10 août 2019
Le sens de l’eau
Qu’importe aux sapins et aux épicéas ? Nourriciers, ils nous hébergent déjà et survivent mieux aux guerres parce qu’ils ne vivent pas dans le temps humain.
Nous pourrions les imiter un peu si nous n’avions pas perdu le sens de l’eau, si nous n’avions pas oublié l’intimité si vaste et sage avec son chant multiplié par les fontaines.
Forêt confiante en l’infinie courbure du temps, la vie repousse ici à chaque pulsation, à chaque battement de sève.
Rien ne nous allège plus qu’un arbre en la clairière, portant le ciel à bout de branches et le regard jusqu’aux lisières des nuages. En lui s’échangent les patiences et les lenteurs du monde, en marge de notre vitesse qui précipite chaque jour et l’abîme.
Extrait de mon recueil de proses courtes L'inventaire des fétiches, © Éditions Orage-Lagune-Express, 1988. Droits réservés.
Photo M-C C
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29 novembre 2016
Carnet / Lumières et lumignons
Le paysage n’est qu’un prétexte si j’ose dire. C’est la lumière que je traque avec mon appareil photo d’amateur.
Ce soir je retourne en rêve éveillé dans ma récente balade, juste derrière chez moi.
Dernier cigare de la journée sous les étoiles. L’éclairage public s’est éteint à onze heures comme d’habitude et les seules nuées qui se dispersent en deux secondes dans l’espace glacial de la nuit sans lune sont les volutes de mon tabac cubain.
Je fume le nez en l’air, engoncé dans ma polaire et mon vieux blouson d’hiver superposés et remontés jusqu’au menton mais c’est de voir rougeoyer le foyer du havane qui me réchauffe.
Une pensée pour la petite anémone pulsatille qui s’est trompée de saison sur le flanc de la colline en raison de la douceur des derniers jours. Je l’ai photographiée dimanche en redescendant du crêt au-dessus de chez moi. Chaque année, il y en a toujours une ou deux qui se laissent berner ainsi. Elles ont quand même leur jour triomphal...
À la fin de cette brève promenade dans ce faux printemps, quelques photos de la lumière dont j’ai tant besoin et qui se perd déjà dans les aiguilles des pins sylvestres.
Un frêle bouleau s’illumine devant la sombre troupe d’épicéas et de hêtres au garde-à-vous sur la montagne d’en face.
Sur la route qui mène à la maison, la silhouette de l’église navigue dans le couchant.
Après onze heures, l'église est la seule bâtisse à envoyer le faisceau d’un lampadaire, comme une veilleuse dans la nuit d’un gamin qui n’a pas envie de s’endormir.
Photos : paysages de chez moi (Photos Christian Cottet-Emard)
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08 octobre 2016
Carnet / Du vrai luxe
Beaux jours d’octobre. Peu créatif en ce moment mais satisfait d’être capable de ne rien faire, de tout lâcher autant qu’il me plaira.
Conscient du luxe de pouvoir suspendre toute activité, tout contact, toute écriture, tout projet, au seul profit de la sensation immédiate (lumière, soleil, brise, miroitement des jours clairs).
J'ai certes beaucoup échoué mais au moins ai-je réussi cet art de m’absenter, de m’immobiliser. Voilà quelque chose que personne ne peut m’enlever et sur quoi personne n’a la moindre prise, comme si je devenais, un temps donné, une pierre tiède sous le ciel ou dans le clapotis d’un ruisseau.
Moi qui suis souvent si triste et pourtant bon vivant, disponible aux petits bonheurs, je me réjouis d'exceller en ce provisoire détachement, en cette capacité à prendre l’air et la lumière comme un arbre, à moins bouger que la statue de Diane qui dans ces moments-là ne peut m’atteindre de ses flèches.
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