13 février 2014
Aventures d’une casquette magique
Pourquoi me suis-je un jour mis en tête d’écrire des histoires et d’en faire ma principale activité? Plusieurs réponses me viennent à l’esprit chaque fois que je m’interroge à ce sujet, signe que la raison principale de ce choix reste obscure.
Au milieu des années soixante du siècle dernier, ma mère m’emmenait chez le coiffeur et le bonhomme en était quitte pour un quart d’heure d’épopée, de récits haletants et baroques dont les épisodes avaient tous pour cadre le modeste appartement familial et la vieille demeure des grands-parents. Si l’homme aux ciseaux ne connaissait pas depuis des décennies les deux respectables familles, il aurait peut-être pu se laisser convaincre — non pas que mes parents étaient des agents secrets un peu sorciers sur les bords — mais que l’ambiance à la maison pouvait être perturbée, qu’on ne me laissait pas assez dormir ou qu’on me donnait trop de café. Ainsi ne trouvait-il rien de mieux à dire à ma mère d’un ton mi-admiratif mi-perplexe après m’avoir rendu à ma casquette à carreaux et pompon « mais où va-t-il chercher tout ça ? » , question des plus pertinentes puisque je continue moi-même à me la poser aujourd’hui, une petite quarantaine d’années plus tard.
La fameuse casquette, justement, (à carreaux et pompon) aurait pu fournir au coiffeur un élément de réponse s’il avait eu le temps, entre deux bols, de jeter en direction de la rue un œil à travers la vitre opaque de son salon aux fauteuils chromés garnis de moleskine rouge, ce jour où il aurait pu voir un coup de vent soulever le ridicule couvre-chef de ma brosse toute fraîche pour l’envoyer se poser dans la vespasienne aujourd’hui disparue et qui, je le note au passage, manque beaucoup en cette époque funeste où un petit pipi vous coûte vingt centimes d’une monnaie forte. Au rendez-vous suivant, il aurait en effet logé la source d’inspiration de l’incroyable histoire de casquette magique qui s’envole toute seule de la tête d’un enfant qui ne l’aime pas et qui, un peu aidée par le zéphyr tout de même, retombe dans une pissotière où le destin la soustrait à l’infamie en la faisant atterrir sur la tête d’un occupant de l’édicule, un clochard qui avait justement perdu la sienne et qui en avait bien besoin d’une nouvelle, certes pas tout à fait à sa taille.
« Mais où va-t-il chercher tout ça, cet enfant ? » Pas très loin, pourvu qu’il ait un bon public. J’en trouvai un au cours préparatoire, certes limité à une personne mais de qualité puisqu’il s’agissait du maître d’école, pas méchant mais de sinistre aspect avec son air ténébreux et sa haute silhouette ascétique surmontée d’une veste sombre posée sur les épaules comme une pèlerine d’où pouvaient promptement s’envoler à destination de nos joues roses deux paumes aussi larges que des assiettes. Je les entends encore claquer sur ma figure le jour où, pour moi et quelques autres, elles se firent l’instrument du châtiment que nous attirâmes sur nous après avoir passé une semaine à pousser des hurlements sauvages dans la nef de l’église, juste pour le plaisir de réveiller un écho que le curé n’apprécia pas.
Cette mémorable mornifle ne me dissuada point de raconter à ce maître redouté, devant l’auditoire ébahi de mes camarades et avec un luxe de détails des plus réalistes, un voyage à New York qui n’était pas tout à fait imaginaire puisque ma jeune marraine s’y était transportée en avion en compagnie des membres de sa chorale « do, mi, sol ,do » . Sans vouloir me vanter, j’avais si bien puisé dans ses multiples anecdotes pour étoffer mon récit que le maître, hélas, n’eut de cesse d’en connaître d’autres détails lorsqu’il rencontra mes parents.
L’homme au tableau noir et au regard de la même couleur ne m’infligea aucune sanction et s’abstint de tout commentaire, à ma grande surprise car je m’attendais plutôt à un envol fulgurant suivi d’un raid de représailles de ses grosses paluches contre mes joues déjà bien rougissantes. J’étais encore trop jeune pour savoir qu’on pardonne beaucoup à ceux qui savent raconter de belles histoires et que ce don peut propulser tout individu pas forcément bien intentionné dans les hautes sphères de l’économie et de la politique (de nos jours sœurs jumelles) mais je crois me souvenir de l’étrange sensation qui m’étreignit ce jour-là : je venais de découvrir la puissance de la narration.
Photo : le vieux salon de coiffure et ses fauteuils moleskine (photo © MCC)
Extrait de TU ÉCRIS TOUJOURS ? éditions Le Pont du Change à Lyon (Un recueil de 96 pages, format 11 x 18 cm. 13 € port compris. ISBN 978-2-9534259-1-8). En vente aux éditions Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert, 69003 Lyon. BON DE COMMANDE
00:37 Publié dans FEUILLETON : tu écris toujours ? | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : magazine des livres, lafont presse, tu écris toujours ?, feuilleton, christian cottet-emard, blog littéraire, conseils aux écrivains, éditions le pont du change, lyon, paris, humour, littérature, presse, chronique, édition, vie littéraire, politique, écrivain, auteur, coiffeur, salon de coiffure, fauteuils moleskine, coupe au bol, brosse, casquette, pompon, vespasienne, pissotière, new york, usa, chorale do mi sol do, oyonnax, école jeanne d'arc, ciseaux, vitrine coiffeur, lisbonne, portugal, europe, saudade
02 février 2014
Dans le tramway
Je vois des choses étranges dans le rétroviseur du vieux tramway
Le premier souvenir la première neige la première mer la première femme tout ce qui va vite
La belle colère qui s’épanouit comme une corolle un soir de fœhn
Et ce visage incompréhensible qui est pourtant le mien
Photo : dans un tramway de Lisbonne
© Éditions Orage-Lagune-Express 2014 (texte et photo)
02:43 Publié dans Estime-toi heureux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tramway, lisbonne, souvenir, neige, mer, poésie, note, poème, foehn, visage, rétroviseur, blog littéraire de christian cottet-emard, colère, étrangeté, corolle, portugal
10 janvier 2014
Tourner le dos ou faire le dos rond ? Telle est la question.
Lisbonne, vue de l'hôtel, octobre 2013
Décembre 2013, lac genin gelé
Autres photos :
2013, Hôtel Embarcadère, Nantua, expo Jacki Maréchal.
2009, lac Genin gelé (tourbière).
Été 2013 au-dessus de chez moi.
Novembre 2004, Venise, sur les Zattere.
Été 2012 promenade nocturne, Le Fleix, Dordogne.
00:26 Publié dans Et à part ça ? | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : dos, portrait de dos, tourner le dos, faire le dos rond, plein le dos, mal au dos, blog littéraire de christian cottet-emard, portraits de dos, photographie, lac genin, lac gelé, venise, zattere, lisbonne, italie, portugal, viry, haut-jura, le fleix, dordogne, périgord, embarcadère, nantua, france, ain, rhône-alpes, aquitaine