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16 juillet 2021

Mon feuilleton de l'été / 1er épisode. La télé coquine de monsieur Carlizi

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Oyonnax, boulevard Dupuy, fin des années soixante.

 

Rondouillard et trapu comme sa fourgonnette vert d’eau qui vient de se garer devant la cour de la maison, monsieur Carlizi s’extrait péniblement de l’habitacle. Il s’essuie le front avec la pochette de sa veste élimée qui traîne à l’arrière sur de lourds cartons.

 

Assis sur une grosse branche du tilleul, j’ai déjà repéré son dos emballé d’une chemise large barrée par deux épaisses bretelles croisées qui retiennent le pantalon comme elles peuvent car malgré sa corpulence, monsieur Carlizi n’a plus de fesses. Si les bretelles lâchent, j’imagine le pantalon libéré s’enfuyant à toutes jambes et traversant tout seul le boulevard, ce qui m’est quant à moi strictement interdit. Penché sur les cartons monsieur Carlizi choisit lesquels ouvrir et se retourne en me voyant courir vers lui. Ses petits yeux enchâssés dans les plis de sa face rougeaude lui donnent un air perpétuellement hilare, même quand il ne sourit pas.

 

Aujourd’hui, un demi-siècle après ses visites commerciales à l’entreprise de mon père, je dirais que le visage de monsieur Carlizi était un mélange de celui d’Eugène Ionesco et de celui de Blaise Cendrars mais à l’époque, je n’avais jamais entendu parler de ces deux écrivains, seulement d’Enid Blyton.

 

Revenons en ce début d’été et de vacances scolaires lorsqu’il m’arrivait encore de m’ennuyer. Monsieur Carlizi vient de la Suisse lointaine et mystérieuse telle que je l’imagine parce qu’elle est derrière la montagne. Je suppose que tout ce qui est derrière la montagne est étonnant, comme monsieur Carlizi et sa fourgonnette qui n’était peut-être qu’un break ; peut-être une Opel ?

 

À mes yeux, monsieur Carlizi est un personnage très important et rare. Je ne suis pas toujours là lorsqu’il vient faire l’article à mon père pour lui fourguer ses gadgets publicitaires en plastique dont il approvisionne aussi les tirettes Plaisir d’offrir des fêtes foraines qualifiées avec mépris de boîtes à sous par mes grands-parents et mon arrière-grand-mère. En échange d’une pièce, justement, les tiroirs de ces distributeurs donnent accès à des merveilles aussi variées que la chevalière à tête de mort, le pistolet miniature avec ses cartouches, le porte-clefs qu’on n’a pas choisi mais qu’on est bien content d’avoir quand même, l’harmonica en modèle si réduit qu’il ne joue que trois notes, le pétard-fusée et abondance d’autres trésors que monsieur Carlizi possède en énormes quantités et que je vois, en ce moment de sa considérable visite, à portée de ma main.

 

Hélas, pour la publicité de sa petite entreprise, mon père n’a besoin que d’objets bien austères (principalement des crayons, des stylos ou au mieux des taille-crayons en forme de chalets suisses). Ma déception n’échappe pas à monsieur Carlizi qui termine toujours sa visite en m’offrant un petit cadeau. Les dernières fois, j’ai obtenu un porte-clefs affichant le blason de la Ville d’Oyonnax, un sachet de petits soldats, un château fort miniature, la plus petite boîte à meuh du monde (si minuscule qu’on a l’impression que la vache miaule) et une figurine du chevalier Bertrand Du Guesclin.

 

Aujourd’hui, monsieur Carlizi se surpasse. Après avoir farfouillé dans les profondeurs d’un carton qu’il vient d’ouvrir spécialement, ses doigts boudinés en sortent un porte-clefs comportant un téléviseur de la taille d’une boîte d’allumettes. Pour l’utiliser, il suffit de regarder dans un œilleton en faisant tourner un disque de photos semblable à celui des visionneuses View-Master. Défilent alors plusieurs sculpturales baigneuses en bikini adoptant des postures compliquées qui nous font rire autant qu’elles nous intriguent, moi-même et les rares camarades avec lesquels je partage le secret de la détention de cet objet. J’en suis en plus auréolé d’un certain prestige !   

 

Je peux affirmer aujourd’hui que ce drôle de programme échappant à la censure familiale ouvrit au gamin que j’étais de nouveaux horizons aux reliefs aussi doux et contrastés que ceux de la Suisse, derrière la montagne, où s’en retournait la fourgonnette de monsieur Carlizi.

