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30 juin 2022

Carnet / Du moment à poème

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Il m’arrive d’évoquer ce que j’appelle un moment à poème. Voilà qui mérite une définition précise.
 
Ce que je nomme ainsi, faute de mieux, est un épisode de la vie, rare, souvent assez bref mais pas forcément fugace, au cours duquel les conditions se réunissent pour que naisse un poème, y compris pour quelqu’un qui n’écrit pas de poésie ou qui n’écrit pas du tout mais qui a, comme beaucoup de monde, une nature poétique ou tout au moins une forme de conscience qui s’en approche, ce qui fait encore plus de monde.
 
Je crois que n’importe qui peut vivre un moment à poème sans y prêter beaucoup d’attention ou sans s’en apercevoir tout de suite mais il suffit de se montrer attentif au discours d’un individu pour parvenir parfois à en détecter un dans son récit, le plus souvent dans le récit de ses souvenirs. Le moment à poème a beaucoup à voir avec un sentiment de plénitude intellectuelle, affective et physique bien qu’il ne relève pas d’une forme de spiritualité particulière et encore moins d’une illumination mystique ou simplement philosophique.
 
Le moment à poème survient dans un contexte très concret voire carrément dans le quotidien mais c’est justement aux limites du cadre du quotidien, un petit peu comme un enfant déborde dans ses coloriages, que l’épisode se produit dans une sorte de bulle temporelle et dans un espace qui semble lui aussi se modifier, même de la manière la plus infime. La seule certitude est qu’il se passe quelque chose et que cela restera inscrit dans la conscience et dans la mémoire jusqu’à la fin de la vie. Le moment à poème est un état très affuté de la conscience positive car s’il contenait ne fût-ce qu’une once de négativité, il n’entrerait pas dans la définition et n’aurait de la sorte ni intérêt ni bénéfice à rester gravé aussi durablement dans l’esprit. Alors serait-ce tout simplement ce qu’on appelle un moment de bonheur ou de grâce ? Pas seulement.
 
Les moments de bonheur peuvent être nombreux, aisément identifiables et aussi faciles à expliquer qu’à décrire, ce qui n’est pas le cas du moment à poème. La conscience du moment à poème ne navigue pas sur les eaux troubles de la nostalgie parce qu’en un tel cas, il serait prisonnier du passé; or cet épisode qu’on ne peut pas qualifier de révélation mais plutôt d’épiphanie si l’on veut se rapprocher d’une définition plus adaptée, se caractérise par l’intensité de son éclat et de sa permanence dans le temps d’une vie humaine dans laquelle il brille comme l’or, le diamant ou l’étoile, même s’il naît du quotidien le plus humble. L'une des principales caractéristiques de cette expérience est une sensation de parfaite présence au monde et d'adéquation avec l'environnement dans lequel elle survient.
 
J’ai identifié un moment à poème dans la vie de plusieurs membres de ma famille. Ils en vécurent peut-être d'autres au cours de leur existence ainsi qu'il en est dans la mienne. En ce qui me concerne, la pratique de l'écriture qui est une sorte de vie multiple m'aide à les détecter.
 
Pour un de mes oncles, ce fut un matin clair, très tôt, en voiture sur une petite route baignée de la lumière des beaux jours. Pour ma mère, ce fut au bord d'un lac qui n'est presque plus accessible aujourd'hui. Pour mon père, ce fut dans la forêt en hiver. C’était beaucoup plus qu’un souvenir. Il racontait qu’avec quelques camarades, au début des années soixante, il avait passé une journée à aider un ami à couper des épicéas et des sapins sur sa parcelle forestière pour le Noël de la paroisse. L’activité s’était prolongée jusqu’au soir de ce début décembre et dès la nuit tombée, une nuit très froide et très étoilée, le petit groupe avait fini la soirée par un casse-croûte et un vin chaud dans la cabane forestière, autour du poêle à bois et dans le halo de la lampe à pétrole. Mon père a eu une vie austère et semée d’embûches mais ce moment qu’il évoquait parfois avec une sorte d’étonnement était à l’évidence un des creusets de sa jeunesse, de son élan vital, de sa présence au monde et de son espérance en l’avenir. Bien que doté d’un esprit rationnel et d’une intelligence qui le portait plus vers les techniques et les sciences que vers la poésie, il avait réalisé que ce moment serait unique et qu’il le resterait jusqu’au bout ainsi que le lui murmurait cette voix discrète qu’est la nature poétique présente dans la noblesse de chaque esprit élevé.
 
 
 
 

14 février 2022

Carnet / Cela ne m’amusait pas vraiment...

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... mais j’ai participé samedi, comme il y a deux semaines, à la manifestation contre le passe vaccinal à Oyonnax, oh, surtout pour dire de ne pas être resté les bras croisés à critiquer.
 
Deux cents personnes au premier cortège, ce qui n’est pas si mal pour une bourgade comme Oyonnax, irrémédiablement comateuse sur les plans politiques et culturels, et ce samedi, une centaine au second rendez-vous, sans doute en raison du début des vacances mais aussi parce que des gens ont préféré se joindre aux convois de la liberté.
 
On peut penser aussi que la très incertaine perspective d’une prochaine suspension du passe de la honte (mais seule vaut sa suppression définitive) a pu contribuer à affaiblir la motivation des opposants les plus tièdes. Même si c’était le cas, baisser la garde serait une lourde erreur car la parole de ce gouvernement n’a pas plus de valeur réelle que l’argent qu’elle fait sortir du chapeau du diable, la planche à billets. Ils sont drogués aux « pass » , le pluriel est de rigueur parce qu’on a compris que ce qu’ils veulent n’est rien d’autre que la société de tous les « pass » possibles et imaginables pour tous, pour tout et partout.   
 
