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12 avril 2019

Carnet / Du voyage nocturne

 

Je me suis toujours considéré comme quelqu’un qui n’a aucun sens de l’orientation.

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Entre dix-sept et trente ans, les années où j’ai été le plus contraint de me déplacer pour des raisons professionnelles, j’en étais même arrivé à la conclusion que je souffrais de débilité spatiale. En réalité, je me perdais partout où j’allais parce que je n’avais pas envie d’y aller !

J’ai commencé à m’en rendre compte lors de mes séjours à Venise, ville où je me repère assez bien parce que je n’ai aucune urgence à le faire lorsque je m’y promène. Mais s’il est une ville dont l’organisation spatiale s’est très rapidement installée dans mon esprit, c’est bien Lisbonne. Pour oublier la neige, j’y flâne ce soir en rêve éveillé puisque j’ai l’impression de ne plus rêver en dormant. Je dors d’un sommeil léger et fatigant déserté par les grands rêves baroques desquels il m’arrivait d’émerger tout ébloui il y a très longtemps.

Ce soir, j’essaie de me conditionner pour une balade en songe à Lisbonne, pourquoi pas dans le grand parc du Principe Real que j’affectionne tout particulièrement ? J’y trouverai bien un banc pour rêvasser au son d’une Gnossienne de Satie (en hommage au grand Aldo Ciccolini tout récemment disparu) extraite de ma discothèque portative, celle que j’ai dans la tête et qui me rend distrait de tout ce qui me fatigue en ce moment d’être français.

Sur le soir, je pourrais descendre direction Restauradores puis remonter vers mon magasin de cigares, juste derrière la statue de Pessoa attablé au très touristique café A Brasileira.

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J’aurais d’ailleurs croisé le poète quelques mètres plus bas au milieu des passants car à Lisbonne, il est partout. La dernière ville littéraire d’Europe, j’ai désormais la chance d’y aller quand je veux. Que mon sommeil lent comme un vieil electrico m’y conduise cette nuit !

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Photos © Christian Cottet-Emard,

(Extrait de Prairie Journal (carnets 2006 - 2016)

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Pour Oyonnax et sa région : disponible à la librairie Mille feuilles d'Oyonnax et à la Maison de la presse de Nantua (Ain)

Un article de Didier Pobel :

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10 avril 2019

Carnet / Le point où j’en suis

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À Barcelonne

Lorsque j’étais lycéen, je tenais déjà des carnets dans lesquels j’avais l’habitude de commencer chaque année avec une note parfois intitulée Le point où j’en suis. J’avais emprunté ce titre à André Pieyre de Mandiargues, un poète que je lisais souvent à la fin des années soixante-dix. Ces notes étaient beaucoup plus triviales que les poèmes du recueil de Mandiargues écrits selon lui dans une époque de solitude et de manque, où se faisait sentir une forte nostalgie de tendresse, accompagnée d’un humour assez noir.

Je me croyais durant ces années dans un état d’esprit semblable mais je comprends aujourd’hui qu’il s’agissait plus de désir de vie, d’élan vital, que de manque ou de nostalgie, celle-ci étant généralement étrangère à l’adolescence. Quant au manque, le lycéen que j’étais n’a pas mis longtemps à comprendre comme tout le monde qu’il était le frère du désir et que les deux étaient en quelque sorte des jumeaux condamnés à se tourner éternellement le dos sans jamais pouvoir se séparer.

Plus de quarante ans après, je lis moins la poésie d’André Pieyre de Mandiargues même si je peux encore parfois m’abreuver à la source claire de L’Âge de craie et il arrive même que certains textes que j’avais marqués en cornant une page me soient devenus hermétiques comme si une porte subitement ouverte sur un paysage de lumineux mystères s’était refermée en silence.

Il est vrai que pour ma découverte de la littérature et de la poésie, en jeune homme pressé j’avais choisi l’entrée du merveilleux, la plus commode mais pas toujours la plus fiable. Ce merveilleux, j’étais si déterminé à le trouver qu’effectivement je le trouvai et qu’il en devint encombrant au point que j’eusse à m’en défaire d’une grande part.

Tout cela s’agitait dans la tête d’un jeune homme de la deuxième moitié du vingtième siècle qui, pour tenter de contrôler la fièvre de cet âge impatient, tentait de fixer le point où il en était sur la première page du carnet de l’an nouveau. Où en suis-je donc quatre décennies plus tard en ce début 2019 ?

Depuis quelques années, je constate que mon rapport à l’écriture et à la publication de mes livres s’est agréablement simplifié. Je me suis longtemps posé tout un fatras de questions souvent dérangeantes à ce sujet mais ce n’est désormais plus le cas.

Il m’arrive certes encore d’éprouver un certain vertige en parcourant les rayonnages des librairies où tant d’ouvrages parus à l’enseigne de grandes et petites maisons ne font que passer avant de partir chez les soldeurs ou au pilon. Cette sensation désagréable me perturbe maintenant beaucoup moins qu’à l’époque où il fallait toute une logistique pour que la nouvelle de la parution d’un livre arrive jusqu’aux lecteurs.

