14 novembre 2014
Un vent tiède gonflait comme une voile le rideau translucide de la bibliothèque
Adossé au fauteuil assorti à son bureau massif, Andrade, seul dans la multitude des livres, s'abîmait dans la contemplation des jeux de l'air dans le tissu. Parfois, il allumait un cigare, juste pour le plaisir de prolonger ce spectacle grâce aux volutes qui s'étiraient mollement vers la fenêtre. La même pensée revint le visiter : s'il allait vivre jusqu'à quatre-vingts ans, il avait déjà parcouru un peu plus de la moitié du chemin. Mais bien sûr, rien ne permettait d'affirmer qu'il atteindrait une telle longévité, ce qui le conforta une fois de plus dans la certitude que ce qu'il avait désormais de mieux à faire ne consistait en rien d'autre qu'à se consacrer à l'observation de l'air.
(Extrait de mon prochain recueil de nouvelles. Droits réservés. © CLJ pour cette version, décembre 2014)
Peinture : Leon Wyczolkowski
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12 novembre 2014
Jean-Jacques Nuel et Roland Tixier en lecture à Lyon ce jeudi
18:13 Publié dans Agenda/Rendez-vous | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean-jacques nuel, roland tixier, vincent tixier, littérature, poésie, lecture, éditions le pont du change, lyon, rhône, france, europe, rhône-alpes, blog littéraire de christian cottet-emard, publication, galerie jean-louis mandon, courts métrages, le mouton noir, saisons régulières
11 novembre 2014
Carnet / Du petit matin, du 11 novembre, de France Musique, des nouvelles Leçons de Morale et de la vie privée
Au lever à six heures, ma tête comme un bureau en désordre.
Pas besoin de gratter le pare-brise de la deuxième voiture qui couche dehors, le vent du sud a fait cadeau d’une nuit douce et humide. Effluves d’épicéa trempé, de mousse et de champignon. La chatte Linette se jette dans la ronde des dernières feuilles balayées par les courants d’air. Elle file se cacher dès que j’allume les phares.
La route de Viry désormais risquée même à cette heure matinale (chauffards qui se croient tout seuls — c’est un pléonasme, j’en conviens — traversée d’animaux dérangés par la chasse, éboulements). Pain et croissants dans le halo jaune et bleuté d’une boulangerie du centre d’Oyonnax, en face du monument aux morts. Dans un quart d’heure, le stationnement sera interdit dans ce secteur pour cause de commémoration. Content de remonter chez moi à Viry avant le début de ce cirque.
J’ai une pensée pour mes lamentables années de presse locale au cours desquelles, je l’avoue, j’ai lâchement refilé les commémorations à des pigistes. Je ne suis pas contre les commémorations car oublier tous ces gamins à qui on a tout pris, en premier lieu leur vie et leur jeunesse, leurs joies, leurs amours, ce serait les tuer une seconde fois. Mais je pense que ces cérémonies devraient marquer des jours de deuil pour sortir à tout prix la guerre des esprits et non pas se répandre en ces kermesses radoteuses et sans recul historique.
Au lieu des bannières tricolores pavoisant les villes, ce sont des drapeaux noirs qu’on devrait déployer, pour que plus personne ne puisse oublier que dans cette immense escroquerie de la guerre, les vies de millions d’hommes ont été fauchées par les munitions fabriquées par leurs proches, leurs épouses, leurs collègues non mobilisés, leurs anciens chefs trop vieux pour partir à l’abattoir mais à la manœuvre dans les usines. Pendant que les chanteurs de variétoche à deux balles de l’époque voire les compositeurs officiels « contribuent à l’effort de guerre » par des chansons et des musiques de propagande, les affaires continuent. Pour les patrons d’industrie lourde, elles ne sont même jamais si florissantes. Voilà pourquoi vous mourrez, pauvres gars envoyés au front à coup de bottes de gendarmes dans le derrière. Même le vieux Anatole France l’a écrit : « On croit mourir pour la Patrie, on meurt pour des industriels. »
Aujourd’hui encore, après avoir connu l’après soixante-huit où les commémorations tricolores énervaient presque tout le monde, je suis déçu et inquiet du retour de ces effets de manche patriotiques, de cette façon de parler de la guerre au moyen de vieux clichés qu’on croyait définitivement ringardisés. Bien sûr, les journalistes, cette corporation que je n’aime décidément pas, sont les premiers à resservir cette soupe en osant encore parler de « morts au champ d’honneur » ainsi que je l’entends encore ce matin sur France Musique.
Ah, je rêve d’une vraie radio musicale classique, sans parole, qui ne m’obligerait pas à éteindre le poste chaque fois qu’un énième bulletin « d’information » me rabâche ad nauseam, pendant que je bois mon café, le sempiternel conflit israélo-palestinien, le fanatisme religieux et les turpitudes des financiers et de leurs désormais valets, les élus du peuple. Je ne veux rien entendre d’autre que Bach en prenant mon petit déjeuner ! Si je m’intéressais au reste, j’irais sur France Inter et non pas sur France Musique !
De nos jours qui se paient de mots, j’entends déjà les objections et les reproches automatiquement suscités par mes propos. Depuis le temps qu’on me les ressort, ces mots de la Nouvelle Morale, du Nouvel Ordre établi, de la Moderne Bonne Conscience : l’engagement, le militantisme, la conviction, le bénévolat...
Je sais que c’est mal porté en ce moment, mais ma révolte n’est pas politique. Elle est tournée vers ce qui rétrécit, limite, réduit dans la vie personnelle. Le collectif m’ennuie, me stresse. Je ne m’y épanouis pas, je ne peux y tenir ma place. Pour moi, la plus belle invention de l’Occident est la notion d’individu et de vie privée. Cela peut paraître léger, immature de ma part mais l’engagement politique ou social m’est totalement étranger. Il y a déjà assez à faire dans le cercle privé.
Je connais trop de gens qui se dévouent corps et âme pour des causes à l’autre bout de la planète et qui se désintéressent de leurs voisins voire de leurs proches, trop de gens qui ont une noble empathie pour tout le monde en général mais pour personne en particulier, et j’ai un dégoût spécial pour ce genre d’attitude. Telle est ma nature profonde et irréductible, quel que soit le prix à payer — et j’ai déjà beaucoup payé, et je paye encore pour cela. Je ne m’intéresserai à la politique que lorsque plus personne ne sera SDF et que sera institué un revenu minimum universel, seul garant de la paix sociale. Puisque nous vivons dans un monde où tout s’achète et se paye, achetons et payons la paix ! Ce sera toujours moins cher que si nous continuons ainsi...
Photos : - ma fidèle cafetière.
- Dans le sombre recoin d'une église de Lisbonne. (Photos © Christian Cottet-Emard)
13:55 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : carnet, note, journal, matin, petit matin, cafetière, croissant, pain, boulangerie, prairie-journal, écriture de soi, autobiographie, journal intime, 11 novembre, morale, france musique, christian cottet-emard, radio, littérature, viry, jura, franche comté, oyonnax, ain, rhône-alpes, france, europe, commémoration, centenaire 14-18, sdf, ordre établi, nouveau conformisme, engagement, vie privée, paix, sécurité, paix sociale, occident, individu, notion d'individu, anatole france, js bach, café, petit déjeuner