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17 août 2017

Carnet / Notes gigognes à propos de Camões, Pessoa, Tabucchi, Char

matriochka.jpgMes lectures de cet été un peu apaisé par rapport aux trois dernières années sont centrées sur une étude croisée, tressée devrais-je dire, des Lusiades de Luis Vaz de Camões et de Message de Fernando Pessoa. C’est un peu comme se promener dans deux cathédrales. Il faut du temps et de la curiosité. Je crois qu’il faut aussi ressentir ce que j’appellerais l’âme atlantique. Les Lusiades et Message sont à mes yeux deux grandes épopées occidentales.

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Je conseille la lecture en français du grand œuvre de Camões dans l’édition Poésie / Gallimard avec la traduction et la préface de Hyacinthe Garin et une préface de Vasco Graça Moura. La traduction en alexandrins rimés permet une lecture aisée.

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Pour me reposer entre mes régulières pérégrinations dans les deux cathédrales de Camões et de Pessoa, j’ai lu Pour Isabel d’Antonio Tabucchi. Ce grand écrivain italien qui s’est installé longtemps à Lisbonne où il est décédé en 2012 occupe une place à part dans ma bibliothèque qui contient presque tous ses livres. Il est le seul auteur que je ne connais pas personnellement à qui j’ai réservé un tel traitement. Paradoxalement, c’est son roman le plus connu, Nocturne indien, qui fit son succès et qui pourtant me tomba des mains. Presque tous ses autres livres m’ont fasciné.

Le rôle de Tabucchi dans la diffusion de l’œuvre de Pessoa en France est considérable. Je lui dois une grande part de mon approche patiente et progressive des labyrinthes du poète aux hétéronymes.

Un détail amusant : moi qui utilise n’importe quel papier qui traîne comme marque-page, j’en ai inséré sans le faire exprès un très beau dans Pour Isabel. Il s’agit d’un des marque-page reliés en carnet que j’avais acheté à Porto lors d’une visite de la célèbre et extraordinaire librairie Lello où furent tournées des scènes de Harry Potter. Au verso, figure un portrait dessiné et stylisé de Fernando Pessoa !

Dans son roman à la publication posthume Pour Isabel sous-titré Un mandala, Antonio Tabucchi fait dire à un des personnages évoquant des années de lycée à l’époque où le Portugal avait encore des colonies : on y divisait en morceaux stupides le poème national Les Lusiades, qui est un beau poème de mer, mais qui était étudié comme s’il s’agissait d’une bataille africaine.

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Plus je lis et relis les Lusiades de Luís Vaz de Camões publiées en 1572 et Message de Fernando Pessoa sorti en 1934, plus je mesure la puissance du lien entre ces deux épopées. Ces deux œuvres débordent largement du cadre national portugais. Pour le lecteur moyen du 21ème siècle que je suis, elles irriguent ma réflexion sur la renaissance de l’idéal occidental que j’appelle de mes vœux. À plus de trois siècles et demi de distance, les Lusiades et Message sont des balises, des repères dans ce cheminement vers le nécessaire renouveau de l’Occident.

 

Avant d’entrer ébloui et stupéfait dans l’univers de Pessoa, je ne trouvais pas grand-monde à placer à la hauteur de René Char, tout au moins dans les aspects solaires de son œuvre.

Il tient certes toujours une place privilégiée dans mon Panthéon mais comparé à Pessoa, je lui trouve désormais parfois à ma grande honte des allures de poète local.

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Je n’en crois pas pour autant faire insulte à la mémoire du poète de la Sorgue, d'autant que j'ai eu plaisir à écrire sur lui, car les poètes, justement, ne sont pas destinés à être comparés. Ils sont des mondes entre lesquels nous, communs des mortels, choisissons d’établir ou non des passerelles.

 

 

 

 

 

 

19 mai 2017

Littérature et photo / SOLEIL SE MIRE DANS L'EAU de Philippe Thireau et Florence Daudé

L'écrivain Philippe Thireau, mon voisin du village de Choux, Jura, et la photographe Florence Daudé viennent de publier Soleil se mire dans l'eau (Z4 éditions). Une séance de dédicace aura lieu ce samedi 20 mai 2017 de 1Oh à 12h à la librairie Buffet à Oyonnax (Ain).

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(Photo Voix du Jura)

 

27 janvier 2017

Risques et périls de Bernard Deson

Une anthologie personnelle de quarante ans de création poétique (éditions Orage-lagune-Express)

Lorsque mon chemin rencontra celui de Bernard Deson en 1981, je remarquai tout de suite que son univers poétique était déjà complètement en place, ce qui n’est pas si courant pour un auteur d’une vingtaine d’années.

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Cette cohérence qui indique le degré de maturité d’une œuvre se mesure très simplement, quand le fond et la forme coïncident au point de révéler la vision caractéristique d’un écrivain, d’un poète, sa présence individuelle au monde, indissociable de sa personnalité unique.

Bernard Deson n’en pratiquait pas moins le jeu des identités multiples parfois à son corps défendant lorsque je fis sa connaissance et il renouvelle l’exercice dans la section intitulée Hôtel Continental de son anthologie sous les pseudonymes de Trevor Rutherford, Tomàs Cervantes et Nuno Seabra « pour développer trois univers poétiques différents » explique-t-il en prologue. Prouesse supplémentaire, les textes de cette section furent traduits en français par l’auteur qui les écrivit directement en Anglais, Espagnol et Portugais !

