09 avril 2015
Carnet / Des mondes emboîtés
La bise qui a rincé le ciel depuis le soir de Pâques est tombée. Malgré le grand soleil qui entre partout dans la maison et la chauffe toute la journée, on ne peut pas encore se passer d’une flambée au crépuscule. J’ai grignoté du chocolat et fumé des cigares une bonne partie de l’après-midi sans écrire une ligne.
L’idée que nous ne vivons pas dans un univers homogène mais dans plusieurs mondes emboîtés les uns dans les autres me fatigue au lieu de m'inspirer.
Autour du petit mont derrière chez moi, des couples de buses variables chassent en vol stationnaire puis s’élancent au-dessus des grands frênes aux troncs nus et moirés.
L'autre jour dans la grande prairie en contrebas de la maison, alors qu'il faisait encore gris, des chevreuils se sont approchés. Malgré la distance, la chatte Linette les a repérés, oreilles dressées et regard inquiet.
Rapide descente à Oyonnax pour quelques courses peu fructueuses alors que je sais très bien qu’il me faut désormais aller à Bourg ou à Lyon pour effectuer des achats qui n’ont rien d’extraordinaire tant le choix se restreint localement.
Plus cette bourgade affiche son avidité de reconnaissance médiatique, plus elle s’enfonce inexorablement dans le déclin et la perte d’identité. Le seul moment de la journée où ce voile se dissipe un peu et où la ville tente de revivre normalement est la matinée.
Avant midi, j’ai pris un moment pour écouter The Quest (La Conquête), un ballet de Sir William Walton, mais je n’ai pas encore assez mémorisé l’enregistrement récemment acquis de cette œuvre pour pouvoir me la rejouer en pensée ainsi que j’en ai l’habitude pour toute nouvelle musique découverte.
En fin de soirée à la télévision, documentaire lourdement anecdotique sur John Irving, un écrivain que j’ai peu lu (juste un recueil de nouvelles qui ne m’a laissé aucun souvenir). Après avoir vu le film tiré de son livre le plus connu, Le Monde selon Garp, j’ai essayé de lire le roman mais il m’est tombé des mains à cause de sa profusion.
Quant au documentaire, on y voit un Irving cabotin, pathétique lorsqu’il se met en scène en suant sous l’effort du saut à la corde et du jogging d’appartement, et, cerise sur le gâteau, lorsqu’il insiste sur sa pratique de la lutte, un des sports les plus répugnants à regarder que je connaisse.
Encore debout après 2h du matin et pas vraiment envie d’aller me coucher. Par la fenêtre, je viens de voir le renard se faufiler le long de la haie. Quelle perception du monde tous ces animaux qui vivent autour de la maison peuvent-ils bien avoir ? Ont-ils des sentiments ? Et s’ils n’en ont pas ou peu, comme je les envie, parfois.
03:18 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : bise, pâques, chocolat, cigare, monde, univers, animaux, buse, chevreuil, chat, buse variable, renard, oyonnax, bourg en bresse, lyon, ain, rhône, jura, rhône alpes, bugey, haut bugey, sir william walton, the quest, cd chandos, musique anglaise, compositeur britannique, conquête, john irving, le monde selon garp, littérature, roman, écrivain, romancier, best seller, sentiment, campagne, haie, sport, lutte, blog littéraire de christian cottet-emard, carnet, note, journal, autobiographie, prairie journal, christian cottet-emard, insomnie
10 janvier 2015
Carnet / Mieux vaut en rire
Sur Arte 28 minutes vendredi soir, Sylvie Brunel exprime son aversion pour Michel Houellebeck (c'est son droit) et reproche à l'Obs de faire sa Une avec ce romancier qu'elle qualifie de « répugnant ».
Elle suggère alors à l'Obs de faire plutôt sa Une avec Éric-Emmanuel Schmitt, ce qui relève du plus haut comique, le seul talent de ce dernier se résumant à de bons titres. Je me suis fait avoir une fois avec La rêveuse d'Ostende, alléché par ce titre merveilleux ne débouchant hélas que sur des narrations paresseuses et bâclées, telles de grosses structures molles soutenues à grand-peine par les béquilles d'une écriture indigente.
Une bonne raison de lire Houellebeck qui n'est certes pas un styliste mais un vrai romancier qui a tout compris de son époque et l'a montré dès la parution de son fameux Extension du domaine de la lutte.
Je n'ai pas encore lu Soumission car je sors à peine d'une année difficile pour mon moral et le sujet de cette fiction est assez effrayant pour que je programme cette lecture à un moment où je me sentirai plus solide.
01:23 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : arte, 28 minutes, télévision, carnet, blog littéraire de christian cottet-emard, note, journal, lectures, édition, roman, nouvelles, éric-emmanuel schmitt, michel houellebeck, sylvie brunel, humour involontaire, l'obs, goût et couleurs, opinions, christian cottet-emard, la rêveuse d'ostende, extension du domaine de la lutte, soumission, livres, littérature
22 août 2014
Jean Pérol et les cœurs véhéments
Service de presse
La Djouille, de Jean Pérol, roman, éditions de la Différence, 272p., 20 €. Parution 21 août
Noir, poignant, ironique, rageur, hanté par le deuil impossible des bonheurs et des beautés fugaces, le dernier roman de Jean Pérol prend aux tripes et frappe fort sur les nouveaux conformismes.
