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20 septembre 2020

Carnet / Fin du roman de l'auteur

(Ajout à mon carnet du 14 septembre dernier).

carnet,note,journal,blog littéraire de christian cottet-emard,littérature,roman,fiction,roman de l'auteur,édition,apostrophes télévision,émission littéraire,évolution de l'éditionTout le monde a intérêt à ce que l'écrivain devienne un personnage de fiction, les éditeurs, les journalistes, le public et les auteurs eux-mêmes.

 

14 septembre 2020

Carnet / Fin du « roman de l'auteur »

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Le roman de l’auteur est fini. Je laisse à plus érudit que moi en histoire littéraire le soin de dater le début de cette fiction dans les siècles précédents.

Avant d’expliquer pourquoi cette fin est arrivée, je me dois de préciser ce que j’appelle le roman de l’auteur. Il s’agit de ce processus qui a peu à peu transformé l’auteur en un personnage de roman jusqu’à ce que ce personnage finisse par devenir plus important et plus intéressant aux yeux du grand public que tous les personnages inventés par l’auteur dans ses livres.

En France, c’est la plus célèbre émission littéraire diffusée à une heure de grande écoute à la télévision, Apostrophes, qui a officiellement consacré le roman de l’auteur dans l’imaginaire des téléspectateurs donc du grand public à l’époque où celui-ci pouvait encore passer une fois par semaine la moitié d’une soirée à regarder des auteurs discuter ou faire semblant de discuter autour d’un animateur jouant le rôle de Candide ou d’arbitre.

L’immense succès populaire de cette émission résidait probablement moins dans la passion du public pour la littérature que dans sa curiosité voire dans une forme de fascination pour les auteurs présentés, mis en scène et mis en situation de jouer plus ou moins bien leur rôle de grand écrivain couvert de gloire, de débutant prometteur, de provocateur patenté, de rebelle subventionné, d’ivrogne en fort tangage ou de jeune prodige catapulté de sa campagne jusqu’au feux de la rampe grâce au flair d’un grand éditeur ayant fouillé dans des tonnes de manuscrits envoyés par la poste.

Tel était pour le grand public le roman de l’auteur, une redoutable fiction dans toutes ses variantes qui relèvent le plus souvent d’un mélange de conte de fée et de fable édifiante dont même les moins naïfs d’entre nous sont friands. Ce sont ces histoires-là que le public venait écouter, beaucoup plus que celles racontées dans les livres sélectionnés et promus.

En 1981, lorsque j’étais stagiaire en librairie, j’ai encaissé des clients qui achetaient systématiquement tous les grands prix littéraires de la rentrée (on n’en comptait qu’une à l’époque à l’automne) et parfois la majorité des ouvrages présentés à Apostrophes le vendredi, jour de l’émission précédent leurs emplettes. Il m’arrivait de leur demander s’ils lisaient tous ces livres. La plupart de ces gros clients me répondaient qu’ils les offraient ou les entassaient dans leurs bibliothèques pour être sûrs de ne pas se tromper.

Pour eux, un livre dont l’auteur était invité à parler à la télévision ne pouvait pas être tout à fait mauvais ou sans intérêt. Lorsque je me hasardais à leur présenter le catalogue d’un petit éditeur méconnu ou un titre d’un écrivain ignoré des médias, ils m’écoutaient poliment sans même jeter un coup d’œil à la quatrième de couverture.

Apostrophes et les grands médias suiveurs de la presse écrite nationale ont accéléré la phase finale du processus du roman de l’auteur dans la mécanique bien huilée d’un système éditorial aujourd’hui en passe de s’asphyxier sous l’avalanche de sa propre production.

Désormais, l’abondance trompeuse dissimule de plus en plus difficilement la ruine du paysage où ne respirent plus que les auteurs de best-sellers, piliers économiques des maisons d’édition les plus connues et engagées bon gré mal gré dans leur folle fuite en avant.

Certes, le roman de l’auteur parvient-il encore à faire un peu illusion dans le cadre de la promotion ou plutôt du matraquage de gadgets éditoriaux provisoirement en phase avec l’air du temps constitué d’un cocktail de lubies à la mode, de politiquement correct nimbé de sauce moraline, de vertu agressive et d’indignation sélective. Ce dernier cache-misère ne change en rien l’inéluctable et nécessaire évolution.

