennemis, même au sein de la civilisation occidentale lorsque celle-ci a connu les effondrements des deux guerres mondiales mais aussi, de nos jours, dans l’Occident qui doute, ou pire, qui se prend lui-même en détestation, ce qui constitue encore une menace d’un nouvel épisode d’effondrement.

 

Mais laissons là les digressions et revenons au sujet par une anecdote.

 

J’avais il y a quelques années fait lire à une connaissance un petit ensemble d’articles sur Marguerite Duras que j’avais publié dans le Magazine des livres. Il m’avait été reproché d’employer la première personne du singulier pour décrire mon approche de Duras et de ce fait, de me mettre en scène. Ce reproche m’est parfois adressé lorsque je choisis ce type de narration dans mes chroniques, notamment dans mes collaborations pour la presse. Je me tiens souvent à ce choix parce que je trouve cet angle plus vivant que cette pseudo objectivité dont on nous rebat sans cesse les oreilles et qui n’aboutit le plus souvent qu’à des textes calibrés, lisses et bien ennuyeux.

 

Comme disait Federico Fellini, « Je suis toujours autobiographique, même si je me mets à raconter la vie d’un poisson. »

(À suivre)

© Éditions Orage-Lagune-Express

 

31 août 2020

Le jour des blouses grises

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Quand j’étais encore concerné, la rentrée des classes marquait pour moi le jour le plus noir de l’année, surtout à l’école primaire. À cette époque, au début des années soixante du vingtième siècle, les vacances d’été commençaient le 27 juin et se terminaient le 15 septembre, ce qui en faisait véritablement, selon l’expression consacrée, les grandes vacances.

Le jour de la rentrée, l’odeur des goûters que les élèves transportaient en plus du cartable dans une petite besace de plastique tressée me révulsait plus que de coutume avec son mélange d’effluves de chocolat et d’orange. Cette odeur se répandait dans le couloir obscur qui servait de hall d’entrée à l’école et qui se prolongeait par un vaste escalier donnant accès aux étages et aux salles de classe. Sur le palier du premier étage, une porte ouverte donnait sur le préau et la cour de récréation, celle-ci constituant déjà plus à mes yeux une arène qu’un lieu de détente dans cet univers masculin. Il fallait attendre l’entrée en sixième au collège situé quelques rues plus bas pour retrouver la mixité dont nous étions subitement privés après la maternelle dès l’entrée à l’école primaire. 

J’avais trois rues à traverser pour aller du domicile de mes parents jusqu’à l’école. Le trajet s’égayait deux fois par an avec l’installation de la fête foraine aux abords de l’église. En attendant de scintiller et de tourbillonner, les manèges dormaient sous leurs bâches dans le matin brumeux. En bas des marches d’un étroit passage entre des maisons et des ateliers, le dernier maréchal-ferrant faisait tinter son marteau. À la sortie du passage, l’immeuble de l’école s’élançait dans le ciel gris. Lorsque j'arrivais (assez rarement) en retard, je levais les yeux vers la lourde porte à deux battants fermée et je restais quelques instants immobile pendant que me saisissait l’idée de la fugue en direction de la forêt distante d’à peine quelques centaines de mètres au bout d’une petite route en pente. Je me demandais alors comment j’allais pouvoir manger, boire et dormir une fois les hautes silhouettes des épicéas englouties par l’énorme nuit de l’automne. J’avais souvent entendu parler de la Grande Ourse sans bien comprendre de quoi il s’agissait dans le ciel et j’écoutais en boucle mon disque de Pierre et le loup de Prokofiev, ce qui ne m’encourageait guère dans mes projets de désertion. 

J’entrouvrais donc ce que j’allais appeler des décennies plus tard dans un poème la grande porte de la fugue et je me faufilais dans le hall sombre pour rejoindre les gamins les moins pressés d’obéir à l’ordre de se mettre en rang. J’avais alors vue sur les nuques et les oreilles de tous ces marmots de mon âge, à peu près tous tondus par le même coiffeur auquel nous confiaient nos mères lorsque nos têtes se hérissaient d’un excès d’épis et de mèches rebelles. Nous gardions ainsi la posture tant que le silence n’était pas obtenu puis chaque cortège montait pesamment l’escalier pour rejoindre sa salle de classe respective sous l’œil suspicieux des maîtres. 

