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18 décembre 2012

Enfant de Vatican II, de la crise des missiles nucléaires de Cuba et de mai 68.

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Mes parents choisirent de m’inscrire dans les écoles privées Saint-Joseph et Jeanne d’Arc, moins par souci d’éducation religieuse que par commodité géographique, les deux établissements étant situés non loin du domicile familial. À cette époque, un garçonnet entrait en maternelle à Saint-Joseph dans des classes mixtes. Ensuite, il quittait Saint-Joseph pour l’école primaire de garçons Jeanne d’Arc située un peu plus haut dans la ville et redescendait à Saint-Joseph qui était aussi un collège. Cet itinéraire tortueux nécessitait une double adaptation, la première à l’entrée en primaire au moment de se retrouver brutalement projeté dans un univers masculin et la seconde en arrivant au collège lorsqu’il fallait tout aussi soudainement retrouver les classes mixtes. À l’école primaire Jeanne d’Arc, tout ce qui n’était pas interdit était obligatoire. À la récréation, chacun avait l’obligation de participer à des matchs de balle au prisonnier, ce qui déclenchait ma fureur à cause de mon aversion pour le ballon, le sport et la compétition mais aussi parce que je ne comprenais pas pourquoi on nous refusait le droit d’aller rêvasser seul dans un coin sous le préau ou de bavarder avec un camarade. Tel était encore l’air du temps dans l’enseignement privé, même si pour moi et ceux de ma génération, les blouses grises de nos maîtres avaient succédé aux soutanes. Chance supplémentaire, les cours élémentaires de première et deuxième année étaient assurés par deux maîtresses, ce qui m’empêcha de sombrer dans la panique et le désespoir d’un monde sans femmes. Malgré la présence de ces deux institutrices dont l’une m’avait même pris en affection, j’ai détesté l’école et en particulier l’école de garçons, allant même jusqu’à prendre en grippe l’odeur mêlée d’orange et de pain au chocolat qui se répandait dans les couloirs au moment du goûter. Certes, en comparaison avec l’atmosphère plombée subie par les enfants des générations précédentes dans ces écoles, l’ambiance qui régnait dans les classes que j’ai fréquentées pouvait-elle être considérée comme raisonnablement cordiale mais moi, désolé de le dire, je la trouvais sinistre comme j’ai trouvé plus tard tout aussi sinistres la plupart des ambiances professionnelles que j’ai connues. Être malheureux à l’école ne m’a pas empêché de vivre une enfance heureuse dans le cocon familial de la même manière que je me considère comme un adulte heureux, essentiellement dans la vie privée. Il n’en allait pas de même dans mes épisodes de vie professionnelle où je vivais des périodes de régression en lien direct avec la peur permanente d’être puni qui m’a pourri la vie de l’école primaire jusqu’en classe de sixième. À partir de cette période, j’ai pris conscience qu’il m’était impossible de continuer à vivre dans cette hantise, ce qui s’est traduit par une révolte adolescente qui m’a définitivement installé dans l’échec scolaire. Heureusement, l’influence bénéfique et propice à la contestation de mai 68 avait atteint aussi ce qu’on appelait l’école libre et je pus faire à peu de frais ma petite révolution personnelle. Paradoxalement, ce fut une étape de mon parcours de catéchèse, la retraite précédant la profession de foi, qui me permit de me libérer des dernières peurs et pesanteurs héritées de ma scolarité d’enfant. Quand je parle de parcours de catéchèse, je dois avouer que celui-ci se résuma à quelques séances de catéchisme et de confession, ces dernières nécessitant une imagination dont je ne fus jamais dépourvu pour inventer des péchés imaginaires puisqu’il fallait bien trouver un peu de turpitude à avouer si l’on voulait se soustraire au plus vite à la fréquente mauvaise haleine des prêtres qui nous accordaient le divin pardon. Ce que j’aurais à confesser aujourd’hui, c’est que j’avais trouvé un moyen commode pour éviter la plupart des séances de catéchisme auxquelles j’étais normalement astreint à l’école primaire Jeanne d’Arc. La ville comptait deux paroisses, et mes parents, à l’occasion d’un déménagement dans un autre quartier, étaient passés d’une paroisse à une autre. Il me fut donc facile de justifier mon absence au catéchisme de ma paroisse d’origine en racontant que j’étais inscrit à celui de la nouvelle paroisse, cette dernière ne s’étant jamais inquiétée de mon existence puisque mes parents avaient tout simplement oublié de m’inscrire à la suite du déménagement. Je n’avais rien contre le catéchisme en lui-même, la seule chose que je lui reprochais étant de constituer à mes yeux une quantité non négligeable « d’heures supplémentaires » à l’école tant redoutée. Une fois au collège, je ne coupai toutefois pas à la profession de foi et à la retraite