Encore à peu près épargné par les vilaines morsures du temps et de l’expérience, le jeune et provincial Fabien, lycéen, aide dans de menus travaux domestiques un professeur âgé, revenu de ses voyages et de ses illusions bien amoché. L’un est à l’aube de sa vie, l’autre au crépuscule mais cela n’empêche pas une amicale connivence de s’installer, bien au contraire puisque finalement, le terme de « crépuscule » désigne la lueur céleste visible avant le lever du soleil ou après son coucher.
La rapide montée en puissance de la narration de ce superbe et dérangeant roman baigne dans cette atmosphère qu’on dit parfois « entre chien et loup » . Autour des deux hommes (l’art du romancier finit par nous faire douter de qui est l’ombre de l’autre) gravitent des personnages eux aussi distribués dans les deux catégories de ces canidés auxquels l’humanité se plaît parfois à s’identifier. Ajoutons à ce bestiaire la dimension féline du caractère féminin et observons alors la cruauté, la naïveté, l’amertume, le désespoir, la résignation et, soudain, en une épiphanie, en « une poignée de jours en flammes dans une énorme obscurité » comme l’écrivait le poète Jean Tardieu, l’épisode fugace d’un bonheur aussi vite épanoui et fané que l’éclosion d’une fleur filmée en accéléré.
En une construction narrative dans laquelle le passé douloureux que le professeur tente d’enfouir remonte en surface au contact du présent du lycéen, l’écran de ce théâtre d’ombres se déploie, si l’on ose dire, sur plusieurs fronts.
Le premier est celui des dernières nuits festives du personnel d’ambassade dans un Afghanistan en proie à la révolution et à la guerre où le professeur déjà las du vieil Occident s’est résolu jadis à vivre sa double expérience culturelle et amoureuse de l’arrachement. Sur le second front, celui d’une retraite campagnarde cévenole (dont on pourrait dire qu’on y « sommeille tant ») et que le jeune Fabien est prêt à quitter pour un amour au-dessus de sa condition, le vieux professeur n’est plus acteur mais spectateur impuissant du drame puis de la tragédie qu’il voit s’annoncer.
La mécanique infernale du déterminisme social s’agence inexorablement, condamne toute utopie, broie toute espérance. Il suffit qu’un de ces coups de tête dont sont coutumiers les jeunes hommes blessés se transforme alors en un coup de sang pour que le rideau tombe, noir, si noir, sur la scène où tout est bien sûr joué d’avance.
L’amour, le départ, la fuite, le retour sont autant de chemins dont le professeur est revenu sans pouvoir en révéler les impasses et les chausse-trapes au lycéen. Ils habitent tous deux une province livrée au doute et à la nostalgie où l’on devient vieux de plus en plus jeune, une nation minée par le retour d’un conformisme pire que celui qui précéda l’artificielle et courte embellie des trente glorieuses.
La Djouille est non seulement le roman des amours congelées sur la « face nord glaciale du grand mythe féminin qu’on nous a construit dans le siècle » mais encore l’implacable inventaire des utopies modernes qui tournent en cauchemars et finissent dans la djouille, l’équivalent afghan du caniveau. Dans ce second exercice, l’ironie lucide de Jean Pérol frappe très fort et ne manquera pas de faire grincer les dentitions blanchies et parfaitement alignées des jeunes générations élevées à la tisane bio du politiquement correct. Rien de l’hygiénisme forcené de « l’époque (qui) vous a à l’œil » n’est épargné : les ligues de vertu revues aux goûts du jour avec « les nouvelles chaisières vengeresses du rabougri, encore plus coincées aujourd’hui que celles de nos églises hier » , le sexe pour le sexe, « le foutre façon hygiène. Aussi trompeur et fastidieux que le vrai jogging » , le sport « Ah le sport, cette fadaise mondiale, ce pseudo-militarisme obligatoire, cette scie, ce poison du siècle ! »
Gardons nous cependant de rester sur ces seuls constats dans notre lecture. Comme tous les amples romans parcourus par le souffle de la littérature, le dernier opus de Jean Pérol ne se résume pas au simple regard critique, aussi acéré soit-il, d’un auteur sur son époque, car on y puise aussi une forte empathie en faveur des éternels perdants, ceux de la grande histoire et de la petite, toutes deux cruelles pour les cœurs véhéments.
Christian Cottet-Emard
Et à propos du dernier recueil de poèmes de Jean Pérol : ici
23:57 Publié dans Service de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean pérol, la djouille, éditions de la différence, littérature, roman, service de presse, cévennes, afghanistan, histoire, guerre, révolution, relations amoureuses, déceptions amoureuses, chagrin, déterminisme social, nouveau conformisme, politiquement correct, consensus mou, hygiénisme, sport, édition, blog littéraire de christian cottet-emard, trente glorieuses, chaisière, romancier, lecture, rentrée littéraire