09 juin 2023
Un extrait de CHRONIQUES OYONNAXIENNES (Tome 1, Boulevard de l'enfance), récemment paru
Le complot de la colonie de vacances
Un soir de 1969, mes parents soupèrent plus tôt que d'habitude, me confièrent à ma grand-mère Marie-Rose puis s'habillèrent pour sortir comme ils en avaient l'habitude le samedi pour aller au cinéma. Un détail me chiffonnait, nous n'étions pas samedi. J'étais au lit lorsqu'ils rentrèrent mais je ne dormais pas. À mon chevet, ils m'annoncèrent qu'ils revenaient d'une réunion d'information sur un séjour à la colonie de vacances de Confort, un village de la vallée de la Valserine situé à une trentaine de kilomètres d'Oyonnax (autant dire sur la lune), et qu'ils m'avaient inscrit pour le mois de juillet. J'en fus très contrarié car la première fois qu'ils m'en avaient parlé, j'avais répondu que je n'étais pas intéressé.
Cette colonie de vacances de garçons était à l'époque gérée par l'association Air et Montagne en liaison avec la paroisse et elle jouissait d'une excellente réputation. Aujourd'hui encore, les gens de ma génération qui ont séjourné dans la grande bâtisse au milieu des champs en haut du village en ont gardé de très bons souvenirs. Il n'en fut pas de même pour moi mais je tiens à préciser que cette colonie de vacances n'en fut pas responsable car même dans mon enfance, je n'ai jamais pu m'adapter à la vie en collectivité. Inquiets de ce trait de mon caractère, mes parents avaient voulu bien faire en espérant que je revienne de ce séjour avec un avis différent. Ce fut bien sûr le contraire.
Je pris le lieu en grippe dès que je découvris le dortoir avec ses lits en métal et la vaste salle d'eau équipée de lavabos collectifs disposés en arc de cercle. À côté de chaque robinet, un savon ovale jaune orangé fixé à une tige de métal chromé servait à se débarbouiller le matin au lever. La douche hebdomadaire se prenait dans un local en prolongement du bâtiment des cuisines et du réfectoire, dans une enfilade de cabines aux portes battantes impossibles à verrouiller. Je compris vite que l'organisation du lieu allait me priver pendant un mois de toute possibilité de m'isoler, ce qui relève pourtant pour moi d'un besoin vital. Les cris, l'agitation, l'incessante promiscuité pendant la toilette, les repas et la sieste du début d'après-midi, les activités sportives, les chocs des ballons dans la cour en ciment (un bruit que je ne supporte toujours pas à soixante-trois ans), la bousculade au moment de la distribution du goûter, tout m'exaspérait.
Le soir au coucher, je pleurais en silence en pensant au lendemain et au lendemain du lendemain, en particulier au moment d'enfiler mes souliers que je ne savais pas lacer. Je n'acceptais pas d'être éloigné de mon environnement habituel et de ma famille, ce qui m'amena par la suite à organiser ma vie de manière à ne jamais prendre le risque de revivre une telle expérience. C'est par exemple la principale raison pour laquelle j'ai refusé de faire mon service militaire. Dès que je me déplace seul loin de chez moi du fait d'une quelconque contrainte, le plus souvent professionnelle, j'éprouve vite une panique voisine de celle qui peut étreindre un nageur au moment où il réalise qu'il s'est trop éloigné du rivage.
Au bout d'une semaine, je comptais déjà les jours. Ma famille ayant toujours tout archivé, jusqu'aux cartes postales, j'ai retrouvé deux lettres que j'avais envoyées à mes parents : à Confort, je ne suis pas tellement bien. J'espère que ça ne durera pas. À la fête des parents, je serais content qu'on me ramène à Oyonnax. En relisant aujourd'hui mon écriture de gamin de dix ans, je m'aperçois que le ton de ces lettres était largement en-dessous du malaise que j'éprouvais. Organisée à la moitié de la durée du séjour, la fête des parents consistait en une kermesse d'une journée à laquelle les familles des pensionnaires étaient conviées. Quand mes parents repartirent en fin d'après-midi, je vécus un moment vraiment difficile, bien conscient qu'il me restait encore deux semaines à tirer. Dès le début de cette troisième semaine, mon humeur et mon moral étaient si détériorés que plusieurs incidents s'enchaînèrent dont deux très significatifs de mon état d'esprit.
