20 février 2021
Carnet / Par la petite porte
Il ne m’est jamais arrivé de ma vie de me lever le matin et de me dire : aujourd’hui, je vais écrire un poème. J’y songe en parcourant les deux volumes de poésie (du moins étiquetés ainsi, même s’il s’agit peut-être d’autre chose, peu importe) que j’ai publiés ces deux dernières années, Poèmes du bois de chauffage et Aux grands jours. L’ensemble représente à peu près trois-cent-soixante pages et il reste tout ce que je n’ai pas publié, soit à ce jour l’équivalent d’un troisième volume, mais ce n’est pas ma priorité.
En revanche, je me lève très souvent dans cet état d’esprit particulier qui annonce l’écriture d’un poème ou de ce que l’on continue de nommer ainsi. Décrire cet état de conscience n’est pas simple.
Ce serait comme marcher tranquillement dans une rue monotone en longeant des immeubles et des murs puis, subitement, s’arrêter au seuil d’une petite porte à peine entrouverte. Le plus souvent, c’est une porte en bois à la peinture délavée. Lorsqu’on la pousse, elle n’ouvre pas sur un intérieur mais sur un extérieur, parfois un jardin, parfois une plage. Une fois, la porte ouvrait sur la berge d’une rivière. Il arrive que l’ouverture déclenche une petite brise ou un peu de vent, un courant d’air frais ou un souffle tiède et parfumé comme celui du fœhn.
Qu’on franchisse ou non le seuil, on sent que le poème, lui, est entré en soi et qu’un jour il sera peut-être écrit, mais en ce qui me concerne, seulement si cela me chante.
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17 février 2021
La sensation de la couleur vert d'eau
La sensation de la couleur vert d’eau revient certaines nuits très douces en février
quand la terre porte déjà de jeunes pousses encore enfouies ou à peine sorties car viendront d’autres neiges d’autres gelées
Mais la splendeur végétale se signale au poète lassé de l’élégie et à l’enfant las du sommeil par cet insaisissable parfum
Tu as retrouvé la sensation de la couleur vert d’eau dans des tableaux d’herbe et de rivières à l’exposition Kandinsky Chagall Malevitch et l’âme russe vue à Vérone en novembre 2004
Cette nuit au seuil de la maison la sensation de la couleur vert d’eau t’arrive doucement des tilleuls
Tu la respires et tu t’endors bien dans ce demi-songe végétal
La sensation de la couleur vert d’eau est une soif non pas fiévreuse mais sereine toute prête à être rassasiée
promesse d’un vaste et tendre paysage qui entre en toi et te fait sien
Extrait de La vie au bord, deuxième partie de mon recueil Poèmes du bois de chauffage, éditions germes de barbarie.
Photo M-CC.
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15 février 2021
Poésie rétive
Je ne sais plus qui a dit : « la seule volonté d'écrire un poème tue le poème » . C'est pour cela que je reviens toujours à la poésie. La poésie est rétive. Vous ne la conduisez pas, elle vous conduit. Elle résiste à toute volonté, à tout projet, à toute stratégie, à tout commerce, à tout succès, à tout échec. Avoir écrit un poème (non pas parce que vous en avez décidé ainsi mais parce qu'il en a été ainsi) avec le sentiment de s'être approché de ce que vous vouliez dire, est une merveilleuse aventure, une des dernières possibles. Peu importe qu'il ne soit pas reconnu comme poésie par quelqu'un d'autre. Que le poème soit estimé, méprisé ou dédaigné, que quelqu'un aime ou n'aime pas votre poème n'a aucune importance. Une époque le jugera mauvais, une autre bon. Qu'importe, vous ne serez plus là pour vous préoccuper de ce qu'est devenu votre poème, de sa fortune ou de son infortune. Il aura roulé comme un caillou dans la rivière et fera de toute façon désormais partie de ce que l'absurde et grand mécano de l'univers aura construit.
Photo © Christian Cottet-Emard
Extrait de mon livre Prairie journal (carnets), éditions Orage-Lagune-Express.
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