obligatoire qui la précédait. Ainsi que je l’ai dit plus haut, c’est lors de cette retraite que je sentis pour la première fois ce parfum de liberté et d’optimisme rafraîchir l’air d’un temps qui tentait d’oublier le lugubre épisode de la crise des missiles nucléaires de Cuba vécu en direct par nos parents (*) et la société bloquée d’avant mai 68. Bien sûr, j’étais trop jeune pour connaître et mettre en relation ces événements et pour comprendre leur influence sur le nouveau monde qui s’ouvrait à moi, un monde dans lequel on ne craignait pas en permanence d’être puni et dans lequel on avait même le droit d’exprimer une opinion personnelle sur n’importe quel sujet. Non seulement mai 68 était passé par là, mais encore le concile Vatican II dont on commémore actuellement le cinquantième anniversaire de l’ouverture.
La retraite qui préparait à la profession de foi se déroulait pendant trois jours à l’église Notre Dame de la Plaine, un édifice de béton au style très controversé posé au milieu des bâtiments HLM à la fin des années 60. Pour moi qui accompagnais mes parents à la messe à Saint-Léger, l’église la plus ancienne située dans la partie haute du centre ville, Notre Dame de la Plaine constituait plus un objet de curiosité qu’une église habituelle avec son architecture contemporaine basse, ses murs non crépis où restaient apparentes les traces des coffrages en bois, son clocher peu soucieux de relier le ciel à la terre et son imposante rampe d’accès qui reliait la nef au premier étage et les salles paroissiales au rez-de-chaussée où avait lieu la retraite. Cette retraite n’en était pas vraiment une puisque chaque participant rentrait chez lui à midi et en fin d’après-midi, ces horaires se substituant à ceux du collège, ce qui me disposa un peu mieux à l’égard de ces journées obligatoires auxquelles je ne me rendis pas sans appréhension, ignorant que j’étais de ce qui m’attendait. À la fin de la première matinée, je rentrai chez moi délivré de mon inquiétude et étonné par l’ambiance amicale et décontractée ménagée par le prêtre qui avait pris en charge le groupe dont je faisais partie. Ce prêtre ne portait pas de soutane. Il était vêtu d’une veste et d’un pantalon sombre et portait le collier de barbe. Il nous invita à nous présenter individuellement et à parler de ce qui nous intéressait dans la vie. Il nous appelait par nos prénoms, ce qui me stupéfia, s’adressait à nous avec un bon sourire et nous parlait de la foi dans un langage simple en insistant sur le bonheur et la joie de vivre dans lesquels cette foi pouvait être vécue. Entre les séances d’écoute de musique et de chant, le discours était optimiste, bienveillant, accueillant, et le débat toujours ouvert. Je garde aujourd'hui un vif souvenir de ce prêtre « en civil » qui faisait tout son possible pour encourager les gamins méfiants, timides, fermés et parfois hostiles que nous étions à prendre la parole sans crainte, à écouter les autres et surtout à penser par nous-mêmes. Je compris bien plus tard que ce prêtre étonnant officiait dans l’esprit de Vatican II.
Aujourd’hui encore, j’aime fréquenter les églises même si, malheureusement pour moi, je n’ai pas la foi, ce qui de toute façon ne serait pas dans mon caractère. Si j’éprouve un intérêt pour la religion, essentiellement la religion chrétienne, c’est parce qu’elle fait partie de ma culture d’homme occidental. Les difficultés que rencontre la religion chrétienne me la rendent aussi plus sympathique car ces difficultés la font évoluer, certes trop lentement pour un agnostique (non militant) tel que moi, mais l’Église catholique n’est pas un petit voilier qui vogue au gré des vents, plutôt un paquebot qui ne se manœuvre pas en cinq minutes. Enfin, dans ma culture religieuse, je suis, ainsi que je  viens de l’expliquer, d’une génération qui a connu l’influence du Concile Vatican II. Toute personne issue comme moi d’une famille catholique peut mesurer, même sans pratiquer ou en s’étant éloigné de la foi, la portée considérable de Vatican II, notamment dans les rapports entre l’Église et la société. À titre purement personnel, je vois en Vatican II le signe d’ouverture d’une religion — certes traversée de courants excessivement conservateurs — mais qui a le mérite, peut être à son corps défendant aujourd’hui, de ne plus peser sur les libertés individuelles comme elle l’a fait jusqu’à la fin de la première moitié du vingtième siècle, c’est-à-dire encore tout récemment. Cette évolution peut paraître minime pour quelqu’un qui n’a pas eu de parents et de grands-parents ayant connu la pression de l’éducation et de la morale de la religion catholique dans leur version la plus rigide mais elle est pourtant bien réelle, ce qui me conduit, à défaut d’avoir l’espoir de trouver la foi, à ne pas rompre avec ma culture chrétienne et de ce fait à vivre malgré tout la dimension spirituelle des fêtes.

