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19 septembre 2017

Carnet / Au temps des préfabriqués

Au hasard des journées du patrimoine, je me suis retrouvé ce dimanche en fin d’après-midi devant le lycée où j’ai péniblement végété à la fin des années soixante-dix. J’ai préféré attendre dehors sous mon parapluie les personnes que j’accompagnais. Aucune nostalgie.

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Les professeurs de cette époque étaient souvent très politisés et ceci dès le collège. Je me souviens d’une jeune prof d’espagnol au collège Saint-Joseph de ma ville qui nous parlait en classe de quatrième du Christ révolutionnaire (!), ce qui m’avait inspiré une totale indifférence à l’inverse de mon père et de mon grand-père qui avaient quant à eux très modérément apprécié.

Du collège privé au lycée public, l’engagement politique à gauche et à l’extrême gauche était à la mode chez les enseignants. Bon nombre d’entre eux étaient marxistes et tentaient sans grand succès de saupoudrer leur enseignement d’un peu d’idéologie. J’avais des rapports tendus avec beaucoup d’entre eux. Mon échec scolaire dont j’étais seul responsable les renvoyait à ce qu’ils croyaient à tort être leur échec, ce qui les rendait parfois amers et condescendants et ce qui me poussait d’autant plus à rejeter le modèle qu’ils proposaient bien sûr en toute bonne foi.

J’avais été sévèrement sermonné par quelques profs d’extrême gauche qui connaissaient ma décision de ne pas faire mon service militaire, non par antimilitarisme ou par objection de conscience mais par simple convenance personnelle liée à mon incapacité à supporter toute vie en collectivité. Ces révolutionnaires d'opérette m’encourageaient à profiter de la conscription pour apprendre à manier les armes en prévision du Grand Soir. Il va sans dire que je n’ai tenu aucun compte de leurs arguments, que je n’ai jamais cru au Grand soir et que j’ai été réformé. 

Qu’aurait été ma vie si je m’étais laissé influencer par leurs fadaises politiques, y compris celles, plus modérées, des cathos de gauche ? Oh, le risque était faible car à la fin de l’adolescence, j’avais l’esprit beaucoup plus réactionnaire et petit bourgeois que maintenant, ce qui est plus souvent qu’on ne le croit le cas chez les jeunes. Aujourd’hui j’ai gardé intact l’individualisme qui horripilait mes profs mais je suis désormais plus conservateur que réactionnaire.

J’en ai longtemps voulu à cette frange d’enseignants plus ou moins militants qui me reprochaient d’afficher mon indifférence politique, mon allergie à toute forme de bénévolat et d’engagement collectif jusqu’au jour où j’ai compris qu’ils évoluaient comme il pouvaient dans un système dont ils étaient eux aussi les victimes. Il ne leur restait peut-être rien d’autre que leurs illusions malmenées et leurs crispations idéologiques pour trouver encore un peu de sens à leur vie professionnelle. Ni eux ni leurs élèves ne pouvaient savoir, un quart de siècle avant, qu’ils étaient déjà sous la menace de la vulgarité régressive et oppressive du nouveau millénaire.

À part un ou deux psychopathes, en sport évidemment, discipline dont je me suis de toute façon moi-même dispensé avant même mon entrée au lycée, la majorité des enseignants qui se sont succédé dans ma scolarité faisaient ce qu’ils pouvaient pour exercer au mieux leur métier pas toujours facile.

En cette pluvieuse journée du patrimoine, devant ce bahut ouvert pour l’occasion, j’ai pensé à ce que je ne devais pas à cet établissement et que seule ma famille m’a offert : du confort et du temps. (J’aime la famille car c’est la seule organisation sociale qui peut à la fois ouvrir l’individu au groupe et, le cas échéant, l’en protéger. La plupart des sociétés qui ne sont pas structurées en cellules familiales sont proches de la fourmilière.)

Ce dimanche devant les hauts murs ternes, j’ai senti les petites rancunes qui me restaient s’écouler prestement comme la pluie dans le caniveau, à l’image de tout ce qui a si peu de sens et d’importance mais à quoi tant d’heures neuves et fraîches ont été perdues.

Photo : souvenir de l'époque des préfabriqués.

 

28 mai 2017

Une maman, une source

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Il a fallu que tu nous quittes le jour que j’avais choisi pour cette étrange promenade. Le cours de ta vie était désormais comme celui du fleuve pétrifié où je guettais une éclaircie dans les brumes.

Nous, tes enfants, ta famille, tentions d’avancer encore sur la surface de plus en plus immobile de tes jours.

Dans le brouillard dont la maladie t’enveloppait, nous étions à l’affût de l’éclaircie, ce sourire clair et mystérieux que tu parvenais encore à offrir parce qu’il venait du fond de ton âme de femme, d’épouse, de mère et de grand-mère.

Jusqu’aux derniers jours, tu donnas à l’improviste ce sourire à celles et ceux qui furent à ton chevet, nous et les professionnels soucieux de veiller au confort qui pouvait te rester.

Ce sourire du temps compté venait de très loin et de très profond.

Sans doute savais-tu au fond de toi que le bonheur a besoin d’être encouragé, surtout le nôtre, qui comptait plus pour toi que le tien. Tu nous en donnas si souvent la preuve...