Le regard le plus noir, jaillissant du visage assombri d’un collier de barbe, appartenait au maître du cours préparatoire, un grand type aux épaules légèrement voûtées qui portait souvent ses vestons anthracite sans enfiler les manches, ce qui lui donnait l’allure évanescente d’un spectre à quatre bras. Cet homme très brun aux sourcils épais et noirs et au teint gris, jeune et taciturne, n’avait jamais besoin d’élever sa voix sourde pour donner des ordres. Ses larges mains recouvertes d’une peau blafarde pouvaient à tout moment s’envoler en direction de notre figure pour y atterrir en un claquement sec. Contrairement à son collègue tonnant du CM1, le maître du CP n’avait pas besoin de théâtraliser ses colères parce qu’il semblait tout entier habité par une colère permanente, froide et silencieuse qui me glaçait le sang. Ses annotations à l’encre rouge dans les marges de nos exercices exprimaient en une impeccable calligraphie l’ironie amère et  le réfrigérant dédain que lui inspiraient nos fautes d’orthographe et nos erreurs de calcul.

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J’admire encore aujourd’hui le dessin harmonieux et les parfaits pleins et déliés dont il gratifiait chaque lettre du mot imbécile délicatement déposé au porte-plume sur le mauvais papier de mes cahiers du jour. Étrangement, ce personnage effrayant détenait l’étonnant pouvoir de nous enchanter quand il racontait une histoire qu’il illustrait d’un tour de main en recouvrant le tableau noir (plus exactement vert très sombre) de somptueuses fresques foisonnantes d’animaux et de paysages composées aux craies de couleur. Cet homme cuvait-il dans l'enseignement l’amertume récurrente d’une vocation d’artiste contrariée ? C’est la question que je me pose aujourd’hui en revoyant son regard aussi ténébreux que l’eau profonde d’un lac glaciaire... À moins qu’il ne souffrît en ces années lointaines d’un vieux chagrin d’amour fossilisé qui le pétrifiait de l’intérieur.

Une fois en classe, nous devions attendre le signal du maître pour nous asseoir, non sans avoir auparavant récité collectivement le Notre Père ou le Je vous salue Marie. J’avais pour ma part une préférence pour cette Marie pleine de grâce dont l’évocation me souriait plus, dans cette poche de tristesse et d’inquiétude qu’était la classe, que l’image intimidante de ce Père énigmatique et si haut dans les Cieux. Mes prières n’en étaient pas moins sincères mais tournées vers de bien prosaïques soucis : Sainte Marie pleine de Grâce, faites que je ne sois pas interrogé au tableau, Notre Père qui êtes aux Cieux, délivrez-moi du calcul mental et faites que je ne sois pas collé jeudi.

Le reste de la matinée coulait alors au rythme du glas qui tombait du clocher tout proche de la bien mal nommée église Saint-Léger. L’après-midi était du même tonneau mais j’avais la chance de rentrer chez moi pour le déjeuner. Je sais gré à mes parents de ne m’avoir jamais imposé une seule fois de manger à la cantine. En voyant vivre les enfants aujourd’hui, j'ai conscience du luxe qui m’a été donné de connaître une enfance sans nounou, sans cantine scolaire et sans étude du soir.

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Il faut dire que mon aversion définitive pour toute forme de vie en collectivité, pour toute activité sportive et pour tout engagement associatif est née dans la cour de récréation où la seule forme de loisir admise (à part une brève partie de billes) était le jeu de ballon obligatoire auquel s’ajoutait la séance d’éducation physique, activités qui m’ont inspiré mépris et dégoût dès mon plus jeune âge.

Lorsque je repense à ces rentrées scolaires déprimantes avec leurs relents de gymnase et leurs instituteurs en blouses grises pointant leurs baguettes du haut de leurs estrades, je mesure à quel point elles ont pu déterminer quelques aspects de mes débuts dans le monde et ma vision de la vie humaine tout en sachant qu’elles m’ont aussi ouvert une autre grande porte de la fugue, non pas celle qui me donnait envie de détaler en direction d’une sombre forêt mais celle, autrement imposante, qui m’indiquait l’étrange chemin vers les horizons du récit.

 

Extrait de mon livre Prairie Journal © Éditions Orage-Lagune-Express. Droits réservés.

Pour les oyonnaxiens, ce livre est disponible en prêt à la médiathèque municipale au centre culturel Aragon.