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24 octobre 2014

Carnet / Du bord du monde

Pas d’été et déjà les premières gelées. La deuxième voiture couchant dehors, j’ai dû gratter le pare-brise ce jeudi matin à 6h30. Heureusement que j’ai eu le séjour à Lisbonne en septembre pour me souvenir du bonheur de se promener du matin au soir, jusqu’à tard dans la nuit, en t-shirt (je devrais écrire en maillot).

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Devant chez moi, juste avant la tombée de la nuit

Désormais, malgré quelques journées ensoleillées dans ma campagne jurassienne, me voici en veste polaire jusqu’au mois de juin prochain, y compris pendant un rite annuel dont je me passerais bien : ranger le bois de chauffage. Le camion verse dix stères et il faut empiler tout cela, et pas n’importe comment encore ! L’air doit circuler dans la pyramide pour que le bois ne se gorge pas d’humidité. L’autre jour en me promenant, je suis passé près de maisons où les piles de bois de chauffage étaient assemblées au millimètre. Parfois, les jurassiens empilent en produisant des figures géométriques. Les auteurs de ces raffinements sont-ils des esthètes ou des malheureux harcelés par l’ennui ?

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 Je ne le saurai jamais car je vis dans un autre monde, un monde où les piles de bois sont biscornues, un monde où un après-midi passé à monter ces piles de bois est un après-midi absurde. « Tu dois être content de voir le travail accompli le soir, une fois que tu as fini ! » m’a dit un jour quelqu’un. C’est ça ! Et pourquoi pas la satisfaction du devoir accompli pendant qu’on y est ? 

Finalement, je suis content que ma pile de bois soit moche à chaque fois : rien que pour le plaisir d’emmerder ceux qui me font ce genre de réflexion. Ça tient sans risquer de s’effondrer et ça finira dans la cheminée, point final. Tout le reste est littérature et pas la meilleure ! Dans le Jura, s’il y en a qui se prennent pour des trappeurs du Grand Nord ou qui se la jouent écrivains du Montana, ça les regarde ! Moi, je ne suis que ce que je suis, un type qui écrit ce qui lui passe par la tête et qui se chauffe au bois.

J’habite la campagne mais je ne suis pas un homme de la campagne. J’ai habité en ville mais je ne suis pas un homme des villes. Je suis content de savoir que je peux me replier à la campagne quand je m’aventure en ville et je suis tout aussi content de pouvoir m’échapper en ville quand je suis à la campagne. Je ne suis de nulle part. Je ne suis que de l’endroit où je rêve.

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Je suis l’homme des bords, des seuils, des lisières, des berges, des rives, des quais, des fenêtres. Lorsque j’ouvre ma fenêtre le matin sur ma campagne, j’ai vécu l’essentiel de ma journée. Ma place dans le monde est là : au bord. Jamais au milieu du monde, jamais au cœur de l’action, jamais au cœur du sujet. 

Je suis arrivé sur Terre comme à l’opéra. Je me suis installé pour assister à la représentation et pour écouter la musique. Cette posture n’a rien de triste ou d’affligeant, c’est juste la place qui m’est destinée. Je comprends que cela soit parfois pénible, décourageant pour mes congénères, que cela les dissuade de me connaître plus. Pour la plupart d’entre eux, le bord, le seuil, la rive, la lisière, c’est la marge, et la marge est inconfortable. Même pour moi, ce n’est pas toujours confortable, mais c’est là que je parviens à me tenir à peu près en équilibre, à peu près à l’abri de tristesses et de chagrins déjà vieux qui essaient de s’accrocher, à peu près à l’abri du dégoût, de la désillusion et de l’amertume. 

Le bord du monde, le lieu où il n’existe nulle obligation de réussir, pas même une pile de bois de chauffage ! Le lieu où l’on peut enfin se permettre de n’être rien.

13 juillet 2014

Carnet / De l'été pourri, des fêtes qui sonnent faux et d'un passereau qui s'en sort

Tout récemment lors d’une brève éclaircie, un passereau s’est cogné contre la fenêtre en voulant gober un insecte. Je suis sorti pour le retrouver probablement mort en bas des marches et j’ai fini par le localiser au milieu des herbes détrempées. J’ai vu ses yeux révulsés mais sa petite tête qui dodelinait faiblement  m’a encouragé à l’envelopper dans un mouchoir en papier pour ne pas l’imprégner de mon odeur et à le déposer sur le bord de la fenêtre. Il est resté là sous cette couverture improvisée et, au bout d’un long moment, il s’est dressé sur ses pattes et s’est envolé dans les frênes. Je n’ai pas pu identifier son espèce. En tous cas, ce n’était pas un bouvreuil comme la dernière fois. J’ignore s’il s’en est sorti (son cœur n’a peut-être pas tenu le choc et il est peut-être allé mourir un peu plus loin) mais l’espoir est permis.

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 Photo : premiers brouillards d'automne ? Non. Début de soirée estivale devant ma maison vers 19h ces derniers jours ! Impressionnant non ?