Pour les auteurs à moyens et petits tirages, le salut ou la consolation viendront d’Amazon ou de tout autre prestataire d’édition capable de rivaliser sérieusement avec cette entreprise, au moins tant que ce géant et ses éventuels concurrents considéreront cette alternative à l’édition classique comme rentable.

Aussi appartient-il maintenant à l’immense majorité des écrivains exclus ou en phase d’exclusion de ce système pour mille raisons économiques, politiques ou relationnelles de sortir du piège marketing médiatique du roman de l’auteur en s’appropriant leur stratégie et leur destin en fonction de leurs personnalités, de leurs capacités et de leurs objectifs respectifs.

La fin du roman de l’auteur est l’un des symptômes visibles de la fin d’un cycle. La nature ayant horreur du vide, quelque chose finira bien par en sortir et cela ne manquera certainement pas d’intérêt.

 

Photo : Camilo (Ferreira Botelho) Castelo Branco (1825-1890), auteur du fameux roman Amour de perdition (Amor de Perdição) adapté plusieurs fois au cinéma, notamment par Manoel de Oliveira, est un des nombreux exemples de ce que j’appelle le roman de l’auteur. Ce grand écrivain portugais auteur d’une œuvre considérable est surtout passé à la postérité internationale à la suite de son emprisonnement en 1840 en raison de sa liaison avec une femme mariée. On le voit ici statufié à Porto en bonne compagnie. Détail amusant et réjouissant, la statue est installée à quelques mètres de la prison où il a été incarcéré ! Cette prison est aujourd’hui un musée.

 

25 juillet 2020

Une nouvelle pour l'été

Beignets ! Qui veut des beignets ?

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« Beignets ! Qui veut des beignets ? Beignets ! » criait dans le sable la petite étudiante râblée. Elle poussait son cri de guerre commercial mais son appel se suspendait dans les airs comme les fanions, les cerfs-volants et les avions en plastique qui tournoyaient au-dessus des parasols bariolés.

« Il n’y a pas trop de vagues, je vais nager un peu » dit-il à sa femme qui lisait. Après quelques foulées parmi les serviettes et les châteaux de sable, il marcha dans l’écume en prenant soin de vérifier qu’il se trouvait au milieu de l’aire de baignade matérialisée par deux fanions. Il entra dans l’eau sans peine, commença de nager alors qu’il avait encore pied, grimpa quelques petites vagues et profita du calme de l’océan ce jour-là pour faire un peu la planche.

Dès qu’il voyait enfler une vague un peu plus haute que les autres, il se repositionnait sur le ventre et se laissait soulever en gardant un œil sur les sauveteurs perchés au sommet de leurs sièges métalliques. Dès qu’il se sentait dériver vers la limite de baignade, il nageait vigoureusement de manière à regagner le milieu de la zone surveillée aménagée entre les dangereuses baïnes.

Après un bon quart d’heure de bain, une légère fatigue l’alerta sur la nécessité de retourner au sec mais au même moment, il réalisa qu’il se trouvait immobilisé dans une sorte de cuvette invisible. Il ne sentait aucun courant le tirer vers le large mais il ne pouvait presque pas progresser en direction de la plage pourtant assez proche. Il décida d’accentuer son effort mais rien n’y fit, pas moyen de rentrer.

Un regard vers les sauveteurs lui confirma qu’il ne s’était pas éloigné mais qu’il était bien bloqué dans ce qui ressemblait à un tourbillon alors qu’à quelques mètres devant lui, d’autres nageurs regagnaient le bord sans problème. Il força un peu plus sur les bras en veillant à ne pas s’épuiser dans des mouvements désordonnés qui risquaient non seulement de l’essouffler mais encore d’alerter les sauveteurs. Réapparaître sur la plage dans les bras d’un sauveteur, il n’avait aucune envie de connaître cette honte, mais l’idée l’effleurait maintenant de les appeler au cas où ses forces déclineraient trop vite.

Il se sentait en effet de plus en plus fatigué. Pour ne rien arranger, une vague qu’il n’avait pas vu arriver se brisa sur lui. Il émergea du bouillonnement le souffle de plus en plus court. Son cœur battait plus vite. Un début de panique le gagna. Il se trouvait pourtant toujours à la même faible distance de la plage et des sauveteurs. Pour reprendre son souffle, il décida de se laisser flotter quelques instants sans nager en espérant qu’une vague en formation finirait par le hisser hors de cette nasse. Il pria surtout pour qu’aucune grosse vague ne se forme plus loin derrière et ne vienne le rouler trop violemment dans les flots alors qu’il se sentait de plus en plus en perte d’énergie.

