02 juillet 2015
Carnet / Des volutes et de l’orgue
Je les enfume les nouvelles ligues de vertu, et je reste poli, car ce qui tue plus sûrement et plus sournoisement que les mauvaises habitudes alimentaires et ce qu’on appelle bêtement des vices, n’est rien d’autre que le tireur embusqué à deux têtes, le chagrin et la tristesse.
Entre l’allumage de mon Por Larrañaga ou de mon Partagas Mille Fleurs et sa lente extinction, en cette parenthèse d’heureuse irresponsabilité, les volutes s’enroulent dans l’air parfumé à la rose aux effluves de cocotte descendant les ramblas. De fluettes et vaporeuses divinités tendent leurs bras gracieux vers mes vieux regrets puis s’en saisissent pour les jeter vers la cime des frênes où ils vont se disperser comme des lambeaux de toiles d’araignées désormais incapables d’attraper des papillons.
L’encensoir de mon office de complies est orné d’une bague de papier doré et le bienveillant esprit nocturne s’incarne en la stridulation du premier criquet. Accordé à l’infime lueur qui me relie à celle des étoiles, le grésillement de la cape soyeuse m’est un feu de la Saint-Jean miniature. Les flêches empoisonnées et brûlantes de l’abandon et du mépris quittent les chairs à chaque bouffée. Elles ricochent sur les rayons de lune et recherchent en vain leur ancienne cible. Et puis le cigare s’éteint...
***
Il n’est encore pas si lointain ce beau moment de musique pour que je l’évoque aujourd’hui: c’était le premier jour de l’été en cette abbatiale Saint-Michel de Nantua, lieu pour moi essentiel où ce que je croyais du domaine des songes s’incarna parfois.
Mais revenons plus simplement à la musique qui dit tout lorsqu’elle est servie par celles et ceux qui l’aiment et la pratiquent au quotidien, chacun à son degré d’apprentissage et d’évolution. C’est bien sûr le cas des élèves de la classe d’orgue du CRD d’Oyonnax dirigée par Véronique Rougier. Cette audition de fin d’année fut un vrai concert par sa qualité et la richesse de son programme et l’on ressent beaucoup d’émotion à écouter de très jeunes musiciens jouer JS Bach, le Prélude en fa majeur BWV 556 par Lucien Lavenne, le Prélude en do majeur BWV 553 par Antoine Dussuc. Le programme annonçait aussi Clérambault, les Flûtes, et Rameau, Les Sauvages extrait des Indes galantes par Marie Dumas, ainsi que Buxtehude, Vater unser im Himmelreich BuxWV 219, et Brahms, le Choral Herzlich tut mich verlangen par Charlotte Dumas.
Véronique Rougier, titulaire de l’orgue de Nantua, était à l’affiche du concert avec ses élèves du CRD d’Oyonnax. Elle interpréta l’Andante con moto et andante à deux claviers de Boëly. Sophie Pesnel-Muller interpréta la Fantaisie et fugue en ut mineur BWV 537 de JS Bach et Anne-Noëlle Perret le Choral An Wasserflüssen Babylon BWV 653 de JS Bach ainsi que le Magnificat de Dandrieu. Olivier Leguay interpréta quant à lui la Pastorale de Franck sur les euphones, jeux caractéristiques de l’orgue Nicolas-Antoine Lété de Nantua.
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14 mai 2015
Carnet / Visite nocturne de l’enseigne de vaisseau Mhorn
Le grand vent chaud et sec qui favorise les échanges vitaux entre les arbres est tombé ce soir après toute une journée à ébouriffer les feuillages. La nuit désormais sans contrainte d’éclairage public dans ma campagne déploie un immense ciel étoilé.
Je fume un havane au milieu des effluves de lilas et je repense à cette coupure accidentelle de courant qui avait plongé la moitié de mon quartier dans le noir lorsque j’habitais encore en ville.
C’est cet incident qui avait déclenché l’écriture des premières pages de mon livre Le Grand Variable * à la fin des années 90. Je suis encore étonné aujourd’hui d’avoir pu aussi facilement publier ce texte à l’époque alors qu’il est maintenant si difficile d’imposer une écriture non calibrée.