(*) Lors de cet épisode de la guerre froide que fut la crise des missiles nucléaires de Cuba en 1962, le monde se trouva au bord du basculement dans un conflit atomique. J’ai interrogé des membres de ma famille sur ce qu’ils avaient ressenti pendant cette période. Évidemment, ils suivaient les développements de cette affaire au jour le jour à la radio, au cinéma et dans les journaux mais le ton de leurs réponses  exprimait une perception assez vague du risque, comme si, pour des gens qui avaient connu concrètement la seconde guerre mondiale (mes grands-parents) et la guerre d’Algérie (mon père), ce nouvel accès de fièvre internationale arrivait trop tôt et s’enchaînait de manière trop rapide pour qu’ils puissent en mesurer l’étendue.

© Éditions Orage-Lagune-Express, 2012.

14 août 2012

Carnet des concerts : quand Euterpe s'en fout...

carnet,concert,musique,fâcheux,blog littéraire,christian cottet-emard,debussy,euterpeEn ce moment, c’est la saison des concerts et je ne boude pas mon plaisir malgré les fausses notes qui ne viennent pas des musiciens mais du public.

D’abord, cette manie des ovations debout qui devient systématique et qui prive les personnes forcées ou simplement désireuses de rester assises de toute vision sur le salut des artistes. Applaudir à la fin du concert suffit amplement à remercier les interprètes, on n’est pas au Proms que diable ! Pendant le concert, rien de pire que l’applaudisseur fou toujours prêt à faire claquer ses grosses paluches et à déclencher une réaction en chaîne dès qu’il n’entend plus de notes. Sans doute ignore-t-il que la musique est aussi faite de pauses et de silence. Toujours à propos des applaudissements, ils gênent les musiciens et les mélomanes s’ils crépitent entre les différents mouvements d’une sonate. Si l’on ne connaît pas l’œuvre, ce qui n’a rien de honteux, on applaudit à la fin, voire à la fin du concert, ce n’est pourtant pas compliqué.

Autre calamité du concert, le bambin pleureur ou plutôt ses parents qui devraient pourtant savoir qu’il est stupide et cruel d’imposer deux heures de musique à un enfant en bas âge ou à un nourrisson qui n’a pas fait son rot et qui aura largement le temps de devenir un mélomane quelques années plus tard s’il n’en a pas été irrémédiablement dégoûté par ses géniteurs.

Dernièrement, arrivé une heure à l’avance pour être bien placé, j’ai vécu le pire avec un papa poule flanqué de sa marmaille qui a installé un véritable campement scout juste devant moi pendant que le concert débutait : dépose du matériel Gogosports, goûter tiré des sacs, habillage et déshabillage produisant un concerto pour fermetures éclair et froissements caractéristiques des habits en bouteilles de plastique recyclé. Vous allez me dire que j’ai oublié un autre fâcheux, le tousseur, frère de l’applaudisseur fou. Impossible de l’oublier. Il est venu spécialement au concert pour tousser. À l’entracte, il ne tousse plus, c’est magique ! Peut-être est-il allergique à la musique ? Sans doute pas autant que les deux mamies que le destin a choisi de me catapulter le même jour que celui du papa poule avec son campement. Avaient-elles toutes les deux la cataracte au point d’avoir confondu un concert classique avec un thé dansant ? En tous cas, pendant une de mes sonates préférées de Debussy, elles n’ont pas arrêté de faire des risettes et des goulis-goulis aux bambins qui croquaient leurs Pépitos. Du coup, elles ont sorti les petits beurres en sachets individuels et ont fait elles aussi leur goûter.

Il y a des jours où Euterpe s'en fout...

Vignette représentant Euterpe prise ici.

