17 mars 2014
Carnet / Du lever de lune, des arbustes à papillons et d’un reflet rouge
Dimanche soir chez moi, quand j’ai vu la lune se lever à travers mes haies de frênes, j’avais l’appareil à portée de main. La photo sans réglages est le plaisir des appareils numériques. Techniquement, cela ne vaut rien mais le principal, c’est l’émotion. Qu’ai-je à faire de la technique ?
Lundi matin, j’étais obligé de descendre en ville (à une dizaine de kilomètres de mon village) pour laisser ma voiture au contrôle technique. Plutôt que d’attendre une heure à côté de l’atelier qui n’est pas loin de mon ancien quartier de résidence lorsque j’habitais cette bourgade, j’ai marché le long d’une rue parallèle à la voie ferrée, un quartier qui s’effiloche en vieilles bâtisses et en parcelles de terrain plus ou moins en friche. Une des parcelles minuscules est recouverte d’arbustes à papillons aux branchages si denses qu’ils forment des voûtes sous lesquelles le vent accroche des sachets en plastique et toutes sortes de déchets d’emballages.
C’est dans des cartons assemblés en une tanière qu’on ne peut même pas appeler une cabane (ni une tanière puisque même une véritable tanière est plus confortable) qu’un homme est mort de froid il y a au moins une dizaine d’année.
Juste avant de rester là quelques instants, interdit, face à ce non lieu où une vie humaine s’est terminée dans une absolue désolation, je venais de passer devant les panneaux d’affichage des listes pour les élections municipales. Tous ces gens nous parlent d’emploi, d’aménagement, d’équipement, d’économie, de finance, de développement, de tourisme, de « vivre ensemble ». Tout cela est bien gentil mais j’attends la liste qui parlera du type mort de froid dans les nœuds de branchages des arbres à papillons.
Rentré dans ma campagne inondée de lumière, j’ai sorti la table de jardin et déjeuné dehors. Sandwiches, un verre de vin et un cigare. Le soleil reflétait le rouge du vin sur la table de métal blanc. J’ai fait une photo sans trop savoir pourquoi. Une photo qui n’a aucun sens bien sûr, comme presque tout le reste.
23:30 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, journal, prairie journal, note, chronique, blog littéraire de christian cottet-emard, arbustes à papillons, plante rudérale, friche, quartier, ville, village, sachets, plastique, lune, photo numérique, appareils numériques, élections municipales, équipement, développement, économie, finance, tourisme, vivre ensemble, politique, table de jardin, soleil, lumière, sandwich, vin, cigare
16 mars 2014
Carnet / Du bois sec, de la grisaille et de l'espoir
(Carnet écrit dans la nuit de samedi à dimanche et modifié ce dimanche matin à 9h47).
Hier samedi après-midi, j’ai ramassé une brouette de bois sec pour allumer le feu dans la cheminée. Il n’y a qu’à se baisser pour récupérer ces branches de frêne cassées et précipitées à terre par le vent. J’aime cette idée de gratuité et de facilité dans la vie. Le culte de l’effort à tout prix et en toutes circonstances est un conditionnement qui nous est infligé dès l’enfance et qui vise non pas à nous apprendre à nous débrouiller dans l’existence mais à nous résigner au renoncement à toute joie de vivre.
Pendant que cette idée revenait une fois de plus me hanter, la grisaille a enveloppé les vallonnements où ma maison est nichée. Cette grisaille m’a fait penser à la lumière dominante des années 80 du vingtième siècle, les années de ma jeunesse. Des années grises qui étaient encore celles de la guerre froide mais surtout celles d’un retour sournois des prétendues « valeurs » de la droite dans les esprits, et cela malgré l’arrivée de la gauche au pouvoir.
En ce moment, à l’occasion des élections municipales, les candidats et leurs listes s’affichent sur les murs et des trombinoscopes s’empilent dans les boîtes aux lettres. Politique : regards éteints, sourires commerciaux, désirs à peine masqués de revanches sociales, frustrations personnelles recyclées dans la compétition, grisaille et fatigue de la petite épicerie du quotidien... Et souvent aussi l'impression que ces gens ne s'aiment pas eux-mêmes. Dans ce cas, que peuvent-ils transmettre ?