Au lieu de me dissuader de continuer dans cette voie, ces triomphes du nouveau conformisme et de la pensée unique m’inciteraient plutôt à me remettre dans la peau de mon double inversé, de mon contraire, l’improbable et opportuniste enseigne de vaisseau Mhorn qui ne prend pas le temps d’avoir peur du monde parce qu’il a appris à ne rien espérer ni désirer et à se foutre d’à peu près tout, du moment qu’il sent près de sa main son vieux Luger au fond d'une poche de son caban, en cas de mauvaise rencontre.
C’est ainsi que pendant la dégustation nocturne d’un Por Larrañaga au milieu de mes massifs de lilas par une belle nuit de mai, certains de mes personnages romanesques viennent me visiter comme s’ils ne m’avaient pas encore tout dit.
* Éditions Editinter, épuisé mais disponible dans certaines bibliothèques, à Oyonnax par exemple.
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17 janvier 2015
Carnet / Imbécile...
Qu’est-ce qu’une vie quand on commence à regarder dans le rétroviseur ? Quelques vieux papiers à ranger.
Au fond d’une armoire, j’ai retrouvé mes cahiers de l’école primaire, mes cahiers du jour et mes cahiers d’essai du cours préparatoire, conservés par mes parents qui n’ont pourtant pas dû les signer avec plaisir tant ils étaient mal tenus et témoins du début de l’échec scolaire. J’étais très malheureux à l’école, toujours entre la crainte et la colère sourde, silencieuse. Mes souvenirs scolaires sont aussi mauvais que mes souvenirs professionnels, c’est dire...
En ouvrant ces cahiers remplis de mes laborieux débuts de calcul et d’écriture noircis avec ces saletés de plumes en métal qui trouaient les pages à grands carreaux et maculaient le mauvais papier de grosses taches noires, les moments les plus pénibles de mon enfance, le temps passé à l’école, m’ont de nouveau sauté au visage, comme si c’était hier.
Quarante-neuf ans après le cours préparatoire où je me trouvais donc en 1966, je revois dans la marge les appréciations et annotations du maître, avec pleins et déliés à l’encre rouge, et cette mention « imbécile » parfaitement calligraphiée parce que j’avais commencé ma page un peu trop bas !
À l’époque, on ne s’embarrassait guère de pédagogie, laquelle se limitait souvent à une engueulade ou à une punition si on n’avait pas compris. Du coup, pour moi, le premier objectif n’était plus d’apprendre mais d’éviter l’engueulade et la punition, ce qui provoquait la faute, donc au final, l’engueulade et la punition avec pour résultat la spirale de l’échec.
C’est ainsi que tout gosse je fonctionnais. D’autres moins sensibles marchaient à la compétition, parfois au prix d’autant d’angoisses, juste un peu moins visibles. D’autres s’adaptaient sans trop de problème à ce système d’enseignement basé sur la carotte et le bâton. Tout cela s’écrivait en silence, au porte-plume grattant et bavant, au son du glas tombant du clocher tout proche, sous l’œil noir du maître.
Dans les pages de ces cahiers, les destins s’inscrivaient déjà entre les lignes avec à chacun son lot : ceux qui n’auraient droit qu’à une ébauche, un brouillon de vie, ceux qui deviendraient exactement ce pour quoi ils étaient programmés, ceux qui sortiraient du cadre, ceux qui tenteraient d’inventer leur vie, ceux qui se laisseraient porter par le flot, ceux qui se tiendraient à la marge (j’ai la chance de faire partie de cette dernière catégorie).
Des décennies plus tard, la vie pouvait parfois rebattre les cartes, créer un autre désordre, mais à de rares exceptions près, comme au casino, les jeux étaient déjà faits.
Éternelle histoire, du moins éternelle à l’intérieur de cet instant qu’est l’humanité envoyée seule dans l’absurde infini, dans cette nuit de flocons lourds où, fumant un dernier Punch avant d’aller dormir, j’ai envie de sortir dans le grand pré derrière chez moi pour écrire avec un bâton dans la neige ce mot « imbécile » à l’intention de ce maître qui ne m'a rien enseigné d'autre que l'inquiétude et quelques combinaisons de chiffres et de nombres en leur valse à jamais
02:10 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : note, carnet, journal, souvenir, prairie journal, école, vie, enfance, cahier d'écolier, cahier du jour, brouillon, calligraphie, plein et délié, plume, porte-plume, encre, papier, maître, instituteur, blog littéraire de christian cottet-emard, cancre, échec scolaire, glas, classe, clocher, christian cottet-emard, marge, pédagogie, chiffre, nombre, punition, casino, cigare punch, havane, nuit, neige, flocon