 

À suivre...

 

© Éditions Orage-Lagune-Express, 2021.

 

23 avril 2020

Carnet / D’une étrange attirance

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Je m’abandonnerais encore plus facilement au charme bucolique de la nature et aux rêveries poétiques qui vont avec si, lors d’une promenade, ma main pouvait s’assurer de la présence d’une arme chargée dans ma poche. La loi me l’interdit mais pour mes personnages, c’est une autre histoire ! Lorsque j’écris un roman ou une nouvelle, j’ai un vrai plaisir à me documenter sur les armes de poing dont je peux les équiper lorsqu’ils évoluent en eau trouble.

Ce goût me vient de mon enfance désormais lointaine. À cette époque, les années soixante du vingtième siècle, les magasins de jouets regorgeaient de revolvers et de pistolets si réalistes qu’ils étaient utilisés par certains truands amateurs qui avaient la mauvaise idée de s’en servir pour des braquages, le genre de projet qui peut vous envoyer à l’ombre pour autant d’années que si l’arme n’est pas factice, et c’est très bien ainsi.

Dans la propriété de mes grands-parents où, tout gosse, je passais la plus grande partie de mon temps, la cour intérieure, le jardin et le hall résonnaient plus que de raison des pétarades de mes jouets favoris. Il s’agissait de deux lourds colts en métal chromé dont on appelait les munitions, bien sûr sans projectiles, des amorces.

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Rien ne m’excitait plus que d’appuyer sur la détente dans les endroits les plus sonores, notamment ce fameux hall carrelé aux murs peints dans les années trente d’où partait le grand escalier menant au premier étage, ce qui n’était vraiment pas du goût de mon arrière-grand-mère exposée à ce vacarme à quelques mètres de son appartement.

Il échappait à mon insouciance d’enfant qu’elle était née à la fin du dix-neuvième siècle, plus exactement en 1882, et qu’elle pouvait donc prétendre, malgré sa santé de fer hélas doublée de longs épisodes dépressifs, à un repos bien mérité jusqu’à la fin de sa vie qui survint en 1978 alors que j’avais dix-neuf ans.

Elle avait trente-deux ans en 1914 et cinquante-sept en 1939 mais lorsqu’elle me parlait des deux guerres mondiales, c’était toujours sous le coup de la frayeur transmise dans la mémoire traumatique familiale par l’incarnation de la figure de l’ennemi prussien, les uhlans, même si ces cavaliers armés de lances ne furent engagés qu’au début de la guerre de 14 avant d’être envoyés comme fantassins dans les tranchées.

Contrairement à d’autres membres de ma famille qui s’en désolaient, mon arrière-grand-mère semblait indifférente à ma préférence de petit garçon pour les jeux guerriers et les armes. C’est en pensant à elle que j’ai écrit une courte nouvelle sur le thème des uhlans. Tous les récits familiaux des deux conflits mondiaux et du conflit algérien ont réussi à me transmettre le dégoût de la guerre mais, paradoxalement, pas celui des armes individuelles, en particulier les armes à feu.

 

 

22 octobre 2019

Carnet / À propos d’école

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prairie journal,souvenirs,carnet,note,journal,école,enseignement,école privée,école publique,élève,ambiance à l'école,sécurité à l'école,surveillance,blog littéraire de christian cottet-emardJe n’ai jamais été heureux à l’école. Dans mon livre Prairie journal, recueil de mes carnets de 2006 à 2016, je ne suis pas toujours tendre lorsque j’évoque mes souvenirs scolaires des années soixante, notamment ceux de l’école primaire privée où j’étais un élève médiocre et inquiet.

 

Je dois pourtant reconnaître au moins une qualité à l’école de cette époque : nous y étions en sécurité. Lorsqu’une bagarre risquait de dégénérer dans la cour de récréation (et Dieu sait la violence dont sont capables les enfants entre eux) l’intervention des enseignants ne tardait pas et les individus réellement agressifs, une minorité, étaient vite mis au pas. Ils risquaient de lourdes sanctions. Les maîtres et maîtresses avaient l’œil sur nous et personne n’avait intérêt à l’oublier.

 

L’école publique aurait-elle mieux convenu à ma nature et à mon caractère ainsi que je l’ai cru longtemps ? Rien n’est moins sûr et je crois pouvoir dire maintenant que j’en doute. Je suis en revanche certain qu’aujourd’hui, si j’étais en âge d’être un jeune père dans le contexte actuel, je ferais sans hésitation le choix du privé.