Je ressens surtout ce malaise lorsqu’il m’arrive de descendre dans la bourgade que j’ai quittée en 2009, une petite ville ouvrière qui vote presque toujours à droite et dont il serait judicieux de détourner les supports d’affichages multipliés jusqu'au délire pour y placarder des extraits du Discours de la servitude volontaire d’Etienne de la Boétie.
Pour conclure sur une note d’espoir, je lis actuellement le dernier livre de Damien Luce, La Fille de Debussy, tout récemment paru aux éditions Héloïse d’Ormesson, que j’ai reçu en service de presse. J’en parlerai bientôt dans ce blog car l’auteur, né à Paris en 1978, romancier, compositeur, pianiste, dramaturge et comédien, est très doué.
Heureusement il y a les livres et la musique. Heureusement, parce que sans cela...
01:48 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, bois sec, frêne, grisaille, espoir, politique, élections municipales, résignation, morosité, tristesse, brouette, blog littéraire de christian cottet-emard
24 février 2014
Carnet / Des compliments sincères mais nocifs
En rangeant mon bois à ma manière, c’est-à-dire en m’énervant, en jurant de la plus ordurière façon et en empilant complètement de travers, je pense à la notion de « travail bien fait » , à l’obligation de « s’appliquer » (notions positives quand elles impliquent un service mais négatives quand elles légitiment une servitude) et à deux compliments dont on m’a gratifié, l’un quand j’avais seize ans et l’autre à l’approche de ma trentaine.
Le premier compliment venait d’un ouvrier proche de la retraite avec qui j’avais travaillé dans une cartonnerie comme simple manœuvre pendant un mois pour financer mes vacances d’été. Quant au second compliment, il provenait d’une de mes anciennes professeures de français (paraît-il décédée — paix à son âme parce que je l’aimais bien) à qui j’avais envoyé mon second livre, un recueil de petites proses et de poèmes sélectionnés dans ma production de l’époque. Elle m’avait répondu par courrier. (Je suis d’une génération qui envoyait encore nouvelles et salutations à quelques professeurs spécialement appréciés. Je ne sais plus si cela se fait encore aujourd’hui).
Je me souviens d'avoir assez vite compris que ces deux compliments étaient nocifs malgré la sincérité de leurs auteurs. Dans sa lettre de remerciement, la professeure de français me félicitait pour ce que j’estimais moi-même comme la part la plus faible de mon livre, à savoir une volonté trop marquée à mon goût de m’appliquer, un souci excessif de la forme au détriment du fond. Quant à l’ouvrier qui était une connaissance de ma famille, il avait déclaré à mes proches que j’étais « un bon employé » , ce qui ne m’a pas flatté longtemps.
Ces deux compliments m’ont été adressés à une période de ma vie durant laquelle je me cherchais non seulement sur le plan social mais encore sur le plan littéraire, et aussi à un moment où résonnait en moi de manière insistante une phrase de René Char que je n’approuve pourtant que partiellement: « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience. » J’ai suffisamment médité ce constat un peu hautain de René Char pour me dire ceci : si tu continues à susciter ce genre de compliments dans ta vie comme dans tes écrits, tu es fichu, cuit, grillé. Et je continue aujourd’hui de le penser en cet instant devant mon tas de bois à l’esthétique et à l’harmonie certes approximatives mais à la stabilité au moins assurée.
Photos : autoportrait au tas de bois
Mon bois empilé à ma façon
02:09 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : compliment, compliment nocif, note, carnet, journal, bois de chauffage, tas de bois, empilement, travail bien fait, application, s'appliquer, travailler, travail, corvée, juron, colère, exaspération, impatience, quotidien, blog littéraire de christian cottet-emard, citation, rené char, livre, réflexion, poésie, littérature, service, servitude, professeur, ouvrier, employé, usine, cartonnerie, job de vacances, boulot, poème, prose, fond, forme, style, écriture, jeunesse, tourment, maturité, bilan