Une sensation étrange l’envahissait. Le monde autour de lui semblait devenu subitement gris. Le ciel, l’océan et la plage avaient perdu leurs couleurs. Tout était d’un gris uniforme, comme s’il se trouvait désormais prisonnier d’une photo en noir et blanc mal développée. « Eh bien voilà comment ça va finir » , pensa-t-il avec dépit. « Je suis né en 1959 et ça va finir ainsi. Jamais je n’aurais prévu que cela finisse de cette manière. J’aurais dû manger un sandwich avant de me baigner » .

Il pensa à sa femme qui avait toujours été là pour lui, d’un amour infatigable, aux vacances gâchées, à sa fille qui n’était pas venue avec eux et à qui il se reprochait maintenant de ne pas avoir pris le temps de dire qu’elle devait se montrer toujours prudente, qu’elle devait se méfier de la baignade, même entre les fanions... La preuve.... Plus jamais de beignets, plus jamais de sandwichs, plus jamais...

Maintenant, au milieu de cette eau grise, il sentait le froid l’envahir. Il tourna encore une fois la tête en direction du large lorsqu’il vit grandir une très grosse vague, sombre, plombée, sinistre. Mais la vague ne s’effondra pas sur lui. Elle semblait en suspens, bloquée dans son ascension. Au sommet de sa crête d’écume, se tenait une statue de femme, une belle femme. « Belle, certes, très belle même, mais pas vraiment mon genre » , pensa-t-il. Cette statue était aussi une statue de sel. Il se dit qu’il ne fallait pas la regarder, qu’il lui fallait détourner les yeux et regarder en direction de la plage quoiqu’il arrive, regarder absolument la plage et surtout pas cette statue.

Il détourna donc les yeux, tourna le dos à la statue, s’allongea sur le ventre en fixant la plage et attendit la chute de la vague. Il sentit alors une force le soulever et le pousser vers les parasols qui reprenaient progressivement leurs couleurs. Il distinguait le sien et voyait sa femme qui était là comme elle avait toujours été là pour lui.

Il entendait aussi la petite étudiante râblée qui poussait son cri de guerre commercial « Beignets ! Beignets ! Qui veut des beignets ? Beignets ! »

Comme la vie en couleur était étrange, vraiment. Bien plus étrange que la statue de sel au sommet de la grande vague.

 

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Nouvelle extraite de mon recueil Mariage d'automne, éditions germes de barbarie, 2017. Tous droits réservés © éditions Germes de barbarie 2017.

Pour Oyonnax et sa région, ce livre est disponible en prêt à la médiathèque municipale d'Oyonnax au centre culturel Aragon.

Une lecture de Mariage d'automne par Didier Pobel :

S'il fallait définir - quelle idée, on vous l'accorde! - les nouvelles de Christian Cottet-Emard, ce serait, disons, des traces. Traces de temps, traces d'amour, traces de vie. Quelque chose comme ces "grands rectangles clairs"  laissés par les tableaux retirés d'un mur évoqués dans le sixième texte. L'intrigue a toujours la minceur d'un fil. Un barbecue noyé par l'orage sous lequel clapote "la ruine de nos existences". Les noces d'une amie où un invité chômeur, "pas à sa place", doute de son cadeau. Les manigances d'un étrange couple en Rolls verte. Les retrouvailles entre un vieil écrivain et une femme dont elle fut jadis brièvement l'amante...

   Les protagonistes existent à peine. L'un d'eux s'adonne à la simple "observation de l'air", un autre se réconforte à la vue d'un forsythia au bord d'une voie ferrée. Il s'appelle Mhorn. Pas étonnant qu'il appartienne tout particulièrement à cette  "morne confrérie de nouveaux nomades exilés"  traversant ces proses aux volutes syntaxiques de cigare où affleure une mélancolie acidulée que ne renieraient ni Henri Calet ni Jules Laforgue en vadrouille à la fin du recueil.

   Un ouvrage qui, quoique intitulé Mariage d'automne, pourrait bien offrir toutes les vertus d'une délicieuse lecture d'été. À l'ombre des "nuages lenticulaires". Ou au bord d'un lac bugiste. Instantanés, scènes intimistes. Côté court, Cottet jardin.