Sur le terrain des cortèges et des rassemblements, même au fond des provinces comme les nôtres, les prises de parole donnent un bol d’air, celles du Comité des professionnels suspendus, celles des parents scandalisés par le sort fait aux enfants et aux jeunes (les grands oubliés de la folie furieuse gouvernementale), celles des citoyens pas forcément engagés sous une quelconque bannière mais qui constatent tout simplement que plus rien n’est désormais normal et décent dans ce pays comme ailleurs en Europe et celles d’un jeune de quinze ans, déjà bon orateur, qui a résumé en peu de temps ce que tant de journalistes et de commentateurs appointés ne sont plus capables de dire dans notre presse et dans nos médias subventionnés.
 
Bien évidemment dans cette petite manif, tout s’est passé dans le calme car personne n’a envie de tomber dans le piège du désordre. Au centre d’Oyonnax, un œuf lancé sur le cortège depuis un balcon a atteint son but, je me plais tout de même à le préciser, non pas parce que c’est dramatique mais parce que cela montre ce que certains ont dans la tête : un certain désordre.
 
Et puisqu’on parle tant de désordre à propos de l’opposition au passe de la honte, répétons la question autant qu’il le faudra : qui a mis le pays en morceaux depuis cinq ans et plus encore depuis l’obligation vaccinale déguisée ? Qui a créé le désordre ? Réponse : celui qui reviendra pour cinq autres années grâce à l’abstention et à la vieille gauche dont les rescapés, par les sortilèges de l’âge, de l’embourgeoisement et de la trouille, sont devenus les fachos d’aujourd’hui.
 
Mieux vaut s’en souvenir dès le premier tour de l’élection présidentielle : n’importe qui contre Ubu roitelet et sa jumelle au rictus qu’aucun photoshop n’arrivera à transformer en sourire. Ce serait dangereux pour les libertés? Ah oui ? Lesquelles ? Il y a certes toujours moyen d’en enlever encore mais celles qui sont déjà passées à la trappe soi-disant provisoirement, c’est déjà bien essayé, non ? Et pas par des khmers rouges ou des chemises noires.
 
Toutes les manifestations sont pleines de gens sympathiques ainsi que je l’ai vu aussi à celles de l’été dernier à Bourg-en-Bresse mais je sais que beaucoup de ces opposants au passe de la honte ne voteront pas dans deux mois parce qu’ils estiment déjà qu’il n’auront pas d’autre choix. S’ils n’y vont pas, on en reprendra pour cinq ans avec un risque accru d’obligation vaccinale. Alors les manifs, c’est bien gentil et bien pratique pour se sentir tout propre sur soi mais inutile si l’on ne finit pas le travail au bon moment, quitte pour certains à voter en se bouchant le nez comme on l’a d’ailleurs fait si souvent depuis si longtemps sans s’être pour autant transformé en extrémiste. D’ailleurs, les extrémistes, ce sont eux qui sont actuellement au pouvoir.
 

11 février 2022

Carnet / L’amitié au risque du virus ?

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Giorgio de Chirico. École de gladiateurs. 1953. Huile sur toile 100 x 80 cm. Collection particulière, Rome.

 
Il m’arrive souvent de penser que le virus met les plus belles amitiés à rude épreuve mais au moment de noter ce constat dans un carnet, je réalise que je me trompe de coupable. Le virus n'y est pour rien.
 
Pour suivre le fil de cette idée, il faut prendre un peu de hauteur. Je rappelle au passage que mon humble réflexion, comme d’habitude, ne s’inscrit pas dans un débat d’ordre sanitaire dans lequel je n’ai aucune compétence mais dans une perspective exclusivement politique dans laquelle j’ai les compétences de tout citoyen ordinaire. C’est donc le vecteur du passe vaccinal, mesure dont presque plus personne ne conteste aujourd’hui le caractère essentiellement politique, que prendra mon argumentation.
 
Désormais, la ligne de front (parce que c’est bien d’un front qu’il s’agit) sépare ceux qui approuvent le passe vaccinal et ceux qui s’y opposent. Que cette mesure soit un jour levée ou pas, le fossé est creusé, le malaise durable et, pour rester sur le fil de mon sujet, les amitiés chancelantes.
 
Une des émotions les plus compréhensibles des partisans du passe vaccinal est la peur du virus. De ce fait, comment peuvent-ils éviter de considérer comme une menace leurs amis opposés au passe ? Du côté opposé de la ligne de front, chez les opposants au passe, la peur de la perte de liberté aboutissant à la relégation comme citoyen de seconde zone peut aussi se comprendre. Comment ceux-là peuvent-ils éviter de considérer comme une menace leurs amis favorables au passe ? Comment une amitié peut-elle tenir si chacun devient une menace réelle ou supposée pour l’autre ? Éviter le sujet qui fâche ? Comment l’amitié peut-elle se priver du débat, de l’échange d’opinions, sans devenir une coquille vide ? Chers amis « pro ou antipass » , vaccinés ou non, il faut et il faudra du sang-froid pour ne pas se fracasser sur les récifs.
 
Ce pouvoir paniqué et dévoyé nous a placés dans la situation des gladiateurs dans l’arène, il veut faire de nous des ennemis sans visages contraints de s’affronter alors que nous n’y gagnons rien. Aux premières loges de l’arène, les yeux de César ne sont pas fixés comme on pourrait le croire sur les gladiateurs qui s’épuisent au vain combat mais sur la foule qu’il veut passive, distraite et avide de privilèges aussi comptés qu’illusoires.
 
Il n’existe plus aucun César depuis longtemps mais les arènes sont toujours là avec leurs roitelets et tyranneaux qui portent le même regard sur la foule animée des mêmes passions et avide des mêmes promesses, quel qu’en soit le prix.
 
Pour rester dans le sujet :