Le premier survint à l'occasion de la réception des colis de friandises que les parents faisaient livrer à leurs enfants. Sous prétexte que certains avaient plus que d'autres, les moniteurs décidèrent de tout mettre en commun et de gérer la distribution. Comme la plupart de mes camarades, je n'avais aucune réticence à partager mais j'interprétai l'instauration de cette mesure collectiviste comme une injuste confiscation. Je m'emparai donc de mon colis et, à la faveur d'un des brefs moments où l'on nous laissait nous occuper librement dans la cour, je le dissimulai dans une anfractuosité du muret en bordure du pré situé derrière la colonie. Cette solution peu commode m'amena à la conclusion que la meilleure cachette était mon ventre. J'engloutis donc l'intégralité du contenu du colis en deux jours, ce qui eut pour effet de me couper l'appétit au réfectoire et de m'écœurer le soir au coucher, le seul avantage ayant été de me rendre provisoirement imbattable à certains concours de gargouillis et borborygmes (il y avait des pastilles effervescentes à la menthe), joutes déloyales que nous improvisions, moi-même et quelques contestataires, pour perturber la sieste obligatoire.
Deux jours plus tard, le deuxième incident se produisit dans les douches. Nous étions tous en train de nous laver avec notre berlingot de shampoing Dop dans nos cabines respectives à peine fermées par leur porte battante lorsqu'un garçon plus turbulent et taquin que les autres ouvrit en grand ma cabine alors que j'étais encore nu sous la douche. Je l'envoyai aussitôt au tapis d'un coup de pied à l'entrejambe qui le laissa au sol si plié de douleur qu'on faillit appeler le médecin. On pensa plus à le réconforter qu'à me réprimander mais on jugea plus prudent d'écourter mon séjour, ce qui me permit d'échapper à la quatrième semaine grâce à cet acte certes répréhensible mais pas prémédité. Il était temps.
Christian Cottet-Emard est né en 1959 à Montréal (Ain). Il a vécu jusqu’en 2009 à Oyonnax avant de s’installer dans un village du Haut-Jura.
Bourse d’écriture du CNL (Centre National du Livre) en 2006.
Depuis 2005, il tient un blog : http://cottetemard.hautetfort.com (ISSN 2266-3959)
Les services de presse sont à demander à : contact.ccottetemard@yahoo.fr
- ASIN : B0C1JBHVG7
- Éditeur : Orage-Lagune-Express. Diffusion : Independently published
- Langue : Français
- Broché : 164 pages
- ISBN-13 : 979-8390413326
- Poids de l'article : 236 g
- Dimensions : 12.85 x 1.07 x 19.84 cm
- Commandes : ici
- Pour les gens d'Oyonnax et de sa région, ce livre est en vente au kiosque de l'hôpital d'Oyonnax.
00:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : chroniques oyonnaxiennes, souvenirs, enfance, christian cottet-emard, orage-lagune-express, livre, autobiographie, colonie de vacances, confort, valserine, blog littéraire de christian cottet-emard, boulevard de l'enfance, parution, publication, oyonnax, ain, haut bugey, rhône alpes, france, europe, années 60, boulevard dupuy, rue michelet, peigne, ornement de coiffure, plastique, entreprise familiale, artisan, vignoble, ménétru le vignoble, château châlon, vin jaune, savagnin, franche comté, jura, bresse, racines, origines
04 octobre 2022
Cette assemblée de spectres (Préface de mon recueil d'essais littéraires EN LISANT, paru l'été dernier) :
Une question de Michel Tournier : « Est-ce bien intéressant, pour un jeune écrivain, de rencontrer ses maîtres ? Quand j’étais jeune, je n’en avais pas envie. »
Sans vouloir le reconnaître, dès que je me suis lancé dans ce que Jean Tardieu m’a décrit comme le dur chemin de la création littéraire dans la dédicace d’un de ses livres, j’avais la même opinion. J’avais pourtant élu mes maîtres mais malgré les occasions qui se présentaient à moi, quelque chose me retenait, sans doute un peu de timidité, pas mal de paresse mais aussi et surtout une sorte d’inexplicable épuisement relationnel qui me frappait déjà dans mes jeunes années et qui est arrivé aujourd’hui à son paroxysme.