Bien avant ces expériences de 2003, la plume du jeune poète du tout début des années quatre-vingt était déjà ciselée dans un alliage de métaux assez solide pour courir dans les pages de revues importantes de l’époque, Jungle et Vagabondages pour ne citer que les plus opposées mais d’autres aussi, plus modestes ou plus éphémères comme il était de mise en cette période de foisonnement de la presse littéraire alternative entre le milieu des années soixante-dix et le net recul dans la décennie quatre-vingt-dix.

Peu de poètes issus de cette mouvance sortirent indemnes du champ de ruines qui lui succéda et ce furent paradoxalement les plus mal lotis, ceux qui furent occultés parce que trop éloignés des réseaux d’influence et rétifs aux embrigadements, qui donnent de la voix aujourd’hui grâce aux nouveaux outils et circuits de diffusion de la littérature.

Bernard Deson est de ceux-là. Son œuvre a éclos dans des carnets fiévreusement remplis entre deux trains, au hasard des pauses rapides à quelques terrasses de café, dans la solitude des déplacements professionnels et dans les parenthèses de vacances touristiques ou de séjours entre amis.

« Depuis l’enfance il s’est mis en quête d’un Eden poétique dans l’enfer d’une vie prosaïque » note le narrateur à propos de Juan, le personnage de roman égaré dans le dédale des poèmes. En somme, la double vie de l’écrivain qui est plus que jamais la norme, le déterminisme de l’auteur qui n’a pas pu ou pas voulu se résoudre à s’exclure totalement de la société ou céder à la facilité du repli dans sa campagne.

Bernard Deson n’aime pas choisir. Il voudrait tout vivre et sa poésie en témoigne parfois avec fureur, parfois avec nostalgie ou désespoir.

Enraciné dans un terroir viticole dont il connaît les gestes et les secrets, le Bergeracois, il sait aussi se fondre dans le mouvement et l’anonymat des grandes cités, devenir le passager clandestin d’improbables voyages, l’ombre errante des squares et des parcs où il recueille le message mythologique dans le regard pétrifié des statues. Souvent, ces figures de marbre et de bronze s’animent et font irruption dans la modernité urbaine. Les rêves cinématographiques de Jean Cocteau affleurent dans cette écriture exigeante et familière. Le rythme est soutenu, les changements de focale constants.

Bernard Deson ne tourne jamais le dos aux grands thèmes poétiques, l’amour, la femme, le désir, le paysage, le rêve, mais il en insert les fragments dans un kaléidoscope d’où sortent des collages, des cadavres exquis et des images détournées attestant de cette écriture visuelle qui est aussi sa marque.             

L’anthologie personnelle intitulée Risques et périls, composée et illustrée par l’auteur, qui vient de paraître sous le label d’Orage-Lagune-Express exprime bien toutes ces tensions mais sa principale caractéristique est la cohérence de l’écriture poétique, même lorsque celle-ci investit la prose ainsi qu’on le constate dans la dernière partie de ce fort recueil, Le Journal de Juan Escobar. Double de l’auteur, « Juan doute qu’un jour il devienne un véritable écrivain, homme de métier, mercenaire appliqué parce qu’il a choisi de prendre son temps, de n’écrire qu’en cas de légitime défense. »

En quarante ans de création poétique, cette légitime défense qu’est parfois l’écriture face à l’aventure dangereuse de la vie s’est exercée dans la publication de recueils et de plaquettes rassemblés dans cette édition en seize sections datées de 1974 à 2014. Toutes affichent des titres annonçant la puissance et la variété du monde intérieur de Bernard Deson : le Pôle immobile, La grande sorcière noire, Anatomie du vol d’un épervier, Un paquet de gitanes vides, Le Logis des voyelles, La mort du Minotaure... 

L’anthologie s’ouvre sur Les Textes fétiches, notamment ce juvénile et pourtant si mature Vol plané (herbe des terres arides) qui pose les fondations des monuments à venir. Je n’emploie pas ce terme architectural par hasard car la fluidité de l’écriture est chez Bernard Deson une charpente et non un simple ornement.

Pierre Tesquet, directeur des Cahiers Joseph Delteil, préfacier de cette anthologie, écrit d’ailleurs à propos d’un ensemble daté de 1986 : « Il existe dans tout le livre une tendance à l’élévation que la présence, ici d’un paysage, là d’un écheveau de sensations, ailleurs de la jeunesse et de l’amour, préserve de tomber dans une excessive cérébralité. »

On touche ici à une dimension essentielle de l’univers poétique de Bernard Deson, des lignes et des flèches monumentales bien ancrées dans la terre pour mieux se lancer dans le ciel, jamais de vain formalisme même s’il y a jeu de langage car malgré la narration bien présente, nous sommes résolument dans le poème, dans sa dynamique, dans son jaillissement, aux risques et périls d’un poète dans le monde d’aujourd’hui.

Nota bene : Bernard Deson a inséré dans son anthologie poétique deux textes que nous avions écrits lui et moi en collaboration. Il s’agit de Survenance et de La Dune. Je le remercie de ce témoignage d’une amitié de trente-six ans.

Risques et Périls, anthologie poétique 1974-2014, (illustrée par l’auteur) Bernard Deson. Éditions Orage-Lagune-Express, 234 pages. 13,50€

 

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