Tu n’aimais pas avec des mots mais avec des actes, notamment ceux qui jalonnent le quotidien des jours et des êtres, les bons repas, les petites attentions, les paroles réconfortantes, le soutien moral et matériel et cette multitude de petits riens qui sont tout, qui font tenir une famille et des vies humaines debout.

Nous, tes enfants, tes proches, n’oublierons pas le murmure et la lumière de cette petite source que fut ta vie sur notre chemin.

Texte écrit en hommage à ma mère, Jeannine, lu à la cérémonie religieuse en l'église Saint-Léger d'Oyonnax lors de ses obsèques.

 

01 mars 2016

Carnet / De l’individu et de la collectivité

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Un décalage de plus avec mon époque : je suis friand de littérature autobiographique. La vie et les états d’âme d’une personne m’intéressent beaucoup plus que son travail et son éventuel engagement dans la société. Même si l’autobiographie comporte de la complaisance, des accommodements avec la réalité, j’estime que la manière dont quelqu’un raconte sa vie renseigne sur sa personnalité unique et son regard particulier sur le monde. Comment cette personne considère-t-elle son environnement ? Quelle attitude adopte-t-elle dans la vie ? Comment s’organise-t-elle dans le chaos de l’existence, comment arrive-t-elle à trouver de l’agrément, de l’intérêt à la vie ? Comment se débrouille-t-elle dans l’organisation de la vie matérielle ? Quelles relations parvient-elle à nouer ? Quels sont ses rêves, ses espoirs, ses renoncements ? Comment tout cela peut-il être comparé à ma propre vie et quel enseignement puis-je en tirer ? Comment quelqu’un devient-il lui-même ?

Cette dernière question revêt pour moi une importance cruciale car c’est à mon avis le sens premier de notre passage terrestre s’il y en a un, non pas ce que nous pouvons faire mais ce que nous pouvons être : probablement des ombres furtives mais certaines d’entre elles pouvant être plus contrastées que d’autres.

Animé par ces préoccupations récurrentes, je me suis procuré les Carnets d’Henry James dont Folio classique vient de sortir une édition. J’ai choisi de commencer ma lecture de ce fort volume par les carnets II et VII qui relèvent plus de l’autobiographie que les autres dans lesquels Henry James ouvre plutôt une fenêtre sur son « atelier d’écrivain » .

Ravage de la mobilité géographique professionnelle contrainte : de plus en plus d’individus et de couples se retrouvent isolés dans la région où ils ont trouvé un emploi le plus souvent précaire, ce qui les obligera à bouger de nouveau sans avoir eu le temps de créer des liens amicaux durables. Résultat : des personnes en difficulté au moindre mauvais coup du sort, notamment un ennui de santé. Pas de famille proche pour apporter de l’aide, une aide souvent élémentaire qui consiste simplement à apporter soutien moral, matériel et réconfort à l’occasion d’une hospitalisation. Si la famille est à des centaines de kilomètres, détruite ou inexistante, c’est l’angoisse de la solitude malgré le travail des assistants sociaux.

Cette réflexion me vient après un rapide échange ces derniers jours avec une personne dans ce cas. Je suis particulièrement sensible à cette problématique de la mobilité géographique professionnelle non choisie et de l’absence de famille parce que j’ai moi-même la double chance de choisir de rester chez moi et d’avoir une famille unie et aidante. La famille, lorsqu’elle fonctionne normalement, est le dernier rempart, l’ultime refuge lorsque la société devient hostile. Je peux même personnellement témoigner que la famille peut être un vrai contre-pouvoir même si les soixante-huitards la considéraient comme le lieu central de l’oppression et de l’ordre établi.

Or, on constate aujourd’hui que cette détestation de la famille caractéristique de la pensée contestataire de 1968 trouve un prolongement et un écho inattendus dans l’esprit des forces les plus réactionnaires de la société, notamment le patronat qui a tout intérêt à disposer d’un réservoir de plus en plus grand d’individus isolés et coupés de leur racines, bien plus vulnérables et corvéables que des personnes bien ancrées dans un environnement social et humain solidaire et structuré.

Finalement, le célèbre « famille je vous hais » des révolutionnaires d’antan peut aujourd’hui être repris en choeur avec profit par les représentants les plus conservateurs du nouvel ordre établi qui avance, comble de l’ironie, sous les masques de la modernité et de la réforme (suivez mon regard du côté d’El Khomri, Macron et consorts).

Jusqu’à une époque encore toute récente, la famille était le ciment de la société alors qu’aujourd’hui, la société semble de plus en plus trouver son intérêt à la détruire. Cette aberration nous prouve qu’en certaines circonstances, non contente de ne plus protéger ses membres, la société peut tout à fait les mettre en danger.

L’illustration la plus radicale d’un tel phénomène a été fournie par la première guerre mondiale durant laquelle le premier ennemi des soldats n’était pas les soldats du camp adverse mais leur propre pays, ainsi qu’on a pu le constater lors des épisodes les plus absurdes et terrifiants de ce conflit qui a fait dire au brave Anatole France : « on croit mourir pour la patrie et on meurt pour les industriels » . En ces temps où l’on commémore Verdun, gardons bien à l’esprit cette clairvoyance.