28 octobre 2013
Du sport comme autisme
Le sport forme des générations de crétins malfaisants.
- Léon Bloy -
Comment voulez-vous persuader un jeune homme de partir à la guerre s’il n’a jamais fait du sport auparavant ?
- Elfriede Jelinek -
N’étant pas parti cet été dans les Landes où j’ai l’habitude de me baigner dans l’océan et répugnant à la baignade dans les lacs et rivières, je fréquente désormais assez régulièrement le centre nautique. Je suis certes rebuté par la promiscuité dans les bassins avec des gens qui font un passage éclair sous la douche voire qui se dispensent de cette formalité mais si je veux nager un peu, je dois surmonter ce dégoût.
Nager n’est pas tout à fait le mot juste pour désigner mes séances de piscine. J’enchaîne mes longueurs de bassin à la paresseuse en assurant ma flottaison, la tête toujours hors de l’eau et en me propulsant lentement avec des mouvements inspirés de ceux des crapauds et des grenouilles. Sous l’œil perplexe des surveillants de baignade et parfois de mes amis qui pratiquent la brasse coulée et autres nages savantes et rapides, je ne nie pas le bénéfice que je tire de cette activité de détente que je ne conçois en aucun cas comme un sport, ce mot que je n’arrive même pas à employer sans avoir envie de me rincer la bouche si je viens à être contraint de le prononcer de vive voix.
Je n’ai appris à nager, ou plutôt à rester à la surface de l’eau, qu’à l’âge de quatorze ou quinze ans, grâce à une copine qui m’a enseigné comment ne pas couler comme une pierre. Dès l’enfance, j’avais banni l’idée même d’un ou d’une prof de natation à la voix d’adjudant me vociférant des ordres en me brandissant une perche sous le nez. Je n’ai toujours pas changé d’idée à bientôt cinquante-quatre ans. J’en parlais l’autre jour à quelqu’un à qui je demandais quel était l’intérêt d’apprendre des techniques compliquées de natation du moment qu’on était capable de flotter, à quoi on me répondit que cela permettait de nager plus vite et de le faire en s’appliquant, « comme il faut » . Passons sur la nécessité de « s’appliquer » qui m’est totalement étrangère depuis l’école maternelle, et sur l’expression « comme il faut » qui relève pour moi de la pure abstraction. Quant à la nécessité de nager plus vite, je peux à la rigueur la concevoir dans certaines circonstances (aileron de requin en vue dans la mer ou jeunes plaisantins s’essayant à un concours de crachats dans le bassin olympique de la piscine municipale).
Il est toutefois vrai que l’observation des autres nageurs renseigne sur la nature humaine, notamment sur la personnalité des plus sportifs qui nagent droit devant eux sans se soucier d’entrer en collision avec ce qu’ils considèrent comme de fâcheux obstacles à leur performance (un nageur lent, un enfant, une femme enceinte, une personne âgée pour qui, bien sûr, il y a la pataugeoire.) En zigzaguant pour éviter les chocs avec ces bellâtres, je me dis à chaque fois qu’ils incarnent cette forme d’autisme qu’est l’obsession de la technique et de la performance sportives : foncer droit devant sans regarder, illustrant ainsi ma définition personnelle du sport : aller nulle part mais le plus vite possible.
Illustration : Trois singes empruntés ici.
00:20 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : sport, natation, compétition, piscine, léon bloy, elfriede jelinek, brasse coulée, blog littéraire de christian cottet-emard, carnet, provocation, provoc, humeur, contre courant, journal, phobie, allergie, esprit de contradiction, mauvaise foi, mauvais esprit, trois singes
21 octobre 2013
Carnet du difficile retour : au secours, Fernando !
Depuis que je suis revenu de Lisbonne (contrairement à l’avion qui s’est posé sans problème, mon atterrissage est difficile) j’ai du mal à retrouver l’Ain et le Jura, ces deux départements aux confins desquels j'habite. Longtemps, le retour a fait pour moi partie des plaisirs du voyage. Ce n’est plus le cas désormais, semble-t-il.
Chaque jour, je me heurte à des détails piteux qui révèlent crûment l’atmosphère confinée de ces provinces et de ces bourgades : les routes balisées de rubans de plastique aux couleurs d’une course de vélo pendouillant des semaines après l’épreuve, les rues et les vitrines au garde à vous dans l’uniforme bicolore des tapeurs de ballon, les panneaux commémoratifs, informatifs et autres potences électroniques proliférant dans une hystérie d’affichage inversement proportionnelle à la vérité et à la qualité du discours et qui, en prime, défigure et confisque l’espace public.
Partout la communication qui remplace l’information, « la com » comme ils disent, avec ses valets payés pour énumérer sur une grotesque panoplie de drapeaux et de fanions accrochés à tous les carrefours et giratoires les qualités qu’une ville proche de chez moi n’a précisément pas...
J’en deviendrais presque nostalgique de la bonne vieille langue de bois qui vise à la rétention d’information face à celle qui lui succède aujourd’hui et qui tend non plus à retenir cette information mais au contraire à la déverser pour y ensevelir ses destinataires.
À qui éprouve un malaise diffus devant ce déballage sans trop savoir l’analyser ou en avoir le temps, un conseil : lire de la poésie, le seul antidote au lent poison de la fausse parole qui s’élabore, s’écrit, s’imprime et s’affiche sur d’onéreux supports agrémentés d’images léchées au frais du contribuable. Je ne dis pas que cela peut conduire au Grand Soir mais au moins réconforter celles et ceux qui veulent encore garder les yeux ouverts.
Au secours, Fernando !
01:37 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, journal, note, retour, voyage, blog littéraire de christian cottet-emard, langue de bois, fausse parole, propagande, poésie, antidote, communication, com, affiche, panneau, ballon, sport, épreuve, match, course cycliste, compétition, mensonge, bourrage de crâne, fernando pessoa
14 octobre 2013
Carnet : douceur du Haut-Jura
Entre ces deux photos (la montagne à peine plus haut que chez moi dimanche dernier et mes jacinthes et tulipes au printemps dernier) six petits mois, plutôt cinq si l'on prend en compte les giboulées et autres douceurs du Haut-Jura.
Cinq mois sans voir cette saleté de neige.
Pour me consoler, je pense à ce témoignage d'archives locales relatant qu'à la fin du dix-neuvième siècle, ma campagne a connu une année particulière qui a dénombré onze mois de neige sur douze en comptant les giboulées, encore heureux !
Dur retour de Lisbonne où j'étais début octobre...