19 mai 2015
Carnet / Signer ou ne pas signer ?
Arrivé à une étape de mon parcours d’écriture et de publication (d'un simple point de vue chronologique), je suis amené à réfléchir au sujet des usages et des rapports entre les auteurs et les maisons d’édition qui ont considérablement évolué.
J’en veux pour preuve les anecdotes désabusées qui m’ont été rapportées par des auteurs que je connais personnellement ou avec qui j’ai conversé après une lecture ou une conférence. Ces récits qui proviennent d’auteurs débutants ou expérimentés dont le travail est reconnu et publié mais non inscrit dans une démarche commerciale aboutissant à des chiffres de vente spectaculaires s’avèrent souvent édifiants. L’un de ces témoignages me paraît non seulement révélateur des réalités éditoriales d’aujourd’hui mais encore digne d’être pris en compte au moment de prendre la décision de s’engager pour la première fois auprès d’un grand groupe d’édition.
Invité à une importante foire du livre régionale pour dédicacer ses livres publiés chez de petits éditeurs, un ami voit s’installer à la table voisine de la sienne une toute jeune femme à l’air morose. Elle dispose en piles un roman qu’elle a publié à l’enseigne d’une maison très connue. Mon ami la salue et la félicite d’être publiée si jeune sous un tel label, un compliment qui ne suscite de la part de la jeune romancière qu’une moue de lassitude, ce dont elle finit par s’expliquer.
Son histoire est assez triste. Elle a certes connu la joie du message téléphonique qui l’a informée de la décision du comité de lecture de la publier mais elle a vite déchanté. Les ventes n’ont apparemment pas été à la hauteur, le dossier de presse est plus que léger et elle a ensuite été livrée à elle-même pour continuer la promotion de son livre dans les salons, promotion à laquelle elle est pourtant tenue de participer selon les termes de son contrat. Lors d’une visite chez son éditeur, elle est reçue par des stagiaires qui doivent chercher laborieusement son dossier et qui lui demandent à plusieurs reprises de leur rappeler son nom. Après de longs mois de silence, elle reçoit la proposition d’acheter à un tarif réduit une partie du stock de ses propres ouvrages pour les distribuer elle-même dans les foires et salons !
À ce compte-là, elle pouvait tout aussi bien s’autoéditer car elle serait ainsi au moins propriétaire de ses droits. La voici donc commercialement « grillée » dans le petit milieu de l’édition où tout le monde se connaît avec un livre captif sur les bras et un seul lot de bien maigre consolation : le nom d’un grand éditeur dans sa bibliographie, ce qui, notons-le au passage, n’impressionne plus grand monde dans la presse et auprès des instances dévolues à l’attribution de bourses de création et autres aides financières aux auteurs en raison de l’inflation de livres morts nés comme le sien publiés à chaque nouvelle vague des trois rentrées littéraires annuelles.
Je précise que le récit de plusieurs histoires similaires, toutes inscrites dans le contexte de ce qu’on appelle la grande édition, m’est venu aux oreilles par d’autres canaux, à quelques semaines d’intervalle, ce qui ne peut manquer de faire réfléchir à deux fois, lorsqu’on est auteur, avant de concrétiser un projet de longue date sur lequel on a travaillé plusieurs années...
Le plus ennuyeux dans cette affaire n’est pas l’absence de succès, de reconnaissance ou de profit mais l’immobilisation des droits sur une œuvre. J’en ai moi-même fait l’expérience avec un essai mal publié qui est toujours officiellement disponible alors que l’éditeur n’en vend qu’un exemplaire de temps en temps et que je n’ai jamais eu un seul relevé de ventes depuis sa publication en 1997 ! Du coup, ce livre que je pourrais maintenant republier dans une édition plus soignée et augmentée de nouveaux documents se retrouve bloqué sans qu’un espoir de dénouement favorable ne se présente avant longtemps. C’est dire si je suis aujourd’hui devenu circonspect en cas de projet avec un éditeur qui n’est pas un ami ou une connaissance rapprochée...
En discutant il y a deux ans avec un poète publié par une grande maison à qui j’avouais mon inquiétude de confier un manuscrit à des inconnus, j’ai appris qu’il vendait à peine plus que s’il était publié par un petit éditeur et que ses recueils de poèmes n’avaient presque pas de presse. Sa seule consolation était la collection renommée qui accueillait quelques uns de ses titres. Un livre estampillé d’un label éditorial prestigieux constitue certes une gratification pour un auteur mais cela peut-il suffire ? Bien évidemment non. De nos jours, la publication chez un éditeur connu ne garantit plus une diffusion et une distribution conséquentes. Ainsi que me le faisait remarquer un autre ami poète, s’il s’agit de vendre trois cents exemplaires, nous sommes un certain nombre à savoir faire cela nous-mêmes !