Nous avons aujourd’hui basculé dans un nouveau monde que j’apprécie, un monde dans lequel le plus confidentiel des ouvrages écrit par l’auteur le moins communiquant qui soit est toujours disponible quelque part en quelques clics sur un écran d’ordinateur ou de téléphone. Lorsque paraît un de mes livres, les réactions et les critiques positives ou négatives me parviennent par le même canal, ce qui est plutôt reposant.

Sur le plan de l’écriture, jamais je ne me suis senti aussi libre. Si un texte ne trouve pas son chemin dans l’édition papier, je le publie sur internet. Si je constate que j’ai été mal compris, j’en conclus que je me suis mal exprimé et je corrige si j’en ai envie ou si je le juge utile.

Depuis de nombreuses années, j’ai deux éditeurs qui sont aussi des amis sûrs. Je peux également prendre à tout moment la décision d’éditer moi-même certains textes si je le souhaite (seul bémol sur ce point, la procédure technique un peu trop compliquée pour moi mais au vu des progrès fulgurants réalisés en quelques années en ce domaine, on va sans doute vers encore plus de simplification). Voilà en tous cas qui me console de vivre dans des temps qui ne me conviennent pas toujours sur bien d’autres plans mais ceci est une autre histoire !

 

05 avril 2019

Carnet / Des mathématiques et des papillons de nuit

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C’est exactement ce que j’ai pensé au salon du livre de Nantua où je suis passé en touriste voici quelques semaines et où le premier stand sur lequel je suis tombé était celui d’une auteure d’ouvrages proposant une alternative à l’approche et à l’enseignement des mathématiques. Je précise tout de suite qu’il s’agissait d’une personne très sympathique et sincère dans sa volonté bienveillante de transmettre l’intérêt et le goût pour cette discipline indispensable et déterminante dans les progrès de l’humanité. On peut être conscient de l’importance et des bienfaits des mathématiques sans rien y comprendre, ce qui est hélas mon cas.

Mon incapacité totale et peut-être pathologique à saisir et à pratiquer le raisonnement mathématique me fit donc décliner la proposition d’un auteur du salon qui voulait me présenter la dame derrière son stand mais celle-ci m’entendit lui répondre que les maths avaient détruit ma vie, ce qui ne manqua pas de l’encourager à s’adresser à moi pour me présenter son travail. Puisque nous étions de fait mis en relation, je m’empressai de nuancer mon propos : ce ne sont pas les mathématiques qui ont détruit ma vie mais leur utilisation comme outil de sélection.

Dans le système scolaire, point de salut pour qui reste en carafe en maths dès le début ainsi que cela se produisit pour moi. Il en eût été tout autrement si j’avais été juste capable d’atteindre un niveau ne serait-ce que médiocre, quitte à me maintenir un peu en dessous de la moyenne mais je ne pus même pas atteindre cet objectif, ce qui me colla l’étiquette de cancre au milieu du front et me ferma toutes les portes. Les conséquences furent bien sûr désastreuses.

La vie m’offrit heureusement d’autres opportunités et un certain nombre de coups de chance qui me firent échapper au pire mais il est aussi vrai que sans le soutien permanent de ma famille et de mes proches, je ne sais que trop ce que je serais devenu dans cette spirale de l’échec. Malgré la vie agréable que je mène avec ce handicap, une vie bien plus confortable que celle à laquelle auraient pu prétendre plusieurs premiers de la classe qui n’avaient aucun problème en maths comme dans toutes les autres disciplines, je n’ai jamais pu oublier ce sentiment terrible, cette sensation de danger et cette panique qui s’abattent lorsqu’on entend les portes se fermer et les verrous claquer les uns après les autres.

J’ai pourtant le souvenir d’un résultat en maths, au lycée, mais cette petite victoire est marquée du sceau de l’absurde. Je ne saurais dire par quel maléfice, j’avais abouti à un résultat juste avec un raisonnement faux (il paraît que c’est possible en maths) mais comme c’est le raisonnement qui compte, je ne m’en trouvai pas plus avancé, ce qui finit de me dégoûter de cette masturbation intellectuelle.

Je ne fus donc pas un client pour la dame qui vendait ses petits manuels aux couvertures ludiques et colorées. Pour m’en excuser mais aussi pour prendre la fuite, je ne trouvai rien d’autre à lui dire qu’il était désormais pour moi trop tard pour un nouveau rendez-vous avec les maths. Après avoir passé une grande partie de ma vie à élaborer d’incessantes stratégies d’évitement, de contournement et de dérobades face au récurrent obstacle qu’ont été pour moi les maths, et ceci jusque dans les aspects les plus inattendus et les plus triviaux de mon existence, je ne vais pas entamer une psychanalyse de vingt ans pour me retrouver un jour, au bout du rouleau, à comprendre pourquoi je n’ai rien compris, foi de papillon de nuit !

 

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