Je craignais en outre de me surprendre moi-même en flagrant délit de comportement courtisan et de passer ainsi aux yeux de mes prestigieux interlocuteurs comme un quémandeur d’appuis et de recommandations auprès des éditeurs. Je restais donc le plus souvent prudemment (lâchement ?) en retrait grâce à ma carte de presse qui me servait de prétexte pour approcher les écrivains que j’admirais (les autres, ça ne compte pas) quand les occasions se présentaient. Mon attitude fut à l’origine de récurrents malentendus car mes écrivains favoris pensaient que je ne les approchais que dans le seul but de faire mon travail alors que je m’intéressais à eux et à leurs œuvres pour des raisons beaucoup plus profondes. De plus, ils étaient parfois sur leurs gardes car les écrivains ont des rapports souvent compliqués avec les journalistes, ce qui est compréhensible.
De mon côté, depuis ma prime jeunesse, je suis très attaché à la civilité et aux conventions sociales de base, ce qui me rend sans le moindre problème capable de recadrer vite fait bien fait quelqu’un qui aurait la mauvaise idée de s’en dispenser à mon égard, fût-il autant décoré de tous les prix littéraires de la Terre qu’un maréchal soviétique peut l'être de médailles. Il y eut donc quelques interviews qui tournèrent court, très court, des entretiens au cours desquels des anges semblaient s’être donné rendez-vous sur la banquise mais aussi, heureusement, quelques rares moments de grâce, notamment ma première rencontre puis celles qui suivirent avec l’exquis Jean Tardieu.
J’ai d’autres souvenirs simplement agréables ou drôles avec des écrivains. J’ai fait un bout de chemin en leur compagnie mais à bonne distance et continué parfois d’échanger quelques signes, de loin en loin, avec eux. Leurs livres dorment désormais dans ma bibliothèque toute neuve, rescapés de la dernière purge avant les prochaines car lorsque vient le soir, dans le ballet des ombres, il n’en reste et n’en restera, jusque sur les étagères d'un lecteur anonyme et insomniaque, que quelques-uns. Tel est le prix de l’écriture, cette assemblée de spectres.
Informations et commandes :
et là
- ASIN : B0B4JTSB7X
- Illustrations : photos (noir et blanc)
- Date de publication : 28 juin 2022
- Langue : Français
- Relié : 168 pages
- Couverture : rigide
- ISBN-13 : 979-8838259042
- Poids de l'article : 277 g
- Dimensions : 13.97 x 1.55 x 21.59 cm
#litterature #christiancottetemard #essai #ecrivains #presse #edition
00:36 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, en lisant, christian cottet-emard, essais, éditions orage lagune express, auteurs, écrivains, photos, témoignage, souvenirs, littérature, édition, publication, vient de paraître, duras, nuel, deson, butor, autin-grenier, le gal, cossery, pessoa, perche, giono, char, ramuz, tardieu, houellebecq, jacquier-roux, pérol
26 août 2022
Lire Giono aujourd’hui
Cet essai sur Jean Giono est extrait de mon dernier livre récemment paru, En lisant. Il s'agit d'un ensemble (illustré de photos) de dix-sept petits essais sur des écrivains rencontrés dans les livres et parfois dans la vie, préalablement publiés dans des journaux, des revues et des magazines mentionnés en annexe de cette édition.
Lire Giono aujourd'hui
Je voulais commencer en posant cette question inutilement arrogante et provocatrice ; que reste-t-il de Giono ? Non. Je préfère plus humblement : que me reste-t-il de Giono ? Je l’ai lu avec fièvre entre mes quinze et trente ans et je me suis éloigné de lui comme on prend ses distances, tout confit d’admiration, avec un maître aimé car si le feuillage bruissant d’un grand arbre inspire et rafraîchit, il n’en faut pas moins se lever et reprendre son chemin avant que l’ombre ne succède aux jeux de lumière. Comme l’adieu fut hésitant et risqué, je conclus cet exigeant et exaltant compagnonnage en gardant sous le bras le livre de Pierre Citron, cette monumentale biographie de Giono à la mesure du génie de l’homme et de l’écrivain.
Dans mes années de journalisme, l’occasion me fut donnée de transmettre au secrétariat de rédaction de l’édition de l’Ain du Progrès un portrait de Giono âgé pour illustrer un de mes articles, ce qui déclencha le coup de téléphone perplexe de ma collègue au marbre : C’est qui ce grand-père ? Il a l’air sympa mais c’est pour quel papier ?