Le jour suivant, un gros lièvre a tranquillement traversé la pelouse devant la baie vitrée pendant que je prenais mon petit déjeuner. J’ai aussi surpris le renard à deux reprises vers deux heures du matin pendant que je me tenais immobile dehors devant l’entrée de la maison. Un autre soir pluvieux, j’ai eu la surprise de repérer un ver luisant à quelques mètres de la porte d’entrée. J’ai cru qu’il s’agissait d’un reflet dans une goutte d’eau mais non, c’était bien un ver luisant qui maintenait allumé son minuscule lampion vert bleuté dans l’espoir têtu de vivre une idylle quelle que soit la météo.

 Durant la semaine qui a précédé ce week-end j’ai retrouvé, dans la pénombre de ces jours qui devraient rayonner de lumière, les gestes de l’hiver. J’ai vidé les dernières cendres que j’avais oubliées dans la cheminée en pensant que la prochaine flambée serait pour un soir d’automne et, deux soirs de suite, j’ai allumé un feu tant les averses et le brouillard avaient enveloppé la maison d’une froide humidité. Il fait si mauvais que la chatte Linette a trouvé moyen de s'enrhumer à force de chasser dans les foins mouillés.

Ma seule (et maigre) consolation en ce ténébreux juillet est de voir (de loin) toutes les sinistres et minables kermesses organisées à grand renfort de banderoles et de sonorisations ineptes autour du vélo national emportées comme l’eau sale dans l’évier. Je ne vais pas me rendre sympathique en écrivant cela mais de toute façon, je n’ai jamais de ma vie écrit une ligne pour être bien vu (même quand j’étais payé pour « rendre hommage au dévouement des bénévoles » sans qui aucun bilan ne saurait être qualifié de « globalement positif » . Je ne vais pas commencer à cinquante-quatre ans !

09 février 2014

Signe de feu et « minguet »

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En attendant la prochaine livraison de six stères, je me dépanne avec du bois entassé par mon défunt père qui avait des coupes affouagères et qui avait accumulé de grandes quantités qu’il n’a pas eu le temps de tronçonner. Il m’a donc fallu, cette semaine, manier la tronçonneuse, moi qui n’utilise jamais d’outils mécaniques dans ma vie quotidienne parce que je n’aime pas ça et parce que je suis extrêmement maladroit.

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 Minguet !

Mon père avait un mot pour cela, minguet. Il se désolait de me voir minguet parce qu’il était surpris, déçu et inquiet à juste titre que je ne sache rien faire de mes dix doigts. C’est même une des nombreuses raisons de notre rendez-vous manqué dans la vie, mon absence d’habileté, ma maladresse à saisir des objets, ma tendance à casser mes jouets, mon indifférence pour les jeux de construction, le mécano, les petits chalets suisses à assembler.

Être minguet en a rajouté dans mes difficultés scolaires à l’école primaire avec des heures de travail manuel qui tournaient au supplice. Une année, nous devions construire une église miniature avec des allumettes et une maquette de planeur en bois de cagette. Avant les vacances, nous avions le droit de récupérer nos travaux pour les emporter chez nous. Je me souviens de ce dernier jour d’école où j’avais envie de dire au maître que je n’avais que faire de ces saletés qui m’avaient coûté tant de vains efforts et de remontrances. À peine rentré chez moi, je me suis isolé dans un coin du jardin et j’ai piétiné le planeur avec une volupté dont je me souviens encore comme si c’était hier. Après, pour continuer de célébrer la liberté qui commençait et qui durait à l’époque jusqu’à la mi-septembre, j’ai foutu le feu à l’église qui a fait une belle flamme parce qu’elle était construite en carton recouvert d’allumettes.

En ces temps lointains, on chantait encore Vive les vacances / plus de pénitences / les cahiers au feu / les maîtres au milieu. Je me rappelle avoir gueulé cette chanson au milieu du potager et dansé la danse du scalp (je jouais beaucoup aux indiens) sur les débris de ces objets absurdes qu’on m’avait contraint de fabriquer. La revanche secrète du minguet !

C’est aussi ce jour-là, pendant ce grand défoulement solitaire, que j’ai senti se former dans mon esprit de gosse ombrageux (sagittaire, signe de feu ! disait de moi la vieille voisine) une des premières images poétiques que je n’avais bien entendu pas encore l’âge d’identifier comme telle mais qui est restée gravée en moi :  la flamme de la colère qui s’épanouit comme la corolle d’une fleur dépliée par le vent sec de cette veille de vacances !

Et me voici aujourd’hui encore en train de brûler du bois que j’ai tronçonné cette semaine en poussant des jurons dont on a dû profiter à l’autre bout du village. Excuse-moi papa, mais ça soulage tellement !

Les Variations symphoniques (extrait)

© Éditions Orage-lagune-Express, 2013. Droits réservés.

Photo 2 : Linette joue la mouche du coche.