En recueillant ces témoignages, je me dis que j’ai quant à moi de la chance. Mes livres ont été publiés par de petits éditeurs et pour plusieurs d’entre eux, je n’ai pas à me plaindre des retombées. Éditinter m’a permis de publier dans une édition très soignée Le Grand Variable dont aucun grand éditeur n’aurait voulu parce que l’ouvrage n’appartient pas à un genre défini. En accueillant mon faux polar, Le Club des Pantouflards, la collection Petite Nuit chez Nykta m’a permis de bénéficier d’une bourse conséquente du Centre National du Livre. Quant aux éditions du Pont du Change, la relation de confiance, le soin de la réalisation et la diffusion ciblée mais efficace ont offert à deux de mes ouvrages une visibilité qu’atteignent difficilement de nos jours les textes humoristiques.
Me voici aujourd’hui à un tournant avec des décisions à prendre pour l’édition de mes prochains livres, ce que j’apprécie modérément car j’ai toujours préféré me laisser porter par le courant. Une chose est certaine, en ce domaine comme dans bien d’autres, nous ne vivons plus dans le même monde et il est fortement conseillé aux auteurs de s’en apercevoir.
01:12 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : carnet, note, journal, autobiographie, prairie journal, écriture de soi, édition, publication, diffusion, distribution, livre, littérature, blog littéraire de christian cottet-emard, éditinter, nykta, petite nuit, le pont du change, le grand variable, le club des pantouflards, tu écris toujours ?, dragon ange et pou, humour, chroniques, nouvelles, christian cottet-emard, salon, foire du livre, maisons d'édition, ventes, tirages, contrat
10 mai 2015
Dans la nature indifférente
Pendant que l’agriculteur sillonne les champs au loin avec son tracteur tu tonds tes trois mille mètres carrés autour de la maison et tu te demandes si cela peut bien avoir un sens pour la nature
Lui et toi rudoyez un peu la nature quoique les fleurs et le foin repoussent mieux s’ils sont fauchés
Ni lui ni toi n’êtes à genoux devant la nature même si vous aimez la contempler de temps en temps pour vous raconter des histoires (surtout toi)
D’ailleurs la nature n’a pas plus d’affection particulière pour vous que pour qui que ce soit et elle ne se raconte jamais d’histoires
Elle est comme une femme qui n’aime pas être aimée de manière trop sentimentale et puis comment pourrait-elle être aimée par cette partie d’elle-même que vous êtes l’agriculteur et toi ?
Pousser la tondeuse pendant des heures ne t’amuse pas mais cela te permet de penser à tes livres en cours d’écriture et à leurs improbables ou mystérieux destinataires
À cette vie plus écrite que vécue depuis la prairie et les vallons où tu essayes de te tenir le plus possible à distance du monde illisible et de ses principaux chagrins
Rien que de très artificiel et d’assez peu écologique en somme te dis-tu en versant de l’essence dans ta tondeuse et en gardant toujours un œil sur ce qui pourrait surgir d’un buisson d’une haie des confins du cosmos ou d’une simple flaque d’eau
© Ed. Orage-Lagune-Express, 2015
00:28 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : estime-toi heureux, poésie, poèmes narratifs, chronique, récit, littérature, blog littéraire de christian cottet-emard, éditions orage-lagune-express, droits réservés, ©, copyright, tondeuse, nature, herbe, cosmos, tonte, livre, flaque d'eau, haie, buisson, tracteur, agriculteur, fleur, écologie, essence, carburant, christian cottet-emard
05 mai 2015
Carnet / Du manque de temps et de lumière
Au moins le grand vent qui secoue les volets cette nuit est-il tiède et chargé des parfums de toutes les fleurs épanouies en quelques jours bien qu’au final, dans l’obscurité, la musique soit la même qu’en automne. La journée aussi, la lumière est automnale, y compris ce dernier soir où une frange fugace de lumière rasante a doré la montagne à peine cinq minutes.
Les perspectives de parution d’au moins deux de mes livres se rapprochent de nouveau après avoir marqué le pas. Il faudra bien ça pour me donner un peu d’allant. Le climat de ce pays a de quoi rendre neurasthénique. Heureusement qu’un petit séjour à Porto est prévu en juin.
Je dois fournir en urgence un texte pour une exposition. Le délai me paraît vraiment trop court. J’essaie quand même. Je suis installé depuis si longtemps dans la lenteur... Cela me rappelle une phrase qu’on me répétait sans cesse quand j’étais enfant puis adolescent : « Tu as bien le temps... » Quelle blague ! Je n’avais pourtant pas pour habitude, même dans mon plus jeune âge, de croire tout ce qu’on me disait, mais sur ce coup-là, Tu as bien le temps, j’avoue que je me suis bien fait avoir ! Sans doute cela m’arrangeait-il... Je ne peux m’en prendre qu’à moi.
13:51 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : carnet, note, journal, écriture de soi, autobiographie, prairie journal, blog littéraire de christian cottet-emard, spleen, nature, édition, publication, livre, enfance, adolescence, porto, portugal, voyage, tourisme, christian cottet-emard, jura, photo, temps, lumière