Cette remarque s’inscrivait bien sûr dans l’incessante dégringolade du niveau culturel de cette rédaction où le poète Francis Ponge fit pourtant un passage mais il faut reconnaître que l’image de Giono dans le grand public est encore trop souvent liée à la figure du vieux sage, pipe au bec et mijotant à la provençale ses histoires au coin du feu. Ce cliché est-il un héritage des Rencontres du Contadour au cours desquelles admirateurs de l’écrivain à succès et disciples du penseur pacifiste quadragénaire venaient chercher, moins qu’un enseignement, plutôt des échanges amicaux, spontanés, en somme des éléments de réponses aux angoissantes questions de l’époque ?
Giono était bien un intellectuel, c’est-à-dire un écrivain en prise avec les préoccupations de la société de son époque sans rien céder à sa nature profonde de romancier et de poète. On voit ici que le puissant courant lyrique et poétique qui irrigue son œuvre n’a évidemment rien à voir avec le petit artisanat d’un écrivain régionaliste auquel le réduit encore une part notable de son lectorat populaire.
Dans cette œuvre polymorphe, la Provence est certes là mais pas la plus ensoleillée et surtout, pas pittoresque pour deux sous. Ce n’est pas la Provence des vacances éblouies du jeune Marcel Pagnol et de son père en gloire dans les collines mais celle de Jules, le berger dans Crésus, le film réalisé par l’écrivain lui-même qui conte l’histoire du taciturne et frugal vieux garçon au bon sens rudement mis à l’épreuve par une mauvaise farce de la fortune. À l’image de la Provence de Giono, celle que j’ai vainement cherchée dans mes tout premiers voyages parce qu’elle est pour une grande part imaginaire, le personnage de Jules interprété par Fernandel est aussi rustique que son environnement et son mode vie. Rugueux dans ses rares relations sociales, il ne s’embarrasse pas d’excessive séduction. Pour « le sentiment » , il allume la lanterne au bord de la fenêtre de sa maison isolée sur les hauteurs afin de prévenir Fine, une veuve encore jeune installée plus bas, qu’il est en appétit, tel le ver luisant envoyant à sa partenaire son signal nuptial lumineux dans l’immensité de la nuit. Pendant ce temps, le vent court les collines pelées, secoue les volets tremblants et il est un personnage au même titre que le vagabond des hautes solitudes. Ainsi en est-il, dans l’imaginaire de Giono, pour l’orage, l’eau, le champ de blé, le choléra (1), l’éclaircie, les saisons, les nuages, le beau et le mauvais temps, toute la nature sauvage habitée par l’esprit de la nature humaine mais qui n’est pas l’humain. Quand cela sert son récit, Giono, habité par les accès de grande peur qu’il disait parfois éprouver lors de ses promenades (un sentiment de panique diffuse que peut connaître tout randonneur au contact des éléments), n’hésite pas à décrire la montagne, la colline ou le village comme des créatures animales surgies de l’inquiétant bestiaire du dieu Pan en son exil terrestre. Dans ces parages de réalisme magique, une symphonie se joue. Tout instrument a sa place dans l’immense orchestre dont le chef Giono au pupitre réussit à individualiser la plus petite flûte dans le déferlement des bois, des cuivres, des cordes et des chœurs. Jean Giono, le Gustav Mahler de la littérature française ! Malgré la déclaration de l’écrivain « Je ne mets rien au-dessus de la musique » , voilà un parallèle qui peut paraître un brin saugrenu, j’en conviens, sans doute bien hasardeux aussi (Giono avait des centaines d’enregistrements dans sa discothèque, peut-être pas du Mahler) mais je dois reconnaître d’une manière très subjective qu’à chaque écoute de l’imposante Troisième symphonie hantée par les humeurs du dieu Pan, je pense à Giono et à son rapport avec la nature qui tient autant de l’émerveillement et de la vigilance que de la panique et du réconfort.
Giono ne s’est pas laissé dériver dans le courant de la célébration romantique de la nature, sans doute parce qu’il vivait à son étroit contact mais aussi, peut-être, pour une autre raison en rapport avec sa distance à l’égard des formes modernes de spiritualité et plus encore de la religion. La première guerre mondiale dans laquelle il fut jeté tout jeune poète en 1915 et dont il connut les pires épisodes l’éloigna-t-elle des dogmes religieux et des concepts philosophiques ? Elle lui ouvrit en tous cas la voie du pacifisme militant lorsque pointa la seconde, ce qui lui fut reproché par ceux qui manquent de l’imagination nécessaire pour comprendre ce que peut ressentir un jeune homme qui voit la cervelle de son camarade lui couler dessus pendant la mitraille.