02 juillet 2012

Carnet : de la vraisemblance et de la vérité

carnet,vérité,vraisemblance,roman,littérature,fiction,le grand variable,christian cottet-emard,narration,invisible,paul auster,romancier,écritureLe romancier navigue entre vérité et vraisemblance mais bien sûr, très souvent, la vérité est au-delà de la vraisemblance. Quant à vouloir rendre vraisemblable la vérité, c’est prendre un gros risque de s’en éloigner.

Telle est en substance la réponse que je donne aux personnes qui me demandent pourquoi, dans mes ouvrages de fiction, je privilégie fréquemment la narration en fragments peu voire pas du tout reliés les uns aux autres et par le fait, suspectés d’enlever de la vraisemblance à l’ensemble. Mais lorsque nous considérons notre vie, nous constatons qu’elle se structure plus volontiers en une accumulation d’épisodes fragmentés avec accélérations et ralentissements, sans véritable début ni fin, plutôt qu’en un développement progressif et logique en attente d’un épilogue amenant la résolution de tout ce qui s’est mis en place depuis le début. Toute la littérature fondée sur ce deuxième postulat m’apparaît comme le comble de l’artifice alors que la construction en fragments est vécue comme plus artificielle encore par les lecteurs. Cette question m’en rappelle une autre, récurrente, qui n’est finalement qu’une variation de la première et qui porte sur ma réticence à me lancer dans un bon gros roman avec intrigue bien ficelée plaquée sur fond de fresque sociale ou historique : toujours ce problème de vérité et de vraisemblance.

En écrivant mon Grand Variable, j’ai pu laisser croire que j’avais sacrifié toute vraisemblance au profit d’une forme de vérité. Comme je m’attendais à ce reproche qui m’a été formulé de diverses manières, j’avais pris soin d’indiquer en quatrième de couverture que le livre mêlait fiction romanesque et narration onirique, ce qui n’a pas suffi à faire comprendre mon point de vue aux inconditionnels des genres littéraires dûment étiquetés Roman, Nouvelle, Récit, Poésie, autant d’ingrédients qui composent, à mon avis, le Grand Variable. Cela ne m’a guère surpris, excepté de la part d’un lecteur aussi avisé que l’éditeur Maurice Nadeau qui, dans la lettre argumentée de refus de publication qu’il m’a adressée après étude du manuscrit, déplorait « le manque d’épaisseur » de mes personnages. Heureusement pour moi, j’ai trouvé un éditeur qui n’était pas du même avis !  Il n’empêche que cet épisode nourrit encore mes réflexions sur la vérité et la vraisemblance dans le roman. Par exemple, comment définir « l’épaisseur » d’un personnage ? Cette épaisseur est-elle souhaitable, obligatoire ? En quoi se manifeste-t-elle ? Par des descriptions détaillées, minutieuses, de son physique, de ses vêtements, de ses mouvements ? Je ne trouve quant à moi utile de donner ces informations que lorsqu’elles font vraiment sens. Dans le cas contraire, je pense qu’elles ne servent qu’à étirer le texte et à perpétuer le cliché selon lequel la narration doit se vautrer pour donner un vrai roman. Trois lignes pour décomposer le mouvement de la main qui saisit la tasse de café avant de la porter à la bouche, deux autres pour renseigner sur la force du café et une pour décrire le retour de la tasse sur la soucoupe avec, tant qu’on y est, une précision sur l’intensité du choc entre la tasse et la soucoupe, franchement, je préfère laisser ça, aussi bien en tant qu’auteur qu’en tant que lecteur, au Nouveau Roman, à Donna Leon ou à Paul Auster.

L’exemple de Paul Auster, romancier bavard par excellence, je voulais justement y venir à propos de ma réflexion sur la vérité et la vraisemblance dans le roman. Il se trouve que pour la première fois après de nombreuses tentatives, je viens de réussir à lire en entier un roman de Paul Auster. Il s’agit d’Invisible qui compte dans l’édition de poche Babel chez Acte Sud 290 pages bien tassées en petits caractères, probablement du corps 10, un tour de force car une nouvelle suffirait au déploiement de l’intrigue. Mais ce serait oublier le métier de Paul Auster qui multiplie les angles, les points de vue, les variations et les récits gigognes dont il use et souvent abuse dans son œuvre romanesque et en particulier dans Invisible. Dans ce roman, l’exploitation extrême d’une intrigue rudimentaire (un personnage fait une mauvaise rencontre, vit une péripétie consécutive à cette mauvaise rencontre et se retrouve trente ans après ayant construit sa vie sur ces deux épisodes) confine à l’exercice de style, ce qui ruine toute vraisemblance mais n’en permet pas moins au lecteur d’accéder à certaines vérités.