En tant que jeune lecteur de Giono, ce sont ses Écrits pacifistes qui m’ont le plus marqué. En me plongeant plus tard dans ses romans, surtout ceux de la première période où foisonne l’évocation des forces de la nature mais aussi dans ceux de sa deuxième manière, moins lyrique et plus centrée sur la dynamique de l’action des personnages et de leur psychologie, j’ai constaté que tous les registres du grand œuvre de Giono fonctionnaient à plein dans Refus d’obéissance, Précisions et Recherche de la pureté parce qu’il lui fallait mobiliser toute sa puissance créatrice pour dénoncer la guerre et exprimer le dégoût viscéral qu’elle lui inspirait à l’intention des nouvelles générations. De ce fait, les Écrits pacifistes de Giono offrent au lecteur un concentré de sa vision du monde, de son style littéraire et de son éthique. C’est donc par les Écrits pacifistes que je conseillerais aux jeunes générations de lecteurs d’entrer dans l’œuvre de Giono, là où sa pensée et son élan vital se déploient de la manière la plus directe et la plus moderne, la plus actuelle aussi. Par exemple, le thème récurrent de la dénonciation et du refus de la réification de l’être humain reste aujourd’hui d’une brûlante actualité.
L’humain considéré comme matière première, Giono a vu cette infamie à l’œuvre durant les années de jeunesse que la guerre lui a volées mais il a vite compris que la modernité s’en nourrissait et continuerait longtemps de s’en nourrir, sous d’autres formes d’asservissement de l’homme, sans doute moins visibles que la guerre mais qui restent des entreprises de réduction et de destruction de l’individu et de ses libertés fondamentales. C’est la raison pour laquelle le romancier en appelle et en revient toujours, en opposition aux faux progrès, à la force de régénération et de consolation de la nature où l’individu conserve à son contact son humanité ou renoue avec elle. Là s’affirme encore l’actualité du message de Giono à destination de ses lecteurs d’aujourd’hui et de demain.
Comme il en est de tous les grands auteurs devenus des classiques, l’actualité de la pensée de Giono et de ses analyses de la modernité ne dispense pas le lecteur du vingt-et-unième siècle d’un effort de lecture. Le ton incantatoire qui résonne aussi bien dans ses fictions que dans ses textes plus théoriques peut constituer sinon un obstacle au moins une diversion. Le monde rural qu’il décrit a presque entièrement disparu. Son ode à la terre nourricière et consolatrice, déjà à la source de malentendus d’ordre politiques en raison de la récupération de ces thèmes par la propagande d’un État défait ne cherchant rien d’autre que la survie dans la compromission avec les postures d’une idéologie infectée par le culte de la force primitive et de la sacralisation brutale de l’espace vital peut contribuer à brouiller son message. Giono écologiste avant l’heure ? La piste peut s’avérer d’autant plus glissante que certains courants actuels de l’écologie politique peuvent encore puiser dans ce terreau empoisonné.
Après ses mésaventures à la fin de la seconde guerre mondiale, Giono n’a heureusement pas fait les frais d’autres interprétations et récupérations douteuses. Il n’en demeure pas moins qu’il faut vraiment le lire dans le texte, c’est-à-dire s’immerger dans son univers, dans son imaginaire et surtout dans son interprétation du monde qui est avant tout celle d’une nature poétique en déploiement dans le grand rêve éveillé du roman et, souvent, de la fiction onirique. C’est en ces courants que l’œuvre de Giono navigue dans le temps.
(1) Le Hussard sur le toit.
© Christian Cottet-Emard et éditions Orage-Lagune-Express.
Informations et commandes :
et là
#presse #edition #litterature #roman #essai #christiancottetemard #giono
00:06 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : giono, en lisant, christian cottet-emard, éditions orage lagune express, essai, littérature, jean giono, auteurs, écrivains, photos, témoignage, souvenirs, édition, publication, vient de paraître, duras, nuel, butor, autin-grenier, le gal, cossery, pessoa, perche, char, ramuz, tardieu, houellebecq, jacquier-roux, pérol